LA TRIBUNE - Six ans après, les fusions de Régions suscitent encore des débats éruptifs à peu près partout ... sauf en Normandie où elle semble digérée. C'était prévisible ?
MICHEL BUSSI - En grande partie oui. C'était en fait la seule région où ce découpage est apparu cohérent pour des raisons historiques, culturelles et géographiques au point que l'on a pu parler, à raison, de l'évidence normande. Contrairement à ce qui passe en Auvergne-Rhone-Alpes ou en Nouvelle Aquitaine, le sujet ne fait plus débat ici. Maintenant, est-ce que les changements ont été à la hauteur des espoirs que la fusion a suscité, je n'en suis pas si sûr.
Voulez-vous dire que vous êtes déçu ?
On pouvait espérer que la réunification affermisse le sentiment d'appartenance au territoire. Peut-être cela viendra-t-il avec le temps mais, fondamentalement, les Normands ne semblent pas disposés à cultiver leur identité comme le font les Bretons par exemple. Bien qu'Hervé Morin soit parvenu à incarner la Normandie - ce qu'il faut lui reconnaître -, les vieilles rivalités entre Caennais, Rouennais et Havrais ont la vie dure. Il est vrai que la présence de trois villes de taille comparable, qui tiennent une grande partie du pouvoir, n'aide pas à « faire région ».
L'absence d'une capitale forte, d'un centre évident, accentue les rivalités. C'est pourquoi, nous, géographes, avions milité pour des coopérations beaucoup plus étroites entre les trois villes qui tardent à se manifester. Le Havre est peut-être le point d'équilibre qui permettrait de travailler en triangle.
La collectivité régionale dispose de plus de moyens pour agir. N'est-ce pas de nature à affermir les liens ?
Ses compétences paraissent, à tort ou à raison, tellement éloignées de la réalité quotidienne des habitants, et notamment des classes populaires, qu'elles ne sont pas de nature à éveiller une conscience régionale. Le rapprochement des universités aurait constitué un bon signal mais elle n'a pas pu aboutir. La responsabilité n'incombe pas qu'aux acteurs locaux.
La fusion ne s'est accompagnée d'aucune réforme territoriale d'ampleur. Emmanuel Macron n'a pas voulu rediscuter des compétences des collectivités. Le modèle à l'allemande que l'on pouvait espérer est resté dans les cartons. Cet espèce de statu quo fait que la Normandie n'est pas parvenue à peser davantage vis à vis de l'Etat et de la région parisienne.
Dans ces conditions, faut-il renoncer à promouvoir l'identité régionale ?
Surtout pas ! D'autant que nous avons la chance d'avoir un découpage administratif cohérent et une formidable qualité de vie qui gagne à être connue. Renforcer l'appartenance passera, selon moi, par des événements festifs fédérateurs. C'est moins l'économie que la culture qui contribuera à « faire région ».
A mon sens, nous jouons trop peu la carte des symboles et des grands événements populaires capables de réconcilier la culture ouvrière encore très présente et une extraordinaire richesse patrimoniale qui semble n'intéresser que l'élite. Ce sont deux mondes qui cohabitent sans se rencontrer. Laissons parler l'imagination.
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(*) Son dernier livre « Rien ne t'efface » vient de paraître aux Presses de la Cité
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