
Les deux ex-républiques soviétiques d'Asie centrale sont loin d'être les principaux partenaires commerciaux de la France, pourtant la visite d'Emmanuel Macron au Kazakhstan puis en Ouzbékistan revêt un fort caractère stratégique. Le président de la République, qui est arrivé dans la capitale kazakhe Astana ce mercredi matin, ambitionne de renforcer sa présence dans la région sur fond de course à l'influence entre Russes, Chinois et Européens. Cela passe notamment par une consolidation de la coopération économique dans plusieurs domaines : matières premières, énergie, aéronautique et pharmaceutique entre autres.
Emmanuel Macron doit s'entretenir dans la matinée avec son homologue Kassym-Jomart Tokaïev et signer des contrats dans les secteurs pharmaceutique et aéronautique notamment, selon l'AFP. Les deux chefs d'Etat ouvriront ensuite ensemble un forum d'affaires franco-kazakh. Emmanuel Macron rencontrera ensuite des étudiants à l'université, avant de s'envoler pour l'Ouzbékistan voisin où il passera la journée de jeudi. La France est ainsi déterminée à imprimer sa marque politique et économique dans la région.
Cette volonté de renforcement économique s'illustre par la présence d'une importante délégation aux côtés du chef de l'Etat dans plusieurs domaines stratégiques, dont Luc Rémont, PDG d'EDF, Sabrina Soussan, PDG de Suez et Philippe Knoche, directeur général d'Orano.
Approvisionnements stratégiques
La présence de ce dernier est loin d'être anecdotique. Spécialiste de l'uranium, Orano veut accroître sa présence au Kazakhstan, où il exploite déjà une mine. Les métaux critiques, indispensables à la transition énergétique et dont la région est riche, figurent ainsi en bonne place dans les discussions avec les deux pays. Le Kazakhstan (45,2%) est le premier producteur mondial d'uranium naturel selon l'agence d'approvisionnement d'Euratom (ESA) et il compte avec l'Ouzbékistan parmi les principaux fournisseurs d'uranium à la France, à hauteur de 40 % de ses importations, et à l'Union européenne. D'où la nécessité de sécuriser cette source d'approvisionnement, notamment au vu du récent coup d'Etat au Niger.
Au même titre, la question du titane pourrait également revenir dans les discussions. Le Kazakhstan est l'un des seuls producteurs d'éponges et de semi-produits en titane de très haute qualité, derrière le Japon et la Russie. Or, l'invasion de l'Ukraine a fortement perturbé l'approvisionnement de ce matériau indispensable à l'aéronautique, avec des industriels occidentaux qui ont bien du mal à s'affranchir de la production russe.
La France cherche également des débouchés locaux, notamment dans le nucléaire. Elle est sur les rangs pour le projet de première centrale nucléaire au Kazakhstan, dont la construction doit être tranchée par référendum d'ici la fin de l'année.
Les échanges bilatéraux se sont élevés à 5,3 milliards d'euros en 2022, pour l'essentiel dans les hydrocarbures. La France est ainsi le cinquième investisseur étranger au Kazakhstan, devant la Chine, du fait de l'implantation du groupe pétrolier TotalEnergies, qui exploite conjointement l'important gisement de Kachagan en mer Caspienne.
Lutte d'influence face à la Chine, la Turquie et la Hongrie
En se rendant dans la région malgré un agenda international chargé, Emmanuel Macron entend « soutenir la souveraineté et la volonté de diversification des partenariats exprimées par les deux pays », relève l'Elysée. Il ambitionne concrètement de renforcer les liens économiques bilatéraux, la coopération sur les grands enjeux climatiques ainsi que la « diplomatie d'influence » de la France envers la jeunesse.
Paris fait valoir à cet égard son intérêt de longue date pour la région où François Mitterrand avait été le premier chef d'Etat européen à se rendre - au Kazakhstan en 1993 et en Ouzbékistan en 1994 - après l'éclatement de l'Union soviétique. Depuis, le président Nicolas Sarkozy s'est aussi rendu à Astana en 2009, tout comme François Hollande en 2014.
En Ouzbékistan, pays le plus peuplé d'Asie centrale avec quelque 35 millions d'habitants et longtemps reclus, Emmanuel Macron réparera près de 30 ans d'absence, aucun président français ne s'y étant rendu depuis 1994. Le président ouzbek, Chavkat Mirzioïev, est lui déjà venu deux fois en France, en 2018 et 2022, avec plus de 6 milliards d'euros de contrats à la clef lors de sa deuxième visite.
L'Asie centrale, longtemps un pré-carré russe, est ardemment courtisée par les grandes puissances à un moment où la Russie est accaparée par son offensive militaire en Ukraine. Dans ce jeu d'influences, la Chine voisine, forte de son grand projet d'infrastructures des « Nouvelles routes de la soie », a pris une longueur d'avance. Mais l'Europe et la Turquie avancent aussi leurs pions. Le Premier ministre hongrois Viktor Orban et le président turc Recep Tayyip Erdogan emboîteront d'ailleurs le pas à Emmanuel Macron jeudi et vendredi à Astana.
Forts de cet engouement, le Kazakhstan et l'Ouzbékistan misent sur l'ouverture économique et une diplomatie d'équilibre pour s'affirmer, même si Moscou reste un partenaire incontournable.
Des régimes autoritaires
Au-delà de leur ouverture économique, les deux républiques demeurent des régimes autoritaires où la répression des manifestations est souvent violente, malgré une volonté affichée de libéralisation politique. En 2022, des émeutes avaient été réprimées dans le sang, faisant respectivement 238 morts au Kazakhstan et 21 en Ouzbékistan.
Si le président ouzbek Chavkat Mirzioïev a certes mis fin en 2016 aux deux décennies d'isolement imposées par son prédécesseur, le redouté Islam Karimov, dont il fut un proche, il ne souffre toujours aucune contestation.
La présidence française préfère de son côté mettre l'accent sur la « dynamique de réformes » dans ce pays et assure que l'Etat de droit sera aussi évoqué durant la visite à Samarcande, joyau architectural ouzbek.
(Avec AFP)
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