Fraude fiscale internationale : les États musclent leurs échanges de données

Près de 100 pays ont échangé des données sur 84 millions de comptes financiers en 2019, contre 47 millions en 2018, selon de récentes données de l'OCDE. Malgré cette intensification des échanges, la sophistication toujours plus poussée des pratiques d'optimisation et la concurrence fiscale exacerbée à l'échelle de la planète compliquent la tâche des organisations internationales de contrôle.
Grégoire Normand
(Crédits : © Kacper Pempel / Reuters)

L'étau se resserre sur les fraudeurs. Selon un bilan de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) rendu public ce mardi 30 juin, près d'une centaine d'Etats (97) ont échangé des renseignements sur environ 84 millions de comptes financiers implantés à l'étranger par leurs résidents, contre 47 millions en 2018 et 11 millions en 2017. Cette montée en puissance résulte d'une plus grande coopération entre les Etats depuis quelques années en matière de données bancaires alors même que le multilatéralisme est mis à mal par certaines grandes puissances.

"Le système d'échange multilatéral créé par l'OCDE et piloté par le Forum mondial procure désormais aux pays du monde entier, y compris à de nombreux pays en développement, une mine d'informations nouvelles grâce auxquelles leurs administrations fiscales peuvent s'assurer que les comptes à l'étranger sont dûment déclarés. Les pays vont pouvoir mobiliser beaucoup plus de recettes, ce qui est particulièrement important à la lumière de la crise actuelle du Covid-19, tout en se rapprochant d'un monde où les fraudeurs ne pourront plus se cacher" a déclaré le secrétaire général de l'OCDE Angel Gurría dans le communiqué.

Malgré ces efforts, l'opacité et le dumping fiscal demeurent bien ancrés dans certains Etats qui utilisent ces leviers pour tenter d'attirer les multinationales au détriment de l'administration fiscale d'origine.

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10.000 milliards d'euros d'actifs

L'un des résultats marquant communiqué par l'institution internationale basée à Paris est que ces échanges automatiques de données financières ont porté sur 10.000 milliards d'euros d'actifs en 2019 contre 4.900 en 2018 et 1.100 en 2017. Au total, 97 pays ont procédé à des échanges l'année dernière contre 96 en 2018 et 48 en 2017. "Même si le nombre de pays n'a pas beaucoup augmenté entre 2018 et 2019, le nombre d'échanges a clairement bondi" explique à La Tribune, Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE. "Avant beaucoup de pays n'échangeaient pas forcément entre eux comme dans les régions émergentes par exemple. Le volume d'échanges est beaucoup plus important. Plus de comptes font l'objet d'un reporting" ajoute-t-il.

"Un changement de règles du jeu"

Cette montée en puissance de la coopération fiscale internationale reflète "un changement des règles du jeu" selon M.Gurría. Avant 2016, l'échange de telles informations se faisaient sur demande mais depuis 2017, cette coopération peut se faire de manière automatique grâce à un réseau mondial de plus de 6.000 relations bilatérales recensées en 2019 contre 4.500 en 2018. "Il existe deux types d'échanges. L'échange automatique et l'échange sur demande" rappelle Pascal Saint-Amans. "Tous les pays membres du forum ont décidé de faire de l'échange à la demande en 2009. Il n'y plus de secret bancaire à partir de cette date. L'échange automatique de renseignements ne se pratique pas par tous les pays membres du forum. Quelques Etats n'en sont pas forcément capables. Certains Etats ne peuvent pas assurer la confidentialité des données".

En outre, plusieurs pays ont pris des engagements sans vraiment les appliquer. "Plusieurs petites juridictions ont promis de faire de l'échange automatique mais ne le font pas. La dernière place financière qui avait refusé était Panama. Le gouvernement a récemment accepté de faire de l'échange automatique" ajoute-t-il. La prochaine étape est de vérifier que toutes ces données sont des bonnes données. Il faut vérifier la bonne application de ce standard et qu'il n'y ait pas de trou dans la raquette."

Une enquête de l'OCDE publiée en 2019 rappelle que "le renforcement de l'échange de renseignements sous l'égide du Forum mondial est associé à une diminution globale des dépôts bancaires détenus par des entités étrangères dans les centres financiers internationaux de 24 % (410 milliards USD) entre 2008 et 2019. Les programmes de déclaration volontaire, les enquêtes fiscales internationales et les initiatives analogues engagés avant le début de l'échange automatique en 2017 et depuis lors, ont déjà permis d'identifier plus de 100 milliards d'euros de recettes fiscales supplémentaires au niveau mondial".

Des efforts internationaux jugés "insuffisants"

La mise en oeuvre de normes à l'échelle internationale et la fin du secret bancaire annoncé par les pays membres du G20 depuis 2009 ont permis d'accentuer la transparence fiscale à l'échelle du globe. En dépit de ces changements, certains économistes restent perplexes. C'est le cas du Français Gabriel Zucman, auteur avec Emmanuel Saez de l'ouvrage "Le Triomphe de l'injustice" paru en février dernier en France, qui juge "la démarche la plus ambitieuse à ce jour est celle de l'OCDE, qui a lancé en 2016 un programme de lutte contre l'érosion de l'assiette d'imposition et le transfert des bénéfices" (BEPS en anglais) [...] Les données disponibles suggèrent cependant que le plan BEPS et les autres programmes du même type n'ont jusqu'à présent guère brillé par leur efficacité [...] Cet échec apparent a une explication principale : le plan d'action de l'OCDE ne s'attaque pas au coeur du problème. Les grands groupes sont toujours censés échanger des biens, des services et des actifs en interne, avec l'aides des Big Four (les grands cabinets d'audit: Deloitte, EY, KPMG et PWC ndlr), qui leur créent des transactions sans prix de marché. Les comptables qui certifient ces prix de transfert ont toujours intérêt à satisfaire leurs clients, les multinationales, et donc à valider les montages minimisant leur facture fiscale. L'OCDE essaie d'améliorer le système de Ptolémée, alors que c'est une révolution copernicienne dont le monde a besoin".

Une concurrence fiscale exarcerbée

La multiplication des échanges de données n'empêche pas les Etats de pratiquer une concurrence fiscale féroce à l'échelle du globe. "La concurrence fiscale s'est intensifiée depuis le début de la mise en oeuvre du plan BEPS et la course au moins disant s'est accélérée" explique l'enseignant à l'université de Berkeley en Californie. En effet, beaucoup de grandes puissances ont décidé de baisser leur taux d'imposition sur les sociétés. "Entre 2013 et 2018, le Japon a baissé son taux d'impôt sur les bénéfices de 40% à 31%, les Etats-Unis de 35% à 21%, l'Italie de 31% à 24%, la Hongrie de 19% à 9%, et un certain nombre de pays d'Europe centrale suive la même voie" ajoute l'universitaire.

En matière fiscale, si les Etats restent souverains pour décider de leur niveau d'imposition, beaucoup de pays accordent des régimes d'exception très favorables aux grandes multinationales. "L'optimisation fiscale ne serait guère possible sans la complicité des gouvernements des paradis fiscaux, dont la plupart affichent des taux statutaires élevés, mais accordent en pratique des régimes dérogatoires aux entreprises qu'ils courtisent et auxquelles ils fournissent tout un éventail de solutions pour contourner les lois et les règlements en vigueur dans les autres pays".

Grégoire Normand
Commentaires 4
à écrit le 02/07/2020 à 9:42
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Bref une énième stratégie clientéliste et c'est tout.

à écrit le 01/07/2020 à 22:23
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Ah bien. Demandez mr. Cahuzac comme conseillier du gouvernement. Success garantie.

à écrit le 01/07/2020 à 19:05
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C'est étonnant de constater que c'est toujours le Citoyen qui se fait leurrer, en permanence, par de vilains personnages qui se disent: "citoyen du monde"!

à écrit le 01/07/2020 à 14:05
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les gens vont passer par bitcoin et quand y aura des pbs ils feront autrement c'est comme les lois antiblanchiments, sur le papier elles ciblent les vilains mafieux, mais comme les resultats sont a 0 ca cible le vulgus pecus qui va etre flique de t...

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