« Ne sacrifions pas le réseau de gaz avant d'évaluer le potentiel de biomasse » (Jules Nyssen, syndicat des énergies renouvelables)

ENTRETIEN. Jules Nyssen, le président du syndicat des énergies renouvelables (SER), plaide pour qu'un travail transparent sur l'évaluation du potentiel d'énergie issue de la biomasse, c'est-à-dire des matières organiques comme le bois ou les résidus agricoles, soit lancé au plus vite afin de remplacer les combustibles fossiles. Il s'inquiète du glissement de calendrier de la première loi de programmation sur l'énergie et le climat (LPEC) et redoute que les ambitions du pays soient revues à la baisse. Selon lui, la France doit viser, comme l'Union européenne, 42,5 % d'énergies renouvelables dans la consommation finale d'ici à 2030, contre 20,7% en 2022.
« Il faut d'abord s'attaquer à l'électrification des usages, avec une augmentation de la production d'électricité renouvelable »
« Il faut d'abord s'attaquer à l'électrification des usages, avec une augmentation de la production d'électricité renouvelable » (Crédits : DR)

LA TRIBUNE. L'étude au Parlement de la première loi de programmation sur l'énergie et le climat (LPEC), qui était initialement prévue à l'été, puis à l'automne, pourrait une nouvelle fois être décalée en janvier 2024. Ce glissement de calendrier vous inquiète-t-il ?

JULES NYSSEN. Depuis la rentrée, une petite musique tourne sur le fait qu'il n'y aurait pas de place dans l'agenda parlementaire d'ici à la fin de l'année. S'y ajoute une discussion plus politique sur la capacité du gouvernement à trouver une majorité pour faire voter le texte. Nous avons trois craintes par rapport à cela : d'une part que les ambitions de la loi soient revues à la baisse, d'autre part que la loi soit décalée trop loin dans l'agenda et, enfin, qu'elle soit carrément supprimée ou vidée de sa substance.

Nous estimons, que le volet production, au moins, doit faire l'objet d'une programmation législative, car il s'agit de choix qui engagent la structuration de notre système de production énergétique pour des décennies, bien au-delà de l'échéance 2030-2035. Par ailleurs, ce sont des sujets sur lesquels de gros investissements en capital doivent être mobilisés, ce qui nécessite de la visibilité dans la durée. Enfin, il faut que les industriels qui développent des projets de gigafactories [notamment de panneaux photovoltaïques, ndlr] aient, eux aussi, de la visibilité et qu'ils puissent mesurer l'ambition que se donne la France.

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Davantage d'éléments de cette programmation pourraient passer par voie réglementaire...

On dit qu'une loi se fait et se défait, mais un règlement est encore plus facile à défaire ! Par ailleurs, il est important d'engager le Parlement sur ces sujets. Avec une version réglementaire, on restera dans un régime d'instabilité. Une loi a d'autant plus de sens que nous avons besoin d'adhésion dans un pays où développer des énergies renouvelables n'est pas facile sur le plan de l'acceptabilité. Si les outils de programmation étaient pris par voie réglementaire, ce sera facile de dire ensuite qu'ils ne reposent pas sur un consensus.

Concrètement, qu'attendez-vous du texte en termes de contenu ?

D'abord, la planification écologique doit se décliner à travers deux dimensions : la partie production, et la partie consommation. Pour l'instant, j'ai l'impression que les débats les plus attendus portent sur la consommation, car celle-ci renvoie à la question de l'accompagnement social, c'est-à-dire aux mesures qui devront permettre à chacun de supporter le coût individuel de cette transition.

Même si je ne sous-estime pas l'importance et la complexité de ce volet, j'espère qu'il n'effacera pas l'attention que nous devons aussi porter à la partie production, avec des objectifs concrets en termes de décarbonation de notre mix énergétique. C'est nécessaire, car 60% de nos besoins énergétiques reposent encore sur les combustibles fossiles ! L'enjeu, c'est donc de s'en débarrasser absolument.

En France, l'ambition pourrait être d'atteindre la cible qui a été fixée par l'Union européenne il y a quelques jours, de 42,5 % d'énergies renouvelables dans la consommation finale d'ici à 2030 [contre 20,7% en 2022, ndlr]. Ce qui permettrait de s'approcher d'un mix énergétique fortement décarboné d'ici à 2035, si nous ne perdons pas de temps.

Pour ce faire, il faut d'abord s'attaquer à l'électrification des usages, avec une augmentation de la production d'électricité renouvelable. Ce qui suppose d'avoir des trajectoires ambitieuses sur le solaire et sur l'éolien, au moins pour les dix ans qui viennent. Et pour cause, la décision de construire de nouveaux réacteurs nucléaires ne va pas se traduire par beaucoup plus d'électrons sur le réseau d'ici à cette échéance ! Nous ne pouvons nous passer d'aucune ressource dans la bataille contre le dérèglement climatique. Avoir du nucléaire, c'est très bien, mais ce n'est pas une raison pour freiner le développement d'autres formes d'énergies.

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Par ailleurs, nous ne pourrons pas tout remplacer par l'électricité. Il s'agira donc aussi d'optimiser le recours à toutes les bioénergies [produites à partir de matière organique, comme le bois ou les résidus agricoles, ndlr], qui seront incontournables pour remplacer les énergies fossiles. Depuis très longtemps, les hommes ont appris à brûler du bois pour se chauffer ou pour cuisiner, par exemple. Nous avons besoin d'objectifs ambitieux en la matière.

Cette question des bioénergies fait largement débat. Il y a quelques jours, la présidente de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) a affirmé que le France a « vendu cinq fois la biomasse dans ses différents usages », et le gouvernement répète que cette ressource sera plus limitée que prévu. Qu'en pensez-vous ?

Sur le potentiel énergétique de la biomasse, je n'ai pas de réponse. Mais je ne prends pas pour argent comptant les chiffres qui sont aujourd'hui présentés, et qui me paraissent très restrictifs. Je les croirai à condition qu'on nous explique comment ils ont été calculés.

Cependant, il est sûr que la question des usages se posera. Car si la biomasse est renouvelable, elle n'est pas infinie, comme le sont le vent ou le soleil. Avant de pouvoir être exploitée comme ressource énergétique, celle-ci sert d'abord de puits de carbone et de réserve de biodiversité, puis répond à des enjeux alimentaires.

Or, pour l'énergie, une nouvelle demande se crée, pour les biocarburants dans le transport maritime ou aérien par exemple. Paradoxalement, cela conduit le gouvernement à appeler à des choix de restriction de l'utilisation de cette biomasse, plutôt que de l'étendre. C'est sûr qu'en additionnant ce que tout le monde veut faire avec la biomasse, on arriverait certainement à beaucoup plus que l'hypothèse la plus optimiste en termes de disponibilité énergétique. Pour autant, cela ne signifie pas qu'il y en a cinq fois moins que ce qui avait été anticipé.

Pour y voir plus clair, j'appelle de mes vœux le lancement d'un vrai travail d'évaluation du potentiel énergétique de la biomasse, dans les deux années qui viennent. A partir de celui-ci, on pourra dessiner des stratégies, exactement comme l'a fait le Réseau de transport d'électricité (RTE) pour l'électricité.

Qui doit mener ce travail d'évaluation ?

Je crois qu'il faut que ce soit une structure publique ou assimilée, une sorte de tiers de confiance. Il me semble que l'Ademe [l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, ndlr] est à même de s'y atteler. J'ai cru comprendre que le gouvernement pourrait lui demander d'être l'arbitre des usages de la biomasse. Mais entre travailler dans le secret d'un bureau, et faire quelque chose qui a été très largement concerté, ce n'est pas tout à fait pareil. Et nous, plus que le porteur, ce qu'on souhaite, c'est qu'il y ait vraiment du partage en amont des données qui sont utilisées pour faire le travail de projection. L'idée, ce n'est pas de faire ça en trois mois dans un coin de table.

Il existe pourtant déjà des travaux de l'Ademe sur la question, mais le gouvernement ne semble plus s'y référer. Pourquoi ?

Une composante a sans doute évolué entre les premiers travaux conduits par l'Ademe et aujourd'hui : c'est l'accélération du changement climatique, et l'effet que ça peut avoir sur les cultures et les forêts.

Néanmoins, il y a peut-être aussi des progrès qui peuvent être faits sur la manière de stimuler le développement de la biomasse, avec l'agriculture d'un côté et l'exploitation forestière de l'autre. Qu'est-ce qu'on fait pour favoriser l'entretien, le développement, la croissance de la forêt ? Et pour développer des cultures contribuant à renouveler les sources de biomasse ?

Décider dès aujourd'hui de sacrifier telle ou telle filière au motif qu'on ne dispose pas de suffisamment de biomasse, sans qu'on ait vraiment fait ce travail, c'est quand même un peu problématique.

Vous pensez aux nouvelles chaudières à gaz, dont le gouvernement a évoqué l'interdiction dès 2026 avant de faire marche arrière ?

Je pense plus généralement au réseau de gaz. Je ne dis pas qu'il faut le sauver à tout prix, mais je dis juste que, avant de prendre des décisions radicales, on a besoin de faire cette évaluation. Autrement dit, ne sacrifions pas le réseau de gaz avant d'évaluer le potentiel de biomasse. Il y a un sujet autour du gaz renouvelable [le biométhane issu de la fermentation de matières organiques, comme les résidus de culture ou les effluents, ndlr] à injecter dans les réseaux. Je crois que le gouvernement n'en fait pas mystère : son souhait, c'est d'accélérer le remplacement des chaudières au gaz, en faisant semblant que celles-ci ne fonctionnent qu'au gaz fossile. Ce qui le conduit sans doute à essayer de modérer les ardeurs de production de biométhane injectée dans les réseaux.

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Sur le solaire photovoltaïque, le gouvernement propose un rythme de déploiement annuel de 4,5 - 5 gigawatts (GW) à 7 GW. Est-ce suffisant ?

Cette proposition est vraiment en deçà de notre ambition. Nous considérons que 7 GW annuel doit être un minimum et non un maximum d'ici à 2030 ! Et qu'il faut déployer 10 GW par an entre 2030 et 2035. Rappelons quelques données : en 2022, la France a installé 2,7 GW de solaire, tandis que l'Allemagne en a installé 7,9 GW. La même année, l'Espagne en a installé 7,5 GW. L'exemple des Pays-Bas est encore plus marquant. Ce pays, qui n'est pas grand et très dense, en a installé 4 GW.

Si nous prenons la capacité solaire installée et qu'on la divise par le nombre d'habitants, la France n'est même pas dans les dix premiers du classement en Europe ! C'est un problème, surtout pour un pays qui ambitionne d'accueillir deux gigafactories de panneaux solaires. Il faut que nous soyons cohérents en affichant une ambition solaire très forte. Ce n'est pas en commençant par raboter les objectifs que nous allons initier cette dynamique.

Quid de l'éolien terrestre ? Une première proposition évoque un rythme d'installation d'1,5 GW par an...

Sur l'éolien terrestre, il y a moins de divergence entre notre vision et ce que propose le gouvernement. Nous sommes tous conscients que l'exercice est contraint par un tas de normes et des problématiques d'acceptabilité. Pour autant, il reste du potentiel, surtout si on lève certaines contraintes.

Aujourd'hui, il y a des contraintes de radar qui imposent une hauteur maximale et des contraintes de biodiversité, qui imposent que l'éolienne se situe à une hauteur minimum au-dessus du sol. Résultat : la taille du rotor est mécaniquement réduite et il n'y a plus qu'un seul fournisseur de turbines capable de fournir l'essentiel du marché français.

Néanmoins, nous prenons acte du fait que le gouvernement souhaite redonner une dynamique à l'éolien terrestre [pour mémoire, dans son discours de Belfort, en février 2022, Emmanuel Macron proposait de repousser à 2050, l'objectif initialement fixé en 2030, ndlr]. Car d'ici 2035, c'est surtout l'éolien terrestre et le solaire qui vont faire les gros volumes. Les électrons produits par l'éolien en mer, eux, n'arriveront massivement que dans un second temps.

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Commentaires 6
à écrit le 20/09/2023 à 1:53
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Le monsieur veut 7GW de plus chaque année alors que les prix de l'électricité sont déjà régulièrement négatifs l'après -midi...

à écrit le 19/09/2023 à 17:17
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En parlant de gaz : L'Azerbaïdjan a lancé des "activités antiterroristes locales" dans la région séparatiste du Haut-Karabakh, peuplée majoritairement d'Arméniens, une opération qui pourrait ouvrir la voie à un nouveau conflit entre Bakou et Erevan....

à écrit le 19/09/2023 à 15:09
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Il y a gaz et … gaz ! Si nous connaissons le gaz d'origine fossile , il revêt bien d'autres formes. Ainsi, ma région (Nord pas de calais) extrait certes modestement du gaz issu des anciennes mines de charbon. Mais il y a beaucoup plus prometteur comm...

à écrit le 19/09/2023 à 15:00
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Il serait temps de mettre à ces postes des ingénieurs scientifiques visionnaires..

le 20/09/2023 à 5:59
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Hérétique !!! Les valeurs de l'idéologie priment sur la science matérialiste... ;)

à écrit le 19/09/2023 à 14:47
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En gros ça veut dire: Le gaz c'est bien. La biomasse est la caution de tous les gaz. Bien essayé.

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