Argentine : rien n’est joué pour la présidentielle

Javier Milei, l’outsider « anarcho-capitaliste », est au coude-à-coude avant le second tour avec Sergio Massa, l’actuel ministre de l’Économie, sur fond de crise économique aggravée.
Robert Jules
Débat télévisé entre Javier Milei et Sergio Massa, les deux candidats du second tour de la présidentielle argentine, dimanche dernier à Buenos Aires.
Débat télévisé entre Javier Milei et Sergio Massa, les deux candidats du second tour de la présidentielle argentine, dimanche dernier à Buenos Aires. (Crédits : © Luis Robayo via REUTERS)

Les argentins sont appelés ce dimanche à élire leur président, qui prendra ses fonctions le 10 décembre avec la lourde tâche de s'attaquer à une crise économique qui empire. L'inflation qui s'affiche à 143 % en octobre sur un an devrait atteindre 180 % en décembre. Le peso s'est déprécié de 54 % en un an face au dollar. Aujourd'hui, 40 % de la population vit sous le seuil de pauvreté.

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Arrivé en tête au premier tour avec 37 %, Sergio Massa (centre gauche), actuel ministre de l'Économie, symbolise la continuité du système Kirchner, héritier du péronisme, qui domine la vie politique argentine depuis deux décennies. Javier Milei, qui se définit comme « anarcho-capitaliste », prône une rupture radicale avec « le système », avec des coupes drastiques dans les dépenses publiques et la fin du peso au profit du dollar, un remède de cheval pour juguler l'inflation. Malgré sa percée, il n'a jamais franchi la barre des 30 %, tant aux primaires qu'au premier tour. « Il n'a pas réussi à briser ce plafond de verre », pointe Gabriel Giménez Roche, économiste, professeur associé à la Neoma Business School.

Les deux candidats sont au coude-à-coude dans les sondages, la campagne de second tour n'a pas permis de dégager une dynamique. Tout dépendra des reports de voix. Javier Milei pourrait compter sur les 24 % de Patricia Bullrich, candidate de la coalition conservatrice d'Ensemble pour le changement, qui a appelé à voter en sa faveur, tout comme l'ancien président Mauricio Macri (2015-2019). « Macri a mis toute l'organisation de son parti, ses cadres, ses militants au service de Milei, espérant de cette manière contrôler ce dernier », explique Christophe Ventura, directeur de recherche à l'Iris. Mais ce report reste théorique. « La majorité des électeurs de Patricia Bullrich, de centre droit, rejette la personnalité de Milei, son ton vulgaire et agressif ; il n'est pas sûr qu'ils votent en sa faveur même s'il parle moins de ses réformes radicales comme la dollarisation », estime Gabriel Giménez Roche.

Le recentrage de Milei

Une incertitude amplifiée par le refus de l'Union civique radicale (UCR), parti social-libéral et un des poids lourds de la coalition de Patricia Bullrich, de donner une consigne de vote, et par le risque que le recentrage de Milei lui aliène une partie de son électorat jeune qui, séduit par son discours radical « anti-caste » et anti-État, avait contribué à sa percée spectaculaire lors des primaires. « C'est le niveau d'abstention qui risque de faire pencher la balance », résume Christophe Ventura.

40% de la population du pays vit sous le seuil de pauvreté

Reste à savoir si Sergio Massa peut récupérer une partie de cet électorat. Il a pris ses distances avec l'actuelle vice-présidente, Cristina Kirchner, condamnée à six ans de prison, rappelant qu'il n'a été nommé au ministère de l'Économie qu'en juillet 2022. Mais pour nombre d'Argentins, il représente un système caractérisé par la mainmise de l'État sur l'activité économique : contrôle des capitaux et des prix (sur quelque 50 000 produits !), surtaxes sur les exportations, politique budgétaire inflationniste, subventions aux grandes entreprises, aux PME et aux syndicats... qui se conjuguent avec la politisation de la justice, la destruction de la propriété privée, une presse muselée par le contrôle de la publicité. « C'est un capitalisme de connivence », résume Gabriel Giménez Roche.

Marge de manœuvre limitée

Face à la personnalité de Javier Milei, qu'il a déstabilisé lors du débat télévisé dimanche, le ministre de l'Économie peut faire valoir son image plus lisse et responsable. « Sergio Massa ne prétend pas modifier la structure du modèle de développement argentin, explique Christophe Ventura, mais il veut l'administrer en formant un gouvernement d'unité nationale - une façon pour lui de sortir du strict "kirchnérisme" - en intégrant une partie du centre droit, notamment du courant radical, pour mettre fin à la crise politique et institutionnelle permanente et redresser l'image du pays ».

L'Argentine, trop dépendante de ses exportations de matières premières (céréales, soja, viande, lithium, gaz naturel...), a besoin de stabilité plutôt que de mesures radicales, et de réformes institutionnelles pour mettre fin aux politiques clientélistes qui l'ont conduite à faire défaut sur sa dette. Le pays, qui doit 45 milliards de dollars au Fonds monétaire international (FMI), n'a plus accès au marché international des capitaux et a dû se tourner vers la Chine et le Qatar pour pouvoir honorer ses dernières échéances de remboursement.

Quel que soit le vainqueur, sa marge de manœuvre sera limitée. Aucun des deux candidats ne dispose d'une majorité absolue tant au Sénat qu'au Parlement. Seule certitude, les Argentins veulent du changement. Aujourd'hui, la politique de l'exécutif actuel atteint un record d'impopularité, à 81 %, selon un récent sondage.

Robert Jules
Commentaires 3
à écrit le 20/11/2023 à 1:26
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La France dans dix ans.

le 20/11/2023 à 10:20
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@matins calmes. Pas impossible du tout 😉

à écrit le 19/11/2023 à 9:10
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"« anarcho-capitaliste »" LOL ! L'eau froide et chaude à la fois a un nom ! L'eau tiède.

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