C'est la neuvième manifestation organisée contre l'antisémitisme en France depuis le début des années 1980. Et elle est historique. Les citoyens appelés à marcher cet après-midi à Paris à partir de 15 heures entre les Invalides et le Sénat défileront dans un contexte d'extrême tension internationale, plus d'un mois après les pogroms perpétrés en Israël par le Hamas. Dans un climat, aussi, de puissante résurgence de l'antisémitisme, avec plus de 1 200 actes antijuifs recensés sur le territoire national depuis le 7 octobre. À l'initiative de ce rassemblement, Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher, les présidents des deux assemblées, espèrent susciter « un cri de conscience », « un sursaut pour manifester que les Français ne se résigneront jamais à la fatalité des haines ». Des rassemblements sont aussi organisés devant toutes les préfectures. Il paraît vain d'espérer laisser de côté les querelles politiciennes, omniprésentes depuis que Marine Le Pen a annoncé sa présence à la marche (lire page 4) et qu'a contrario Jean-Luc Mélenchon a confirmé qu'il n'y serait pas. « On a prévenu tout le monde mais on n'a invité personne », balaie-t-on dans l'entourage du président du Sénat. « On savait parfaitement qu'il y aurait un jeu politicien. Est-ce que c'était une raison pour ne pas le faire ? » abonde un proche de Yaël Braun-Pivet.
Même le gouvernement se déchire sur la présence de l'ancienne candidate à la présidentielle et de ses partisans. « À mon sens, le RN n'a pas sa place dans cette manifestation », a ainsi estimé le porte-parole Olivier Véran, quand son collègue Gérald Darmanin assène : « Notre travail, dimanche, ce n'est pas de lutter contre le RN, ça, c'est le travail tous les jours quand on fait de la politique. Notre travail, c'est de lutter contre l'antisémitisme. » À rebours de ce bazar, Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher marchent main dans la main, comme sans doute rarement dans l'histoire de la République. La tribune conjointe publiée dans Le Figaro ainsi que l'appel à la manifestation ont été élaborés lors d'un déjeuner entre les deux responsables du pouvoir législatif lundi dernier à l'hôtel de Lassay. La présidente de l'Assemblée nationale s'est chargée de l'organisation pratique du rassemblement. « C'est vrai qu'au Sénat on n'a pas trop l'habitude d'organiser des manifestations », s'amuse-t-on au Palais du Luxembourg. Le carré de tête a été soigneusement constitué. Cinq personnalités seront particulièrement visibles. Les deux présidents des assemblées, la Première ministre, Élisabeth Borne, ainsi que les deux anciens présidents de la République Nicolas Sarkozy et François Hollande. Leur présence symbolise le mot d'ordre de la journée : « Pour la République et contre l'antisémitisme ». Aucune place n'est en revanche prévue pour les chefs de parti, ce qui évite de se poser la question du traitement d'Éric Zemmour et de Jordan Bardella. Emmanuel Macron a, lui, expliqué hier qu'il sera présent « par le cœur et par la pensée » à cette marche qui vise à « bâtir l'unité du pays ». ■
Déjà huit grandes marches contre l'antisémitisme 19 février 2019 Série d'actes antisémites (profanations de tombes notamment) 20 000 personnes à Paris selon le Parti socialiste 28 mars 2018 Meurtre de Mireille Knoll (23 mars) 30 000 personnes à Paris selon les organisateurs 25 mars 2012 Tueries commises par Mohammed Merah (sept personnes dont trois enfants, entre le 11 et le 19 mars) 20 000 personnes à Paris selon les organisateurs, 2 800 selon la police, 6 000 à Toulouse (police) 26 février 2006 Assassinat d'Ilan Halimi 200 000 personnes à Paris selon le Crif, 33 000 selon la police. 16 mai 2004 Actes antisémites d'avril (agression d'un rabbin, dégradation de tombes) 80 000 personnes selon les organisateurs, 9 000 selon la police. 7 avril 2002 Attaques de synagogues fin mars 250 000 personnes selon le Crif, 53 000 selon la police 14 mai 1990 Profanation du cimetière de Carpentras (nuit du 8 au 9 mai) 200 000 personnes à Paris 7 octobre 1980 Attentat de la rue Copernic (4 morts, le 3 octobre) 200 000 personnes à Paris TÉMOIGNAGES Anne Sinclair, journaliste : « Nous serons vingt et cent, nous serons des milliers » Marcher, marcher une fois de plus. C'est l'une des armes des citoyens en démocratie. Une façon de se retrouver solidaires ou de refuser l'abjection. Il y a les marches militantes qui sont affaire personnelle. Mais il y a aussi les marches citoyennes qui rassemblent tout un pays, bien au-delà des choix de chacun. Sans remonter très loin, il y en eut de mémorables. Je me rappelle celle du 1er mai 2002, où, sonnés par l'accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle, nous nous sommes retrouvés près de 500 000 à Paris, entre République et Nation, et autant dans le reste de la France. Je me rappelle celle du 11 janvier 2015, où 4 millions de Français, bouleversés par les tueries à Charlie Hebdo et à l'Hyper Cacher, ont défilé dans tout le pays, comme jamais depuis la Libération. Je me rappelle novembre 2015 où, choqués par le massacre au Bataclan et l'abomination des tueries aux terrasses voisines, nous avons encore une fois mêlé nos bougies et nos larmes place de la République. Ce dimanche 12 novembre, c'est nous tous en tant que citoyens français qui sommes interpellés. L'antisémitisme n'est pas l'affaire des Juifs mais celle de la nation tout entière. La haine antijuive souille l'ensemble du corps social. La France a su renverser des siècles de mises à l'écart en 1791, en faisant des Juifs des citoyens comme les autres. Elle a su se dresser aux côtés de Zola, de Jaurès, de Clemenceau pour combattre l'antisémitisme pendant l'affaire Dreyfus. Elle a su crier sa contrition, par la voix même d'un président de la République, reconnaissant enfin que la France avait « commis l'irréparable » durant l'Occupation. Et nous reverrions dans notre pays renaître ce poison ? Comment admettre que 1 040 agressions aient frappé les Juifs en un mois, près de trois fois ce qui arrive en un an ? Comment supporter que des familles soient obligées de cacher leur appartenance pour éviter d'être attaqués ? Comment accepter cette banalité qu'est en train de devenir l'hostilité contre les Juifs dans la rue, sur nos murs, dans le métro ? Au Moyen-Orient se déroule une guerre terrible qui nous éprouve tous. Un pogrom d'une ampleur et d'une sauvagerie inédites depuis la Shoah a ravagé Israël, suppliciant des femmes enceintes, des vieillards sans défense, des bébés devant leurs parents. À Gaza, les bombardements tuent des centaines d'innocents, femmes et enfants victimes de terroristes implacables qui les empêchent de fuir, en gardant 240 otages qu'ils pourraient libérer s'ils se souciaient de la sauvegarde de leur peuple. Je pleure les mères de Gaza sous les bombes comme je hurle devant l'horreur des crimes du Hamas qui défigure le combat légitime des Palestiniens. Mais ici, en France, refusons de nous laisser envahir par le racisme ou l'antisémitisme toujours prompts à se faufiler. Je marche ce dimanche de l'Assemblée au Sénat. Je me moque bien de qui s'associe à cette marche ou qui la refuse pour des motifs spécieux. C'est leur problème, pas le mien, pas le nôtre. Nous serons vingt et cent, nous serons des milliers. Sophia Aram, humoriste : « Abandonner la lutte contre l'antisémitisme aux Juifs est profondément raciste » Ce dimanche, j'irai marcher contre l'antisémitisme. Et d'ailleurs, pourquoi ne le ferais-je pas ? Qu'est-ce qui pourrait justifier de renoncer à lutter contre l'explosion de haine envers les Juifs qui traverse le monde depuis le 7 octobre ? Faudrait-il laisser cette fanfare battre le rappel à force de comparaisons douteuses, d'amalgames foireux et d'appels à la haine ? Que le Rassemblement national se joigne au cortège pour faire oublier l'antisémitisme de son fondateur ou les incantations de sa fille pour une normalisation des relations avec l'Iran n'a rien d'anecdotique. Le RN reste dangereux, mais sa participation ne change rien au fait qu'il le soit et ne saurait justifier qu'on abandonne à ces tartuffes le terrain de l'antiracisme par crainte que le RN en devienne le fer de lance. Je tiens à vous rassurer : l'hypothèse est aussi faible que sans danger. A contrario, j'imagine que pour lutter contre l'extrême droite il doit y avoir plus efficace que de lui abandonner la défense d'un principe fondateur du pacte républicain. L'absence de La France insoumise, dont le député David Guiraud nous explique que manifester dimanche contre l'antisémitisme revient « à normaliser le soutien inconditionnel au nettoyage ethnique qui se passe à Gaza », ne me démotive pas plus que le fait que Mélenchon réduise cette manifestation au « rendez-vous des amis du soutien inconditionnel au massacre », parce que assimiler la lutte contre l'antisémitisme au soutien des bombardements sur Gaza est aussi navrant que de réduire la défense des Palestiniens à de l'antisémitisme. Pourtant au-delà des petites manœuvres de Le Pen et Mélenchon, il est encore plus urgent de lutter contre le peu d'intérêt que suscite la lutte contre l'antisémitisme en dehors de la communauté juive. Un constat que partagent tous ceux qui ont manifesté après l'assassinat d'Ilan Halimi, la tuerie d'Ozar Hatorah, l'assassinat de Mireille Knoll : les manifestations contre les actes antisémites ne mobilisent que les Juifs ou presque. C'est peut-être là le drame, ne même plus s'apercevoir qu'abandonner la lutte contre l'antisémitisme aux Juifs est profondément raciste. Voilà pourquoi aujourd'hui je participe à cette marche avec tous ceux qui défendent l'idée que la lutte contre le racisme et l'antisémitisme est l'affaire de tous. Arthur, animateur, producteur de télévision : « Les miens n'ont jamais eu aussi peur » Je marche ce dimanche pour la République et contre l'antisémitisme. Je marche car depuis les massacres du 7 octobre la haine du Juif a ressurgi dans toutes les capitales. Malgré la vigilance de nos dirigeants et la force de nos institutions, cette haine circule librement dans nos rues, dans les universités, sur les réseaux sociaux... Une fois encore attisé par les extrêmes, cet antisémitisme à la fois lâche et violent nous rappelle les heures les plus sombres de l'Histoire. Je marche parce que juif, et parce que les miens n'ont jamais eu aussi peur. L'antisémitisme n'est pas uniquement le problème des Juifs, c'est toute la société qu'il menace car il est toujours prélude d'une haine qui frappera tout le monde. C'est pourquoi j'espère que nous serons nombreux et que ceux si silencieux depuis déjà un mois nous rejoindront en se souvenant que nous avons besoin d'eux, de leur voix, de leur soutien... Rappelant à tous que la lumière triomphe toujours face aux ténèbres. Marc Levy, écrivain : « Marcher pour faire rempart contre la haine » Marcher pour célébrer la vie face à ceux qui glorifient la mort. Marcher pour la dignité des enfants, des femmes et des hommes qui veulent être libres et aimer. Marcher pour faire rempart contre la haine. Marcher par solidarité, par amour des valeurs de la démocratie. Avancer ensemble main dans la main, de toutes religions, de toutes origines, unis par le seul désir de rendre plus fortes les voix de ceux qui veulent vivre en harmonie, sur des terres de paix et de tolérance. Car aimer nos différences n'est pas une utopie, mais la plus belle expression de notre humanité. Lilian Thuram, footballeur : « Le "nous" est tellement essentiel » Il y a quelques jours, ma femme et moi avons allumé trois cierges. Deux pour la mémoire des victimes. Et une pour nous éclairer, nous les vivants. J'ai l'impression d'être dans un cauchemar. Je sens la peur. Celle qui peut nous rendre insensibles, violents. Celle qui coupe tout dialogue. Cette peur qui nous fait oublier que l'autre est nous. Le NOUS est tellement essentiel. Il est vital. La haine brûle tout sur son passage. Tout, c'est tout le monde, peu importe la couleur de peau, la religion, la sexualité. Plus fort aujourd'hui qu'hier et tous ensemble, pour ne pas être emportés par les haineux, dénonçons avec force l'antisémitisme, l'islamophobie, le racisme. Seules les personnes de bonne volonté protégeront cette lumière qui permet de voir l'autre comme un être humain avant tout, comme notre semblable. Vive la France. Danièle Thompson, scénariste, réalisatrice et écrivaine : « Affirmer que nous voulons être les héritiers des Justes » L'antisémitisme, c'est comme le cancer, une maladie qu'on peut ignorer tant que les symptômes ne se déclarent pas. En cas d'alerte, on espère qu'il n'est pas trop tard. On sait aussi qu'une rechute peut être fatale. Il n'est jamais trop tard. Mais, comme le cancer, on n'a pas envie de regarder l'antisémitisme en face. Et d'ailleurs, c'est quoi ? Ça vient d'où ? Depuis quand ? Finalement, peu de gens se considèrent comme antisémites. Il y a aussi une forme d'antisémitisme passif, ceux que l'antisémitisme ne gêne pas. Ceux-là ne viendront pas à la manif ce dimanche. Ils s'en foutent, ils ne se sentent pas concernés... Et pour beaucoup, la politique ici, la guerre là-bas serviront de prétexte à renoncer encore une fois à descendre dans la rue pour crier très fort qu'ils refusent de voir dans notre pays des vieilles dames poignardées ou jetées par les fenêtres et des enfants massacrés dans leurs écoles parce qu'ils sont juifs. Il ne s'agit pas aujourd'hui de prendre position dans le conflit tragique au Moyen-Orient. Il s'agit de rappeler que nous les Juifs vivons sur la terre de France depuis des millénaires. Il s'agit d'affirmer que nous VOULONS tous être les héritiers des Justes, ceux qui il n'y a pas si longtemps ont caché dans leurs foyers des familles condamnées à la déportation et à la mort au risque de leur vie, plutôt que de ceux qui ont détourné les yeux. Michel Cymes, médecin et présentateur de télévision : « Pour montrer à mon grand-père, déporté, que l'Histoire ne recommencera pas » Je marche ce dimanche. Je marche parce que le 14 mai 1941, mon grand-père, confiant dans ce pays dans lequel il s'était réfugié, a répondu à la convocation de la police française. Arrêté, déporté, assassiné à Auschwitz. C'était la « rafle du billet vert ». Ce pays, qu'il considérait comme un refuge, ne l'a pas protégé. Son petit-fils marche pour lui montrer que l'Histoire ne recommencera pas. Que ce pays, mon pays, me protégera, non pas parce que je suis juif, mais parce que je suis français. Et que, comme tous les Français, quelles que soient leur religion, leurs croyances, leur couleur de peau, je dois pouvoir sortir dans la rue sans avoir peur. Je marche pour dire qu'être français juif, ce n'est pas cautionner le gouvernement de Netanyahou. Qu'être français juif, c'est pleurer avec les parents des enfants morts le 7 octobre, mais aussi avec les parents des victimes à Gaza. Qu'être français juif, c'est être (très) mal à l'aise de marcher avec le Rassemblement national. Qu'être français juif, c'est envoyer un message à Mélenchon et à ses amis de LFI pour leur dire qu'ils se mettent seuls au ban de la République, et qu'ils ont raison de ne pas marcher avec nous, car ils n'y ont pas leur place. Qu'être français juif, c'est d'abord être français, et en être fier. Philippe Caverivière, humoriste : « Si on marchait un peu ensemble... » Phil : été 1995, Club Med Arziv, Israël, le soleil tombe en morceau ; le souci, c'est que les katiouchots (les missiles artisanaux du Hezbollah) aussi... Moi, à la base, j'étais plus venu pour les cheveux bouclés des Israéliennes. Le lendemain de l'alerte, je déjeune avec des enfants (je ne suis pas pédophile, juste responsable mini-club) : on entend BOUM BOUM. Une petite de 6 ans pleure à table. Moi aussi, j'ai envie de chialer, mais je me retiens, j'ai 27 ans, bordel... La grande sœur de 12 ans lui explique : « Boum, c'est les missiles. Boum boum, c'est nos avions. » Elle avait intégré les « sons de la guerre » - j'imagine que les petits Palestiniens ont intégré eux aussi ces « sons de la guerre » qui n'ont rien à foutre dans une enfance... Saison suivante, je suis à l'Alpe-d'Huez, plus calme niveau katiouchot... Au kids club, il y a deux sœurs jumelles israéliennes, elles parlent et jouent avec un frère et une sœur marocains. Je m'approche redoutant un pugilat (je plaisante, ils s'adoraient), je reconnais la langue arabe : je demande aux petites Israéliennes pourquoi elles parlent arabe. Réponse : « On apprend l'arabe à l'école car on doit faire la paix avec nos frères arabes » : tout est dit... Pas de préjugés dans leurs quatre cœurs. Aucune salissure. Juste le jeu, la rencontre, la richesse de la différence de l'autre... « Je te donne toutes mes différences », comme le chante Goldman. Dimanche soir dernier, je regardais l'excellente émission Le Papotin, avec ses pensionnaires autistes, ceux qu'on appelle les zinzins, les fêlés, les gogols, toutes ces personnes qu'on pense inférieures semblent à l'abri de toutes pensées, considérations antisémites ou racistes. Et si c'était nous, les handicapés ? Tiens, si on marchait un peu ensemble. Dimanche... et tous les autres jours. Thierry Ardisson, présentateur de télévision : « Je manifeste contre l'antisémitisme. Mais pas pour Benyamin Netanyahou » Bruno Solo, acteur : « Je fais le rêve qu'en marchant nous piétinions définitivement l'antisémitisme ! »