"Le Grand-Est n'investit pas assez dans la recherche"

REGIONALES - Jean-Alain Héraud, professeur émérite à l’université de Strasbourg et ancien doyen de la faculté des sciences économiques et de gestion de Strasbourg, analyse quatre données macro-économiques qui dressent un portrait dynamique du Grand-Est.
Le Grand-Est compte 18,2 % de ses effectifs dans le secteur industriel, mais la région manque d'investissements dans la recherche appliquée. Ici, les ateliers de Lohr Industrie à Duppigheim (Bas-Rhin).
Le Grand-Est compte 18,2 % de ses effectifs dans le secteur industriel, mais la région manque d'investissements dans la recherche appliquée. Ici, les ateliers de Lohr Industrie à Duppigheim (Bas-Rhin). (Crédits : Olivier Mirguet)

18,2 % : poids des effectifs dans l'industrie

La Banque de France a rappelé dans son enquête mensuelle en avril 2021 que le poids des effectifs de l'industrie dans le Grand-Est (18,2 %) y était supérieur à la moyenne nationale (11 % selon l'Insee). "Le Grand-Est est non seulement une région fortement industrialisée, c'est aussi une région exportatrice avec 13,5% des exportations françaises", observe Jean-Alain Héraud, professeur émérite à l'université de Strasbourg et ancien doyen de la faculté des sciences économiques et de gestion de Strasbourg, expliquant: "Elle se classe en seconde position derrière l'Ile-de-France, ce qui n'est pas mal ! Il faut cependant se méfier de cette donnée statistique à cause des réexportations. Elles sont difficiles à appréhender. Certaines marchandises produites ailleurs ne font que transiter, particulièrement par l'Alsace. Le Grand-Est doit s'interroger sur l'avenir de son industrie, notamment sur des conflits d'usage et des enjeux écologiques autour de certaines installations industrielles. C'est particulièrement vrai dans le port rhénan de Strasbourg, énorme poumon économique pour la ville et pour une partie de l'Est de la France. Le port connaît une pression sur l'utilisation de son foncier. Doit-on investir massivement dans du logement, quitte à ruiner ses potentialités de développement économique ? Implanter davantage d'activités de production et logistiques ? Laisser la nature reprendre ses droits ? Le port est l'un des endroits les plus chauds à Strasbourg en périodes de canicule, il est pourtant tout près de l'eau !"

7,7 % : taux de chômage

Dans son tableau de bord de la conjoncture du Grand-Est, l'Insee a publié un taux de chômage à 7,7 % au quatrième trimestre 2020. "Le chômage est une donnée très composite. 7,7 %, ce n'est pas épouvantable", estime Jean-Alain Héraud. "Mais cela ne veut pas dire qu'on soit génial ! On atteint ce taux parce que les jeunes quittent la région. Si tous les travailleurs frontaliers rentraient, on serait à 15 % de chômage en Lorraine. La comparaison avec les autres régions n'est pas très éclairante : c'est le même taux qu'en Ile-de-France et en Normandie, mais moins que dans les Hauts-de-France ou en Occitanie (9,3 %). Ces comparaisons ne font guère de sens, les problématiques étant tellement différentes. Si l'Occitanie a un fort taux de chômage malgré son dynamisme c'est peut-être parce qu'elle est attractive mais n'arrive pas à donner un emploi à tout le monde. Le fait que le taux du Grand-Est soit le même que celui de l'Ile-de-France ne nous apprend rien, tant qu'on n'a pas abordé les facteurs explicatifs : proportions relatives de jeunes et de retraités, migrations interrégionales, travail frontalier, niveaux de formation. Par ailleurs, la situation dans le Grand-Est est totalement disparate. Le Bas-Rhin est à 6,9% alors que les Ardennes atteignent 9,4% ! Même au sein de l'Alsace, la différence n'est pas négligeable, avec 8,0% pour le Haut-Rhin. Il serait sans doute plus intéressant de comparer le Bas-Rhin avec un autre département polarisé par une grande capitale régionale, comme la Loire-Atlantique (6,7%) ou la Gironde (7,4%)", explique l'économiste.

3,9 % : Evolution de la population projetée en 2040

Le Grand-Est (5,5 millions d'habitants) est la sixième région française la plus peuplée, mais l'évolution de sa population projetée en 2040 la place, selon les statistiques publiées par la préfecture, en treizième et dernière position loin derrière l'Occitanie (+ 28,2 %) et juste derrière les Hauts-de-France (+ 4,5 %). "Le Grand-Est est la région pour laquelle le pronostic de croissance est le plus faible. Cela s'explique par la part élevée des 65 ans et plus, et par des indices d'attractivité qui ne sont pas bons", analyse Jean-Alain Héraud. "Strasbourg continuera d'être trop attractive, eu égard à la pression sur le foncier et sur l'environnement. Le solde global restera positif sur Metz et Nancy. Deux ou trois départements vont continuer de se dépeupler massivement. La part des logements vacants est déjà à 9,3 %. Seuls deux autres régions font pire, Bourgogne-Franche-Comté et Centre-Val-de-Loire. La part des résidences secondaires est à 3,5 % dans le Grand-Est contre 9,5 % en moyenne en France. On voit que le Grand-Est n'est pas attractif", souligne l'expert.

1,3 % : taux de dépense intérieure de recherche et développement par rapport au PIB

"Nous n'investissons pas assez dans la recherche, nous sommes mauvais", regrette Jean-Alain Héraud. "Le taux de dépense intérieure de recherche et développement par rapport au PIB est inférieur à la moyenne française (2,3 %) et très mauvais par rapport aux objectifs européens établis par la Stratégie de Lisbonne, qui plaçait la barre à 3 % pour tous les pays de l'UE. Les investissements dans la recherche ne sont bons qu'en Alsace. Ceci est dû en grande partie aux laboratoires publics établis à Strasbourg, qui sont très orientés vers la recherche fondamentale mais s'intéressent moins à la recherche appliquée. L'université de Strasbourg compte quatre prix Nobel en activité. Le tissu économique alsacien pourra rebondir dans la high tech, avec la biologie et la téléchirurgie de l'institut du Professeur Marescaux, mais cela ne suffira pas. Ces emplois ne remplaceront pas ceux qui seront perdus dans d'autres secteurs. La destruction créatrice de Schumpeter est un concept délicat. Quand une région essaie de faire de l'innovation, rien ne peut jamais garantir que ce qui va être créé le sera principalement sur le même territoire", explique-t-il.

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