A six mois du premier tour de l'élection présidentielle, on peut affirmer sans risque que le chef de l'Etat a lancé sa campagne ce mardi 12 octobre. Et c'est un Macron nouveau, transformé par la crise, qui s'est présenté aux Français, prêt à dépenser un « pognon de dingue » pour le paraphraser lui-même pour sortir le pays du cercle vicieux de l'appauvrissement. Le « quoi qu'il en coûte » de la crise sanitaire se prolonge d'un « quoi qu'il en coûte électoral » aussitôt dénoncé par toutes les oppositions qui critiquent cette politique du carnet de chèque à l'infini. On avait reproché à Macron 2017 de ne pas avoir de programme. Macron 2022 en a un grand et ne lésine pas sur les moyens pour nous convaincre que ce programme est « NOTRE PROJET »...
Sortir de la crise par le haut
Ne nous y trompons pas, il y a une vraie logique économique à prolonger le plan de relance conjoncturel de 100 milliards d'euros par un tel plan d'investissement. Pour le comprendre, faisons le parallèle avec le discours du « Brexiter » Boris Johnson, il y a une semaine devant les Conservateurs britanniques. Le Premier ministre anglais, a affirmé vouloir « tourner le dos à un vieux modèle cassé, avec des bas salaires, une faible croissance, une faible productivité (...) C'est ce pour quoi les gens ont voté en 2016 ». Sans l'obsession de l'immigration, qu'il laisse au « Frexiter » Eric Zemmour, Emmanuel Macron est sur la même longueur d'onde économique que les britanniques sur le constat qu'il faut sortir par le haut, par l'innovation, d'une France low-cost condamnée aux bas salaires et à des politiques publiques de réparation sociale parce qu'elle a été appauvrie par sa désindustrialisation.
« Réveillons nous en tant que nation » a tancé Emmanuel Macron, sinon nous ne sortirons jamais du cercle vicieux des déficits, publics et commerciaux, qui alimentent le chômage et la fuite en avant des dépenses sociales. « Innover », « produire », « exporter », tel est le nouveau mantra pour la France productiviste des années 2020, une France aux accents pompidoliens invitée par cette planification d'un nouveau type à saisir l'opportunité de l'accélération inédite des ruptures technologiques pour réarmer son économie.
« France 2030 », malgré le flou qui entoure son financement et sa gouvernance, constitue donc une mobilisation bienvenue pour l'ensemble des secteurs concernés par le Green Deal européen pour décarboner l'économie, investir dans les filières d'avenir par un effort qui n'est pas si extraordinaire que cela, à la mesure de l'enjeu. Les 30 milliards d'euros du plan d'investissement auraient d'ailleurs bien pu être relevés à 50 milliards si Bruno le Maire n'avait froncé les sourcils.
Règles de Maastricht
Gageons qu'à l'horizon de la décennie, ils seront largement dépassés, les Etats-Unis et la Chine montrant le chemin, sans tabou. La révision en cours des règles de Maastricht pourrait d'ailleurs permettre de sortir ces dépenses d'avenir des critères européens, rêve-t-on à Bercy. Les défis à relever, ceux du climat et de la démographie cités par le chef de l'Etat, le justifient, et on est même loin du compte. A l'échelle de l'Europe, on envisage de mettre pas moins de 1000 milliards d'euros d'argent public et privé pour réussir la transition écologique.
A propos d'horizon, on peut oser un autre parallèle, de politique intérieure, en comparant la date de 2030 proposée par Emmanuel Macron, compatible avec son éventuel nouveau quinquennat, à l'horizon 2050 qu'a posé son ancien Premier ministre Edouard Philippe samedi dernier en lançant son nouveau parti. Baptisé de façon fort opportune « Horizons » avec un « s », celui-ci a placé d'emblée dans le temps long sa vision de l'avenir du pays, une façon pour lui de s'échapper de l'horizon impossible pour lui de 2022. 2030 ou 2050, les lignes parallèles d'Emmanuel Macron et d'Edouard Philippe finiront par se croiser un jour, en 2027 par exemple...
Le plus intéressant, dans l'intervention du président de la République n'était pas tant dans le choix des dix objectifs, pour la plupart attendus, comme la relance du nucléaire, la priorité mise sur l'hydrogène vert, les médicaments innovants, l'agriculture, la robotique, les semi-conducteurs, le numérique et les startups. Ni même dans la mise sous tension des entreprises, à qui le président de la République a imposé un calendrier se voulant audacieux et mobilisateur : développer 20 médicaments innovants contre le cancer et les maladies chroniques, produire en France 2 millions de voitures électrifiées, faire voler en 2030 un avion bas carbone soit cinq ans plus tôt que ne le propose Airbus pour l'avion à hydrogène.
Flou autour de la gouvernance
Non, le plus novateur dans l'intervention d'Emmanuel Macron était la conscience qu'il a confessé lui-même des conditions d'un échec de ce plan. Non seulement, il l'a souligné, parce qu'il a pu mesurer que la seule parole présidentielle n'est pas en soi performative et que « la coopération est clef » pour mobiliser ensemble grands groupes du CAC 40 et startups innovantes dans le passage à l'action. Mais aussi et surtout parce que les ferments de l'échec sont avant tout liés à des raisons culturelles propres à la France, ce qui renvoie à la gouvernance du dispositif, volontairement laissée dans le flou. Il faudra d'une part lutter contre la propension naturelle de chacun des secteurs de prendre l'argent pour le sécuriser sans le mettre à disposition là où sont les vrais innovateurs. L'échec de l'agence de l'innovation industrielle (A2i) voulue par l'ancien patron de Saint Gobain Jean-Louis Beffa, qui avait fait la part belle au CAC40 contre les PME plus agiles, en est l'illustration.
Pour réussir son plan France 2030, Macron devra empêcher de nuire les « fossoyeurs de l'innovation » que sont parfois à l'insu de leur plein gré les grands groupes, inquiets d'être « disrupté » par un nouvel entrant plus agile. La startup nation ou le CAC 40, il va falloir choisir où flécher l'argent. Un des objectifs sous-entendu de ce plan est bien d'engendrer le CAC40 du futur en faisant naître des « décacornes » françaises (valorisées des dizaines de milliards d'euros).
Eviter le saupoudrage
Le deuxième écueil pour mieux investir l'argent public est d'éviter de saupoudrer les fonds dans trop d'initiatives. Emmanuel Macron a fait des progrès en ne fixant que 10 priorités là où Arnaud Montebourg avait proposé 34 plans industriels. Mais là encore, on peut légitimement se demander si la France a les moyens d'être un leader partout. Dans beaucoup de domaines, c'est au minimum à l'échelle de l'Europe que la compétition se joue, comme le montre l'affaire du « cloud souverain », abandonné au Gafam américains. Moins, différemment, mieux, voilà le défi qui attend France 2030, ce qui ne sera pas simple à réaliser tant la propension est grande en France de courir après les subventions publiques.
Enfin, le dernier obstacle que ne résoudra qu'à demi le plan est la trop faible culture du risque de la France, symbolisée par le cuisant échec dans le développement d'un vaccin à Arn Messager. Ce que Stéphane Bancel résume par la formule du « zéro et de l'infini ». Parfois, l'avenir se joue sur un pari où l'on peut tout perdre, parce que l'on peut tout gagner. Le joueur qu'est Emmanuel Macron, il l'a prouvé par son hold-up politique de 2017, le comprend bien. Mais pour réveiller l'industrie, ce sont aussi des Elon Musk qui nous manquent le plus cruellement.
Sujets les + commentés