Banque centrale européenne (BCE) : comprendre sa politique monétaire

La politique monétaire est l'une des actions majeures qui pilotent l'économie d'un pays avec la politique budgétaire. En zone euro, elle a la particularité de s'appliquer à 19 pays de l'Union économique monétaire (UEM). Pour comprendre les enjeux des décisions de la Banque centrale européenne (BCE), la Tribune propose un vade mecum en 9 questions.
Le siège de la Banque centrale européenne (BCE), à Francfort (Allemagne).
Le siège de la Banque centrale européenne (BCE), à Francfort (Allemagne). (Crédits : Kai Pfaffenbach)

1/ Une décision sur les taux est-elle toujours prise lors d'une réunion prévue à l'avance ?

C'est le conseil des gouverneurs de la banque centrale européenne qui prend la décision lors d'une réunion prévue à l'agenda. Mais, en théorie, le conseil des gouverneurs peut se réunir en urgence dans des circonstances exceptionnelles (crise financière...) et prendre une décision en dehors de l'agenda prévu. Théoriquement, les baisses ou les hausses pourraient être modulées de façon plus fine que par tranche de 25 points de base. C'est plutôt une convention qui s'applique d'ailleurs à toutes les banques centrales.

2/ Qu'est-ce qu'un taux neutre ?

Le taux neutre est avant tout un concept théorique et non une variable que l'on peut constater directement. Le taux neutre est celui qui va stabiliser à la fois l'économie et l'inflation. C'est un taux de maturité courte (un an) qui doit stabiliser à long terme l'économie. Il existe deux façons de l'estimer. Tout d'abord par des modèles qui reposent sur toute une littérature scientifique. Mais il peut également s'approcher par des données de marché, notamment les anticipations à long terme, de taux à un an. Par exemple, il peut être équivalent au taux à un an anticipé dans 8 ou 9 ans.

Aujourd'hui, il est estimé autour de 2 % en zone euro, soit un taux réel de 0% dans l'hypothèse d'une inflation de long terme de 2 %. C'est avant tout un repère pour les marchés et non un objectif de politique monétaire. On peut l'atteindre, voire le dépasser. Comme le rappelle souvent Christine Lagarde, la politique monétaire est un « voyage », un cheminement qui doit être sans cesse réajusté pour parvenir à l'équilibre.

3/ Qu'est-ce que le taux terminal ?

C'est un concept plus récent, apparu avec la remontée des taux, mais qui n'est pas utilisé par tout le monde. L'idée repose sur le principe qu'un cycle de hausse de taux doit s'arrêter à un moment donné, avant de connaître une stabilisation, puis une baisse. Il répond à la question de combien doivent monter les taux pour faire baisser l'inflation. Le taux terminal est donc différent du taux neutre car il peut être plus élevé, pour ensuite revenir vers le taux neutre. En termes mathématiques, c'est le maximum local. Ce taux est estimé par le marché et il varie en fonction du contexte économique et financier. Aux Etats-Unis, le taux terminal était estimé à 3,5% il y deux mois, et il est aujourd'hui plus proche de 5%.

4/ Pourquoi la banque centrale a-t-elle abandonné la « forward guidance » ?

La « forward guidance » (indications sur l'orientation future de la politique monétaire) a été mise en place ces dernières années dans un contexte de risque déflationniste. La politique monétaire cherchait alors à stimuler l'économie en baissant les taux. Ces derniers peuvent baisser jusqu'à zéro, et même un peu en-dessous (le taux plancher de la  BCE a été abaissé jusqu'à -0,5%), mais ils ne peuvent être trop négatifs (sinon il y aurait des fuites vers les billets). En cas de choc déflationniste, comme lors de la crise de Covid, les banques centrales ont massivement baissé les taux à court terme : comme il y a une limite inférieure à cette baisse, les banques centrales ont annoncé qu'elles maintiendraient leurs taux bas plus longtemps afin de faire baisser les taux longs (qui sont déterminés par les anticipations sur les taux courts futurs). C'est la « forward guidance », qui est donc liée à un problème de borne inférieure des taux et à un environnement déflationniste. Le contexte est aujourd'hui radicalement différent, avec des taux plus élevés. Il devient de plus en plus difficile d'anticiper l'environnement économique, surtout depuis la guerre en Ukraine.

Après la Fed, la BCE a donc décidé en juillet dernier d'abandonner la « forward guidance » faute de pouvoir donner au marché des indications claires en matière de politique monétaire, notamment sur le rythme de hausse des taux. Les banques centrales ne peuvent pas en effet s'engager sur une promesse qu'elles ne pourraient finalement pas tenir. C'est le fameux pilotage « meeting by meeting » de la BCE qui réévalue la situation avant chaque décision sur les taux.

5/ La masse monétaire est-elle un indicateur clé de politique monétaire ?

En réalité, la banque centrale suit un très grand nombre d'indicateurs, dont aucun n'est déterminant à lui seul. Cela fait longtemps que les banques centrales ont abandonné le suivi de la masse monétaire comme indicateur principal pour piloter leurs politiques monétaires. Pour une raison simple : la relation entre masse monétaire et prix, sur laquelle repose la théorie quantitative de la monnaie, n'est pas robuste, notamment parce qu'il est très difficile d'estimer en pratique la vitesse de circulation de la monnaie. De plus, le volet économique a rapidement pris le dessus sur le pilier monétaire dans la conduite de la politique monétaire. La banque centrale va donc examiner une batterie d'indicateurs (inflation réalisée, prévisions d'inflation, taux de chômage effectif et naturel, évolution des prix des matières premières, les taux de change, les variables de crédit...) avant de prendre une décision.

6/ Pourquoi l'objectif d'inflation à moyen terme est fixé à 2 % ? Qui décide de l'ajuster ?

Le mandat donné à la Banque centrale européenne par le Traité européen est la stabilité des prix, sans un objectif quantifié. L'objectif d'une inflation à 2%, lui, a été fixé par le Conseil des gouverneurs de la BCE. En théorie, la stabilité devrait correspondre à une inflation à 0%. Mais ce n'est pas possible pour deux raisons. La première, c'est qu'en cas de choc, la banque centrale doit pouvoir baisser ses taux d'intérêt pour stimuler l'économie, en ramenant son taux nominal à 0%, voire légèrement moins, soit un taux réel à -2%. Or c'est le taux réel qui pilote l'économie, les investissements... Un objectif d'inflation à zéro ne permettrait donc pas de lutter efficacement contre les crises.

Le deuxième argument est qu'un objectif d'inflation à zéro en moyenne signifierait que pour certains secteurs l'inflation serait négative, ce qui impliquerait des baisses de prix et de salaires dans les secteurs ou les pays devant ajuster leur compétitivité. La zone euro étant une union monétaire, ce raisonnement s'applique aussi aux différences entre pays : un objectif d'inflation à zéro impliquerait une inflation négative dans certains pays.

C'est d'ailleurs vers cette cible de 2% qu'ont convergé toutes les banques centrales depuis des années. Ce niveau a permis de stabiliser l'inflation en offrant suffisamment de flexibilité pour permettre les ajustements nécessaires. Un taux plus élevé, comme on l'a connu dans les années 1970, peut créer un choc inflationniste en enclenchant une boucle où les hausses salariales alimentent la hausse des prix qui pousse à nouveau à la hausse des salaires. Dans ce cas, la valeur nominale de toute l'économie augmente mais pas sa valeur réelle. Le phénomène devient de moins en moins contrôlable et peut mener à une inflation difficile à maîtriser.

7/ La forte augmentation du bilan de la banque centrale est-elle un risque ?

Son augmentation est liée aux politiques monétaires non conventionnelles appliquées pour faire face aux crises. La baisse des taux ayant été insuffisante, notamment lors de la crise du Covid-19, la BCE a eu recours à deux instruments principaux : des opérations ciblées de refinancement à long terme (le TLTRO: targeted longer-term refinancing operations) et des rachats d'actifs (obligations souveraines et d'entreprises). Aujourd'hui, ces programmes n'ont plus de raison d'être utilisés. La BCE a arrêté ses achats d'actifs nets mais elle continue à réinvestir les tombées des obligations arrivant à échéance, afin de maintenir constant son bilan. Pour réduire leurs bilans, la solution privilégiée jusqu'ici par les autres banques centrales (dont la Fed) consiste à réduire leurs réinvestissements, plutôt que de revendre des titres sur le marché.

8/ Sur quoi repose la crédibilité de la banque centrale ?

Pour le savoir, il faut regarder les anticipations d'inflation à moyen-long terme. Aujourd'hui, elles sont légèrement supérieures à 2%, soit proche de l'objectif d'inflation. Cela prouve que les agents économiques font confiance à la banque centrale pour ramener l'inflation au taux cible.

9/ La politique monétaire doit-elle être coordonnée avec la politique budgétaire ?

La politique monétaire est indépendante de la politique budgétaire. Lorsqu'elle fait ses prévisions pour déterminer sa politique monétaire, la Banque centrale intègre les données des politiques budgétaires des États. Le rôle des gouvernements est d'être fiscalement responsable et d'entreprendre les réformes nécessaires pour assurer la croissance économique, celui de la banque centrale est de veiller à la stabilité des prix. Une politique monétaire non indépendante n'est pas jugée optimale car elle incite les États à faire acheter leurs émissions de dette par leur banque centrale ce qui débouche à terme sur une hausse de l'inflation, comme on l'a vu dans les années 1970.

Commentaire 1
à écrit le 27/10/2022 à 16:24
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Sur le principe que la monnaie n'est pas un but, mais un simple moyen d'échange, et sachant que toute création monétaire est thésaurisée à l'autre bout de la chaîne, seul, la vitesse de circulation de la monnaie a de la valeur ! Et, toutes monnaies l...

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