"La prévision officielle devrait aboutir à une contraction de plus de 10% (du PIB)" en 2022, a prévenu ce mardi Alexeï Koudrine, ancien ministre des Finances de Vladimir Poutine entre 2000 et 2011, cité par l'agence de presse russe Ria Novesti.
Cette chute de l'activité qui va se poursuivre dans les prochains mois est le résultat des sanctions imposées par les pays occidentaux à la Russie en réponse à l'invasion de l'Ukraine décidée par Moscou le 24 février dernier. Selon l'estimation de Focus Economics, un cabinet d'expertise spécialisé dans la prévision économique, la récession pourrait atteindre 8,4% en 2022. Il s'agit là d'une révision spectaculaire de 9,1 points de pourcentage par rapport à son estimation de février! Et le pays devrait être toujours en récession en 2023, avec - 0,8%. "Le départ des entreprises étrangères est en train de faire chuter les investissements, tandis que la hausse de l'inflation, la détérioration du marché du travail, des taux d'intérêt élevés et la faiblesse du rouble devraient réduire les dépenses privées", souligne Focus Economics.
Le poids du secteur de l'énergie
La Russie a la particularité de dépendre en large part de son secteur de l'énergie. Avant la guerre en Ukraine, il pesait en valeur 20% à 25% du PIB, 65% des exportations et 30% des revenus du budget du pays. C'est la raison pour laquelle Volodymyr Zelensky, le président ukrainien, martèle que les Européens doivent suspendre tout achat d'hydrocarbures russes pour faire plier Moscou. Une décision qui fait l'objet d'un débat intense qui divise les Etats européens dont certains, comme l'Allemagne, l'Italie ou encore la Hongrie ont des économies très dépendantes de ces importations. A ce jour, seuls les achats de charbon ont été interdits. Selon le site CREA, qui trace au quotidien depuis le 24 février ces achats d'hydrocarbures, 30,4 milliards d'euros ont été versés à la Russie (dont 19 milliards d'euros pour le seul gaz).
Vendredi dernier, une nouvelle sanction de taille a été ajoutée à la liste : la suppression par les Etats-Unis de la clause de la nation la plus favorisée pour la Russie - la Biélorussie est également sanctionné -, qui lui permettait de bénéficier des mêmes avantages commerciaux que tout autre État, pour l'importation d'un produit similaire. Cette restriction va autoriser tout pays à imposer des taxes douanières sur les importations russes. Une nouvelle étape qui transforme le pays en État paria comme la Corée du Nord.
Signe de cette asphyxie progressive, Moscou été incapable d'honorer le 4 avril le paiement de coupons sur des euro-obligations libellées en dollars, proposant un versement en roubles. Ce qui a entraîné l'abaissement par l'agence de notation Standard & Poor's de sa note de crédit d'émetteur en devises étrangères au statut de "défaut sélectif". La note de crédit d'émetteur en devise locale reste "sous surveillance avec implications négatives". Une dégradation qui la rapproche inexorablement du défaut qu'elle a pu éviter jusqu'à maintenant. "La Russie a essayé de bonne foi de rembourser les créanciers extérieurs en transférant les montants correspondants en devises étrangères pour payer notre dette. Néanmoins, la politique délibérée des pays occidentaux est de créer artificiellement un défaut par tous les moyens", a critiqué le ministre russe des Finances, Anton Siluanov, agitant la menace de poursuites judiciaires. Certaines entreprises n'ont déjà pas pu honorer des remboursements libellés en dollars, comme RZD, la société des chemins de fer russes, ou le groupe minier producteur de diamants Alrosa.
Une inflation à 16,7%
Sur le front intérieur, les ménages russes doivent faire face à une flambée de l'inflation qui s'est affichée à 16,7% en mars sur un an, après 9,15% en février. La hausse des prix est notamment soutenue par la faiblesse du rouble qui renchérit le coût des importations et la réduction de l'offre de biens de consommation qui fait grimper les prix de l'alimentation et de l'énergie. Les experts de Focus Economics prévoient un taux de 19,9% en 2022 et de 12% en 2023.
Pour soutenir sa devise, la Banque centrale russe avait dès le 28 février doublé ce taux à 20% pour stabiliser l'environnement macro-économique, avant de le baisser à 17% le 8 avril pour enrayer la hausse de l'inflation. Il devrait s'établir autour de 18,69% à la fin de l'année et à 11% en 2023. La hausse générale des prix pèse en effet sur l'activité manufacturière. L'indice PMI est tombé à 44,1 en mars (le passage sous le seuil des 50 signifie une contraction de l'activité), après s'être déjà contracté à 48,6 points en février. Il s'agit de son plus bas depuis 22 mois. La baisse est encore plus spectaculaire dans le secteur des services où encore positif en février, à 52,1 points, il a plongé à 38,1 en mars.
Moindre mal, la devise russe s'est stabilisée à son niveau d'avant la guerre. Mardi, le dollar s'échangeait autour de 83 roubles, et l'euro autour des 91 roubles. "Les interventions de la Banque centrale russe ont permis au rouble de regagner le terrain perdu depuis mars (le dollar s'échangeait alors à plus de 130 roubles) après la dégradation de sa dette souveraine en catégorie "junk"", rappelle Focus Economics. La Banque centrale russe a supprimé depuis lundi la commission de 12% appliquée sur l'achat de devises étrangères et lèvera l'interdiction de vendre des devises aux particuliers à partir du 18 avril.
Le rouble bénéficie d'un soutien sous la forme de l'obligation faite aux entreprises exportatrices, notamment dans le secteur des hydrocarbures, de changer en roubles au minimum 80% des devises étrangères qu'elles perçoivent de leurs ventes .
Un impact sur la croissance mondiale
Cette adaptation à l'évolution des sanctions pourrait toutefois trouver des limites. A Kiev, vendredi, la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, rendant visite au président ukrainien a prédit que "la Russie va sombrer dans la décomposition économique, financière et technologique". Mais cette volonté pourrait trouver, elle aussi, des limites, notamment sur l'impact sur l'économie mondiale. « Les négociations actuelles entre l'Ukraine et la Russie pourraient déboucher sur un accord de cessez-le-feu. Mais elles pourraient également ne pas aboutir, et une nouvelle escalade n'est pas à exclure. Dans ce cas, qui impliquerait des sanctions et contre-sanctions encore plus dures, l'inflation mondiale pourrait atteindre 7% en 2022, et la croissance économique se limiter à +2,5%, avant une entrée en récession de l'économie mondiale en 2023 (-0,3%) », avertit Ana Boata, directrice de la recherche économique d'Allianz Trade.