Les Eurosceptiques allemands en route vers l'extrême-droite

Le fondateur d'Alternative für Deutschland (AfD), l'économiste Bernd Lucke, a fondé un "groupe" au sein du parti. Sans doute le prélude à une scission qui sera aussi une clarification. Mais AfD périra-t-elle de ces querelles internes ?
Bernd Lucke est de plus en plus isolé au sein d'AfD

Est-ce la fin d'Alternative für Deutschland (AfD), le parti eurosceptique allemand qui a obtenu dans les sondages en 2014 jusqu'à 10 % d'intentions de vote ? La question se pose en tout cas désormais ouvertement. Lundi 18 mai, on a ainsi appris que le fondateur du parti, Bernd Lucke, avait créé un groupe baptisé « Réveil 2015 » (« Weckruf 2015 ») et qu'il invitait les membres d'AfD à le rejoindre. Les analystes politiques outre-Rhin y ont vu le prélude à la scission du parti avant son congrès prévu en juin. Ce mardi, Bernd Lucke s'en est défendu, affirmant qu'il s'agissait précisément de défendre ses positions au sein du parti. Une forme de « courant », donc.

Une ambiguïté originelle

Depuis des mois, AfD est fortement divisée entre deux camps. Le premier, mené par Bernd Lucke, un économiste de Hambourg, entend poursuivre la vision qui a présidé à la fondation du parti en mai 2013 : rejeter l'euro au nom du libéralisme traditionnel allemand de l'après-guerre et, partant, rejeter les transferts entre Etats européens et la socialisation des dettes. Cette vision se définit donc comme « libérale. » Il s'agit, pour elle, de retrouver les valeurs originelles de la République fédérale des origines et les fondements de son « miracle économique. » Mais un autre courant est progressivement monté en puissance au sein du parti, en s'appuyant notamment sur les sections d'Allemagne de l'Est, et qui se définit plus volontiers comme « conservatrice » et de « droite. » Ce courant rejette aussi l'euro, mais plus par nationalisme. Surtout, ils souhaitent placer clairement le parti à la droite de la CDU et de la CSU. Aussi mettent-ils l'accent sur leur rejet de l'immigration. Il y a donc là une tentative de placer le parti à l'extrême-droite sur le paysage politique allemand.

La droitisation en marche

Bernd Lucke a longtemps cru pouvoir se satisfaire de cette ambiguïté. Tant qu'il conservait le contrôle du parti, il pouvait laisser une minorité conservatrice faire campagne à l'Est et parvenir ainsi à glaner des voix dans l'ex-RDA où son discours pouvait plaire aux déçus de Die Linke ou aux électeurs des petits partis néo-nazis comme le NPD qui restent assez forts dans plusieurs Länder orientaux. De son côté, Bernd Lucke pouvait ratisser les déçus du parti libéral, la FDP, qui a fortement souffert de son alliance de 2009 à 2013, avec la CDU/CSU, au nom du « libéralisme historique. » Sauf que le rapport de force s'est progressivement inversé.

A l'automne 2014, AfD a frôlé ou dépassé les 10 % dans trois Länder de l'est, donnant ainsi plus de force au sein de l'appareil à l'aile conservatrice. Quant aux nouveaux adhérents, la plupart se sont révélés plutôt proches de l'aile droite, y compris à l'ouest. Progressivement donc, le parti s'est droitisé. Naturellement, fort de cette évolution, certaines figures de l'aile droite comme Alexander Gauland, un ancien de la CDU, et Frauke Petry, une businesswomen saxonne, se sont dressés contre Bernd Lucke. La réaction de ce dernier n'a clairement pas été à la hauteur de la situation. Il a tenté de contenir la poussée conservatrice par des règlements de compte personnels, notamment en tentant d'écarter le leader régional du parti en Rhénanie du Nord Westphalie, Marcus Pretzell. Il a ensuite imposé un changement de statut, en créant un poste de « porte-parole » unique pour remplacer l'actuel triumvirat. Mais, progressivement, tout cela s'est retourné contre lui.

L'échec politique de Bernd Lucke

Les accusations de corruptions contre Marcus Pretzell se sont révélées fausses, ruinant une partie de la crédibilité interne de Bernd Lucke. Ses adversaires se sont jetés dans la brèche. Parallèlement, il s'est révélé incapable d'assurer l'étanchéité entre AfD et le mouvement islamophobe Pegida qui a organisé cet automne des manifestations à Dresde, puis dans toute l'Allemagne. Progressivement, plusieurs cadres « libéraux » ont quitté le parti ou se sont mis en sommeil, comme l'ancien patron des patrons et tête de liste aux Européennes, Hans-Olaf Henkel. Cette hémorragie des cadres libéraux a encore un peu plus isolé Bernd Lucke qui, avec son initiative, tente un baroud d'honneur qui semble désespéré. Lundi, il a pu apprécier combien sa position était faible au sein d'AfD lorsque ses deux collègues à la direction du parti lui ont refusé l'utilisation du mail interne et de la liste des membres pour lancer son appel aux militants. Bref, le temps de Bernd Lucke au sein du parti qu'il a fondé semblent comptés.

L'AfD survivra-t-elle à Bernd Lucke ?

Il y a donc fort à parier que le courant « conservateur » l'emporte en juin, clarifiant enfin la situation et transformant AfD définitivement en parti à la droite de la CDU et de la CSU sur une ligne nationaliste de droite. Est-ce pour autant, comme le souligne dans son éditorial de ce mardi le quotidien de centre-gauche Frankfurter Rundschau, « la mort d'AfD » ? Il est vrai que les querelles internes ont affaibli le parti qui n'est plus donné qu'à 5 % des intentions de vote dans les sondages nationaux contre près de 10 % en septembre dernier. Parallèlement, la FDP semble avoir récupéré quelques plumes et est donné à 4 % (contre 2 % ou 3 % voici quelques mois), tandis qu'elle est entrée le 10 mai au parlement brêmois à la surprise générale. Mais il semble pourtant qu'il n'y a pas d'effondrement d'AfD. En septembre 2013, le parti avait obtenu 4,7 % des voix. Il maintient donc ses positions et ses chances d'entrer au Bundestag en 2017.

Comme le souligne le magazine politique Cicero, il est bien possible que, même sans Bernd Lucke, AfD puisse continuer à exister dans le paysage politique allemand. Sa rhétorique anti-euro perdurera et la participation de la FDP à la politique européenne d'Angela Merkel jusqu'en 2013 le discrédite auprès de l'électorat qui refuse la participation de l'Allemagne à la zone euro. Parallèlement, le parti va pouvoir développer une rhétorique de droite qui tentera de séduire les électeurs de la CDU et de la CSU déboussolés par l'alliance d'Angela Merkel avec les Sociaux-démocrates et par les concessions obtenus au sein de la « grande coalition » par ces derniers. Les partisans de bernd Lucke ont mis en garde contre la formation d'un "Front national" allemand. Le parallèle n'est pas sans réalité dans la mesure où AfD a pris beaucoup d'électeurs à Die Linke. La voie du nouveau parti sera cependant étroite.

Échecs du passé du populisme de droite

Les partis de droite extrême n'ont guère eu de succès que très ponctuellement en Allemagne. A la fin des années 1960, la NPD néo-nazie avait obtenu des scores importants aux régionales dans plusieurs Länder (9,8 % en Bade-Wurtemberg en 1968, 8 % en Hesse en 1966, 7 % en Rhénanie Palatinat en 1967) avant d'échouer en 1969 aux portes du Bundestag avec 3,6 % des voix. Dans les années 1990, les Républicains avaient obtenu près de 10 % des Régionales du Bade-Wurtemberg, mais n'ont jamais réussi à percer au niveau national. Au début des années 2000, le parti « Schill », parti populiste de droite sécuritaire, avait obtenu à Hambourg près de 20 % des voix avant de disparaître du paysage politique. Reste cependant que la NPD demeure ancrée dans plusieurs Länder de l'est et que les thèmes de campagne d'une AfD droitisée sont différents de ceux de ses prédécesseurs.

Commentaires 3
à écrit le 22/05/2015 à 17:13
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Pour l’euro, sommes-nous aussi sceptiques qu’une fausse ? Point de réformes pour l’emploi alors que l’Allemagne compte 73 en taux d’emploi et qu’on aurait 64… il manque plusieurs millions d’emplois. On fait de l’esbrouffe ? Quand à la croissance c’es...

à écrit le 20/05/2015 à 8:30
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enfin ils comprennent aussi, il faut sortir de ces partis traditionnels qui s'en mettent plein les fouilles depuis des dizaines d'années. On ne risque rien du avec l'extrême droite elle ne pourra pas faire pire et ma seule consolation c'est que les p...

à écrit le 19/05/2015 à 17:47
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Dans un cercle, "l’extrême droite" se trouve peut être au niveau de celui qui se questionne mais semble être au centre de toute réponse!

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