LA TRIBUNE DIMANCHE - Emmanuel Macron a parlé de l'infertilité comme du « tabou du siècle ». En tant que spécialiste de la procréation médicalement assistée (PMA), êtes-vous d'accord avec lui ?
FRANÇOIS OLIVENNES - Je ne dirais pas que c'est le tabou du siècle, mais c'est bien sûr un sujet tabou. Les gens considèrent l'infertilité comme une tare ou un handicap. Je vois beaucoup de personnes qui ont du mal à en parler à leur entourage, certaines femmes n'en parlent même pas à leur mère. C'est considéré comme honteux notamment parce que ça touche à l'intime. On a aussi l'impression que la reproduction est, normalement, quelque chose qui va de soi. Dans le cas de l'infertilité masculine, il y a une sorte de confusion entre fertilité et virilité. Et du côté de la femme, une sorte de honte de l'incapacité à se reproduire.
Un grand plan sur l'infertilité vous semble-t-il pertinent ?
Je me méfie des annonces qui ne sont pas suivies de moyens. On a eu d'âpres bagarres pour ouvrir la possibilité pour les femmes seules et les couples de femmes d'avoir accès à la PMA. Les femmes ont enfin eu la possibilité de congeler leurs ovocytes. Mais cela n'a été suivi d'aucune mesure véritable pour permettre aux centres de prendre en charge les patientes. Aujourd'hui, en région parisienne, une femme qui veut congeler ses ovocytes doit attendre à peu près deux ans, ce qui représente une perte de temps tout à fait significative dans sa capacité à procréer. On a fait une loi qui n'est pas suivie d'effets. Donc attendons de voir le plan et les moyens qui lui sont attribués. Il n'y a pas eu d'investissement de l'État vis-à-vis de la prise en charge de l'infertilité. Si aujourd'hui le gouvernement a vraiment envie de s'en occuper, il y a du boulot. Les beaux discours et les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent.
Vous êtes circonspect, donc.
L'infertilité n'a jamais été une priorité en France. On a eu plus de bâtons dans les roues que d'aides. Ça a toujours été le parent pauvre de la médecine. Les soins d'infertilité représentent un coût de l'ordre de 1 milliard sur les 254 milliards alloués à la Sécurité sociale. Et si on regarde les taux de succès de PMA, la France est chaque année en bas du classement des pays européens. On est en retard sur la loi, sur les méthodes, sur la formation, on est en retard sur tout. Il faut avoir une politique d'action, pas juste de déclaration.
La natalité a baissé de 6,6 % en 2023 selon l'Insee, soit le chiffre le plus bas depuis 1946. Comment l'expliquer ?
Pour ma part, je ne pense pas que cette baisse de la natalité soit principalement liée à l'infertilité. Elle est probablement aussi liée au fait qu'aujourd'hui un certain nombre de couples n'ont pas envie de faire des enfants pour d'autres raisons. Ça peut être un choix. En ce qui concerne la hausse de l'infertilité, le facteur principal est celui de l'âge de la femme. C'est moins sensible pour les hommes. Les femmes qui ont plus de 38 ans représentent aujourd'hui 40 % de ma clientèle. En l'espace de dix ans, c'est devenu quelque chose de phénoménal. Malheureusement, la moitié d'entre elles n'arriveront jamais à procréer avec leurs propres ovocytes. C'est pourquoi il faut développer le don d'ovocytes. Cette méthode formidable est en état de mort cérébrale en France. Parallèlement, il y a chez les hommes une baisse de la production de spermatozoïdes, qui sont de plus en plus déficients. Et puis il y a l'énorme bouteille à l'encre de ce qu'on appelle les perturbateurs endocriniens, c'est-à-dire toutes les molécules qui peuvent avoir un impact éventuel sur les fonctions reproductives tant de l'homme que de la femme. Mais ce serait un leurre de penser que la PMA va apporter une solution à tout.
Le fait qu'on soit de moins en moins nombreux, est-ce si grave ?
Cela dépend des proportions. Des simulations ont été faites et montrent que l'Italie va perdre 12 millions d'habitants d'ici à 2040. Cela veut dire que, sur une échelle de temps très long, des populations entières s'éteindraient. Si la baisse est drastique, il y a un enjeu de survie de l'espèce. Sans compter d'autres enjeux comme le paiement des retraites, par exemple. Cela peut paraître bassement terre à terre, mais ça n'est pas complètement négligeable.
Emmanuel Macron parle de « réarmement démographique ». Faut-il y voir une injonction adressée aux femmes ?
Quand en 2008 j'ai fait mon livre N'attendez pas trop longtemps pour avoir un enfant [Odile Jacob], j'expliquais les limites de la reproduction liées à l'âge des femmes. Je pensais qu'il était important qu'elles soient au courant de la physiologie de leur corps. Beaucoup de féministes ont pensé que je renvoyais les femmes à leur rôle de mère. Mais ce n'est pas du tout mon propos. Je crois qu'on peut très calmement expliquer les difficultés de la reproduction des femmes sans faire une injonction de maternité. Par contre, utiliser des termes guerriers pour parler d'infertilité ne me paraît pas être un bon choix.
Dans l'émission Quotidien, Bruno Le Maire s'est dit en « réflexion » sur la question de la gestation pour autrui. Peut-il y avoir une évolution de la classe politique sur ce sujet ?
Franchement, j'ai trouvé étonnante la façon dont il a réagi ! Il est assez intelligent dans ses propos. Mais je ne crois pas à l'évolution de la classe politique. Je l'espère pourtant parce que j'ai toujours été favorable à une GPA contrôlée, pas à celle pratiquée en Ukraine ou en Inde. Mais en France, il y a une très forte opposition à cela, Emmanuel Macron a dit à plusieurs reprises qu'il était contre. Cela me paraît toujours facile de décréter qu'une femme ne peut pas porter d'enfant pour une autre sans en souffrir ou de dire qu'un enfant qui a grandi dans le ventre d'une femme ne peut pas être heureux dans une autre famille. Toutes ces affirmations extrêmement péremptoires me paraissent critiquables. Une réflexion sur le sujet me paraît plus bénéfique que de s'insulter.