La filière funéraire avait besoin de mettre des chiffres sur un phénomène qui la gagne depuis quelques années, à savoir un manque de personnel de plus en plus criant. Quels sont alors les besoins de recrutement dans ces métiers, plutôt méconnus, mais au combien nécessaires, auxquels les Français font appel deux fois dans leur vie en moyenne ?
La Fédération nationale du funéraire, qui représente 11.000 des 25.000 salariés de la branche (environ 4.000 entreprises en France), a mené l'enquête en octobre 2023 auprès de ses adhérents. Près de 3.500 emplois seront à pourvoir en 2024 dans l'Hexagone, estime-t-elle. L'Île-de-France arrive en tête avec 30 % des besoins, suivie de la région Auvergne-Rhône-Alpes (14 %) et des Hauts-de-France (11%). Des données corrélées à la densité de population, mais qui sont aussi à mettre en relation avec son vieillissement. La mortalité augmentera en effet de 3 à 5 % en France dans les quinze prochaines années en raison du « papy-boom », indique la fédération, à savoir l'arrivée dans le troisième âge de la population née entre 1946 et 1964.
Un manque d'attractivité
Ces difficultés de recrutement trouvent notamment leur origine dans la méconnaissance de ces métiers, estime Guillaume Fontaine, directeur général de la première fédération patronale, à l'initiative de l'enquête représentant 8.000 salariés. « Nos métiers sont méconnus. D'où la campagne de communication que l'on mène, avec les professionnels. Pour autant, la mort reste un tabou et, pour de multiples raisons, de nombreuses personnes ne souhaitent pas se diriger vers le funéraire ». Mais d'autres facteurs sont également pointés, à commencer par les conditions de travail singulières, notamment sur les temps d'activité. Pour le représentant de la filière, elles sont inhérentes aux métiers du funéraire :
« La mort ne dit pas quand elle frappe, alors forcément il y a des périodes d'astreintes, et tout le monde ne le souhaite pas. Nous connaissons ces difficultés et a contrario, nous essayons de développer la visibilité de l'ensemble des métiers ».
Pourtant, comme le souligne la chercheuse indépendante en thanatologie, Juliette Cazes, aussi autrice en histoire funéraire, le nombre de personnes formées est en ce moment très élevé. Mais des enjeux managériaux, de temps de travail ou encore de salaires, restent selon elle les principaux freins à l'entrée dans la profession.
D'après la dernière enquête de l'Opérateur de compétences (Opco EP) en 2022, organisme agréé par l'Etat pour accompagner la formation professionnelle, 51 % des salariés du secteur font partie de la catégorie socioprofessionnelle des employés. De même, 15 % sont à temps partiel et « près des deux tiers des salariés perçoivent un salaire mensuel net moyen de 1 860 € ».
Formés puis désenchantés ?
Ces conditions constitueraient-elles des freins entre la formation et l'entrée en activité ? Les diplômes d'opérateurs funéraires, délivrés par le ministère de l'Intérieur, s'appuient sur une formation théorique et pratique. Une grande partie des nouveaux arrivants dans ces professions ont été dirigés par Pôle emploi, après un bilan de compétences ou une reconversion professionnelle.
Une autre partie demande directement à se former auprès de la filière. Or, dans le premier cas, « les entreprises jugent parfois que la personne ne répond pas aux compétences, juge Guillaume Fontaine, qui milite pour un accès par l'alternance. Ces métiers nécessitent une empathie particulière. Il faut aussi gérer la charge émotionnelle ».
« Nous disons souvent, dans le funéraire, que l'on y tombe par hasard, mais que l'on y reste par choix, par conviction. L'important, c'est d'avoir en soi un grand savoir-être. Nous transmettons ensuite le savoir-faire ». Guillaume Fontaine.
La convention collective ne prévoit pas d'accompagnement psychologique spécifique. La médecine du travail y est tout de même attentive répond le représentant. Mais il donne cet exemple : « Nous avons mis en place un numéro vert pour nos adhérents il y a une quinzaine d'années. Après deux ans, nous avons fait le bilan : elle était très peu utilisée ».
Les générations se renouvellent
Mais ces difficultés, multifactorielles, trouvent aussi leur origine dans l'évolution de ces professions libéralisées en 1993. Auparavant, le monopole revenait aux communes, qui géraient elles-mêmes ces services de conseil, détachés de la marbrerie, et qui ont aujourd'hui fusionné dans des entités privées. Désormais, 90 % des entreprises de la branche funéraire sont des TME/PME, qui emploient neuf salariés sur dix selon l'Opco EP. Mais ce maillage territorial n'est pas évident à conserver. De nombreuses structures tentent en effet de perpétuer un modèle familial, tandis que le relai n'a pas toujours lieu.
D'autant que la tendance est en ce moment aux départs à la retraite et au renouvellement générationnel. L'Opco, dans son enquête consacrée au secteur en 2022, indique que « le taux de renouvellement montre un ratio de 0,9 salarié de moins de 30 ans, pour un salarié de plus de 55 ans ». De même, « le nombre de salariés recule légèrement sur la période récente (-4% entre 2016 et 2019). Dans le même temps, le nombre d'établissements employeurs progresse de 5 % », alors même que le solde de création-radiation est négatif, avec 0,7 nouvelle entreprise pour une radiée. Pour l'Opco : « La hausse du nombre d'établissements employeurs et la baisse des effectifs salariés pourraient signifier un effet de concentration du secteur ».
S'adapter aux évolutions sociétales
Mais outre les enjeux de renouvellement des petites entreprises, le rapport à la mort évolue également. Les crémations représentent aujourd'hui environ 40 % des funérailles, contre 10 % en 1994. Les cendres peuvent être placées dans des caveaux, mais aussi des columbarium ou être dispersées. Ainsi, les métiers de la marbrerie tendent à être de moins en moins attractifs, remarque Guillaume Fontaine, malgré des besoins toujours forts dans cette profession physique, qui souffre de son image : « Il y a moins de renouvellement de tombes et de monuments entre les générations, mais il reste des suppressions à faire. Les inhumations restent majoritaires. Nous avons besoin que des personnes nous rejoignent. Des reconversions sont possibles, par exemple depuis le secteur du bâtiment ».
De même, le nombre de cérémonies laïques progresse et le maître de cérémonie, auparavant plus en retrait, y prend désormais pleinement part :
« Là où le maître de cérémonie était traditionnellement plutôt discret, facilitateur, il devient aujourd'hui un orateur. Cela lui demande d'autres compétences pour prendre la parole en public, préparer et personnaliser ce moment avec la famille. Rien n'est figé, le champ des possibles est infini. Il intervient aussi dans la dimension digitale, accentuée depuis la crise sanitaire. » Guillaume Fontaine
Ces grandes tendances, progressives, participent à l'évolution de ces métiers, dont les besoins vont grandissants. Pour autant, ce secteur très singulier n'est pas qualifié « en tension » par Pôle emploi Auvergne-Rhône-Alpes, que nous avons contacté, là où les besoins en recrutement se retrouvent dans de très nombreuses filières, comme les transports, et même au sein des collectivités territoriales comme la métropole de Lyon.