A cinq mois du premier tour de l'élection présidentielle, et quelques semaines après la présentation du plan « France 2030 » qui résonnait déjà comme une déclaration de candidature, Emmanuel Macron s'est adressé aux maires de France à la fois comme père de la Nation et comme représentant du « nouveau monde » face à « l'ancien monde ».
Dans le rôle du représentant de « l'ancien monde », non pas David Lisnard, maire (LR) de Cannes élu le 17 président de l'association des maires de France (AMF) par ses pairs, mais André Laignel, maire (PS) d'Issoudun (Indre) depuis 1977 et premier vice-président de l'AMF depuis 2012.
De par cette fonction, c'est lui qui a lu la résolution de l'assemblée générale du 103ème congrès « adoptée à l'unanimité par le bureau ». Comme à son habitude, André Laignel a accompagné les propositions de fond de phrases-chocs sur la forme. Très en verve, le président de la République, qui avait écouté son discours et même pris des notes, lui a répondu, point par point.
Multiplication des déclarations d'amour
Mais avant, Emmanuel Macron a multiplié les déclarations d'amour à l'égard des maires, saluant leur rôle pendant le confinement et, plus généralement, depuis le début de la crise sanitaire.
« Vous étiez là ! A chaque étape, vous avez été là. ! Chaque jour, chaque nuit, chaque week-end, notre capacité à tenir a été la vôtre ! » s'est-il exclamé.
Puis, après avoir loué « la connaissance » et « l'intimité » de son Premier ministre Jean Castex avec les maires, rappelé les montants débloqués dès juillet 2020 dans le cadre d'un troisième projet de loi de finances rectificatives, « exprimé la reconnaissance de la Nation » à l'égard des maires, le chef de l'Etat a « assumé ne pas avoir été maire ».
« Il se peut que le général de Gaulle ait eu le même défaut », a lâché Emmanuel Macron, déclenchant les premiers applaudissements et quelques rires des maires présents dans le grand auditorium de la porte de Versailles. « Merci de m'avoir accueilli dans la France entière », a-t-il poursuivi, en référence aux heures de dialogue pendant le « Grand débat national ».
Ironie à l'égard de Laignel
Le décor étant planté, le président de la République s'est mué en pré-candidat à l'élection présidentielle. « S'il fallait faire le bilan, il suffirait d'écouter André Laignel », a-t-il ironisé, suscitant des haussements de sourcils et des mouvements de tête de l'intéressé.
Juste avant, le socialiste a joué, aux côtés de David Lisnard et d'Anne Hidalgo, maire de la ville-hôte, le chauffeur de salle, plaidant pour un « véritable projet de démocratie rénovée ».
« Depuis de trop nombreuses années, les lois concernant les collectivités, dont le projet de loi 3DS est la dernière illustration, s'apparentent plus à un catalogue de petites mesures, parfois bienvenues, mais manquent singulièrement de souffle et ne constituent en aucun cas une politique à la hauteur des enjeux », a-t-il ajouté.
« Après tant de lois, dans votre résolution d'il y a 5 ans (de 2016, juste avant l'élection d'Emmanuel Macron, Ndlr), vous nous avez dit « Arrêtez le massacre ! Plus de loi de décentralisation ! » et nous l'avons fait », s'est félicité le chef de l'Etat.
Il fait référence ici, sans les nommer, à la loi sur la fusion des régions, à la loi MAPTAM (modernisation de l'action publique territoire et affirmation des métropoles, Ndlr) qui a créé les métropoles, et surtout à la loi NOTRe (portant nouvelle organisation territoriale de la République, Ndlr) qui a redistribué les compétences entre les différentes collectivités.
Nouvelles attaques contre ce « cher André »
Également président du comité des finances locales, l'organisme public qui contrôle la répartition de la dotation globale de fonctionnement et qui fournit les analyses nécessaires à l'élaboration des dispositions du projet de loi de finances concernant les finances locales, André Laignel a également eu un mot sur les conséquences financières de la Covid-19.
« Le gouvernement n'a proposé que des dispositifs sous-dimensionnés et tardifs, tel le prétendu filet de sécurité, dont la faiblesse va entraver notre capacité à investir et donc à réussir le plan de relance », a souligné l'ancien ministre de François Mitterrand.
Là encore, Emmanuel Macron ne s'est pas privé d'attaquer ce « cher André », mais aussi le désormais président d'honneur de l'association des maires de France, François Baroin, ainsi que... François Hollande.
« Après le gel des années 2011-2012, crise financière oblige, le président Baroin s'en souvient, il était aux responsabilités à l'époque (ministre du Budget de Nicolas Sarkozy, Ndlr). Après le gel, il y avait eu la baisse de 10,6 milliards d'euros des années 2012-2017 (sous le quinquennat de François Hollande). Eh bien, conformément aux engagements pris, la dotation globale de fonctionnement a été sanctuarisée », a-t-il listé, chiffres à l'appui.
Décidément en forme, le président de la République est revenu sur la suppression de la taxe d'habitation. « Elle a été compensée conformément aux engagements à l'euro près », a-t-il martelé.
Une déclaration battue en brèche dès l'ouverture du congrès le 16 par le président (UDI) de la commission des finances Philippe Laurent. « La question n'est pas réglée », pointait, en conférence de presse, le maire de Sceaux (Hauts-de-Seine). Selon lui, 6.000 des 35.000 communes n'ont pas reçu la compensation intégrale « et ne la recevront pas », assénait encore le candidat défait par David Lisnard le 17 novembre.
Porte-parole des réformes engagées depuis 4 ans
Comme lors de son dernier discours porte de Versailles en novembre 2019 - le congrès de 2020 étant tombé pendant le deuxième confinement - Emmanuel Macron s'est par ailleurs fait le porte-parole des réformes engagées depuis le début du quinquennat. Le chef de l'Etat a cité « Action Cœur de ville », dispositif de revitalisation de 222 villes moyennes doté de 5 milliards d'euros et qu'il vient de pérenniser mais aussi le programme « Petites villes de demain », ou encore... le Grand Paris.
« Les dernières années ont été marquées par une avancée conforme d'ailleurs aux engagements, mais traduites en actes créatrices d'emplois, de solutions de transports et de gares nouvelles », a-t-il évoqué, en référence au métro du Grand Paris Express. Pas un mot en revanche sur la « simplification drastique des structures » institutionnelles annoncée à l'été 2017 et jamais opérée malgré des missions confiées aux uns et aux autres.
Ce n'est pas tout : Emmanuel Macron s'est fait l'avocat de la loi organique sur la différenciation, un projet du gouvernement visant à assouplir les expérimentations territoriales, mais aussi du texte « Engagement et proximité » qui a apporté des « avancées majeures » aux maires au quotidien et dans leur relation avec les intercommunalités.
Macron très applaudi sur sa définition de l'Etat
A ce moment précis, le président de la République s'est drapé dans des habits de père de la Nation.
« Le discours ambiant des élus contre l'Etat est un débat mortifère. Il ne peut y avoir ce face à face », a affirmé Emmanuel Macron, provoquant des applaudissements.
« L'Etat, c'est vous aussi, car vous êtes aussi des agents de l'Etat. Il peut y avoir des désaccords, mais il ne peut y avoir de divisions. Gardons-nous de toutes ces forces de division », a-t-il embrayé, lançant une nouvelle salve.
« Les fonctionnaires d'Etat et les fonctionnaires des collectivités locales sont des gens loyaux qui ont réussi à tenir l'Etat dans cette période », a-t-il conclu, encore sous les applaudissements.
Juste après, sa « dernière remarque » qui était, en réalité, tout sauf son ultime mot, était liée à l'autonomie financière et fiscale, demande ancienne et régulière des maires. « L'autonomie fiscale, c'est l'autonomie jusqu'au bout », a prévenu le chef de l'Etat. Autrement dit, ce sera aux territoires de prélever eux-mêmes l'impôt par exemple.
Décentralisation, déconcentration et territorialisation
En réalité, ce n'est rien d'autre que sa réponse à André Laignel qui exigeait « une grande loi de décentralisation pour garantir l'autonomie financière et fiscale ». « C'est une question existentielle pour nous, car sans elle, nous sommes condamnés à être de simples sous-traitants de l'Etat », a-t-il appuyé.
Là encore, Emmanuel Macron a réponse à tout. Pour lui, la décentralisation a été « confondue » avec la délégation de compétences, comme le RSA, dont les départements sont des « payeurs aveugles » pour l'Etat. « Si on veut y travailler, et j'y suis prêt, c'est sur un vrai transfert des responsabilités », a-t-il assuré.
Sauf que dans la foulée, le président de la République a dit « croire à court-terme à une déconcentration ». C'est-à-dire au renforcement du rôle des antennes des administrations centrales (préfectures...) pour améliorer les politiques publiques sur le terrain.
C'est d'ailleurs dans cet esprit qu'Emmanuel Macron a calmé le jeu sur la politique du logement. Depuis la promulgation de la loi « Climat et Résilience » fin août, qui impose de diviser par deux l'artificialisation des sols dans les dix ans, les élus locaux s'inquiètent en effet de ne plus pouvoir construire, malgré les aides de France Relance dédiées aux friches.
« On ne mettra jamais les maires devant un couperet. La clé, c'est que les maires aient la possibilité de programmer sur plusieurs années cette stratégie et la possibilité d'avoir les instruments pour le faire », a-t-il promis.
Enfin, après plus d'une heure de monologue, une annonce et non des moindres : « on territorialisera France 2030 », une demande qui émane des régions, des métropoles et des intercommunalités en général.
Reste à en préciser les modalités. « Il y a dans le mot « maire » l'anagramme du mot « aimer », a lancé le chef de l'Etat. Car, en amour comme en politique, les déclarations, c'est bien, les preuves, c'est mieux.