Ardennes (5/5) Boris Ravignon : "Le territoire ardennais était descendu aux enfers"

ENTRETIEN - EPISODE 5 : Quel modèle pour le développement économique dans les Ardennes ? Interview de Boris Ravignon, maire (LR) de Charleville-Mézières et président de la communauté d'agglomération Ardenne Métropole. Saluant la résilience du tissu industriel local, il plaide pour une relance économique par les services et le tourisme.
Boris Ravignon, maire de Charleville-Mézières.
Boris Ravignon, maire de Charleville-Mézières. (Crédits : Olivier Mirguet)

LA TRIBUNE - Charleville-Mézières et les Ardennes ont-elles perdu leur caractère historique industriel ?

BORIS RAVIGNON - L'agglomération Ardenne Métropole est dans une phase de transition, comme tout le territoire qui nous entoure. La situation économique a été longtemps ultra-dominée par les secteurs industriels, notamment la métallurgie. Celle-ci a vécu une descente aux enfers. Sur le territoire de notre agglomération, entre 1975 à 2012, ce sont 12.000 emplois perdus ! Heureusement, on a réussi à en recréer 8.000 dans les services. En quatre décennies, l'ensemble du territoire ardennais était descendu aux enfers en termes de pertes d'emplois et de substance économique. Nous avons totalement subi cette transition, qui laisse un immense traumatisme dans l'opinion. On essaie d'en sortir, en donnant aux secteurs industriels les moyens d'innover.

Que pouvez-vous imaginer pour garder la jeune génération sur ce territoire ?

Nous avons lancé le projet du campus Sup Ardenne à Charleville-Mézières, où il n'y avait précédemment que quelques institutions posées les unes à côté des autres. On y a investi 17 millions d'euros hors taxes pour créer des lieux de vie, des lieux d'enseignement supplémentaires, accueillir une école d'ingénieurs, l'Eisine, en 2019. Il y a avait un peu moins de 2000 étudiants lorsque je suis arrivé à la mairie en 2014. On est passé à 2600 et nous avons l'intention d'aller beaucoup plus loin, jusqu'à 4000 étudiants sur le territoire. L'intérêt du campus, c'est aussi d'attirer des gens de l'extérieur, depuis le quart Nord-Est voire depuis toute la France. Il faut continuer, même si on n'a aucune certitude sur le fait que ces jeunes restent ensuite.

Le tissu industriel s'est concentré avec de multiples défaillances, notamment dans la fonderie, et des concentrations. La situation est-elle stabilisée ?

Il reste de grandes entreprises sur le territoire de l'agglomération : PSA, le sud-coréen Hanon Systems dans la sous-traitance automobile, la Fonte Ardennaise qui est une entreprise familiale. C'est le côté positif des restructurations que nous avons vécues : celles qui restent sont les meilleures, dans le grand bain de la mondialisation depuis des décennies. Il y a quelques années, on se demandait comment cette industrie très tournée vers l'automobile allait négocier sa révolution électrique. PSA va commencer à produire des carters pour ses futurs moteurs électriques. Hanon Systems a fait une mutation encore plus impressionnante. Ils faisaient des blocs de climatisation pour Ford. Ils vont produire des systèmes de refroidissement pour les batteries électriques de Volkswagen. Hanon Systems a changé le produit et les clients, tout en maintenant 500 salariés à Charleville !

Dans ce cycle économique, il y a eu des laissés pour compte. Qu'est-ce qui n'a pas fonctionné dans la destruction créatrice ?

Quand une activité est détruite et remplacée, rien ne garantit que les nouvelles activités se créent au même endroit. Les financements de l'innovation ont pu manquer ici, sous la forme de fonds propres. Mais ce n'est pas seulement un problème propre aux Ardennes. L'Allemagne a su trouver le moyen d'accumuler du capital au niveau de ses entreprises familiales, permettant leur développement. En France, la fiscalité du capital a consciemment empêché une partie de cette accumulation. Dans les Ardennes, on avait de magnifiques entreprises familiales. A Revin, ville martyre de l'industrie française, il y avait Porcher dans le sanitaire, Arthur Martin et Faure dans l'électroménager. Pour ces familles propriétaires, éclatées au fil des générations, la dispersion du capital a entraîné la vente à des Américains ou à des Suédois. Aujourd'hui, il n'y a plus un seul lavabo, plus aucun produit électro-ménager fabriqué à Revin.

Quel a été l'impact local de la crise économique engendrée par le Covid ?

Sur le territoire d'Ardenne Métropole, il n'y a pas eu de défaillance majeure liée à la crise du Covid en 2020 et début 2021. A l'échelle du département, le tribunal de commerce de Sedan n'a pas noté d'explosion de la sinistralité. Mais la crise n'est pas terminée. Le secteur de l'hôtellerie et de la restauration va être le premier impacté. Ce ne sont pas forcément les plus petits exploitants qui seront les plus fragiles. Les aides versées par l'Etat lors du premier confinement ont été plafonnées. On n'a pas tenu compte suffisamment de la taille des entreprises. Je m'attends à de nouvelles défaillances parmi les cafés, hôtels, restaurants.

Quelle solution préconisez-vous pour le développement économique de votre agglomération ?

Pendant des décennies, des gens sont venus de loin, jusqu'à la Kabylie, parce que nous avions cette richesse industrielle. Les emplois perdus, ce sont des habitants qui partent. En quarante ans, le département des Ardennes est passé de 310 000 habitants à 270 000 habitants. Nous nous relevons en essayant de trouver des moteurs d'appoint. Il a fallu des décennies de combat intellectuel pour imposer une activité qui me semble évidente : le tourisme ! La zone géographique de l'Ardenne s'étend jusqu'à la Belgique et au nord du Luxembourg. En Belgique, elle s'est extrêmement développée depuis un siècle en Belgique, elle est devenue le lieu de villégiature des riches Bruxellois. Ici, la culture industrielle a été trop hégémonique et exclusive. Notre patrimoine architectural est pourtant un atout. Les gens ne partent pas seulement en vacances pour avoir du soleil ! On visite des territoires qui ont une identité, une typicité. Charleroi et Reims sont à 50 minutes, Luxembourg est à 1 heure 15. Le Grand Duché est le pays le plus riche du monde par habitant. Quel potentiel !

La collectivité peut-elle jouer un rôle moteur dans ce développement touristique ?

Nous avons un projet hôtelier à Charleville-Mézières, sur la place Ducale qui est notre joyau. Le bâtiment dont il est question appartiennent à la ville. Cet ensemble immobilier est classé, mais grevé de surcoûts considérables. Nous avons créé une SCI pour effectuer les premiers aménagements. L'idée était de ne pas infliger des coûts considérables à un exploitant hôtelier. Le processus de sélection du futur opérateur est en cours. Il y a eu 25 retraits de dossiers suite à notre appel à projets. L'exploitant hôtelier sera retenu dans les prochaines semaines. Il aura la possibilité de monter au capital de la SCI, afin de pouvoir un jour être chez lui. L'hôtel sera positionné en 4 étoiles et il comptera 40 chambres.

Quel est l'avenir dans les Ardennes pour les métiers de services ?

Nous avons obtenu de Nicolas Sarkozy l'implantation de l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS). Tout le système d'information est piloté ici, et les réponses aux usagers se font depuis Charleville. Avec 30 personnes au début, ils sont 350 aujourd'hui. Une partie de leurs activités a été déléguée au groupe franco-marocain Intelcia. L'ANTS vient de publier des annonces pour recruter 170 collaborateurs supplémentaires. Intelcia dit aussi vouloir se développer à Charleville-Mézières, au-delà de ce qu'ils font pour l'ANTS. On n'est pas sur du centre d'appels bas de gamme et nous allons créer une filière de formation pour répondre à leurs besoins, au-delà du bac. Charleville-Mézières été candidat à l'accueil d'un site de la DGFIP, avec 50 personnes spécialisées dans la relation avec les contribuables. Ils arriveront en 2022 et 2023. On continue à creuser ce sillon.

L'agglomération n'est pas le seul acteur public dans le développement économique. Quelles sont vos relations avec les autres élus sur le territoire ?

Nous sommes nombreux à faire vivre le pacte Ardennes pour le développement du territoire, signé il y a deux ans, et cette collaboration a été bénéfique. Nous nous sommes enfin dotés collectivement, avec l'Etat, d'une feuille de route stratégique débarrassée de choses inutiles qu'on n'arriverait jamais à faire. Nous nous sommes débarrassés des vieux rêves d'un retour de l'industrialisation telle qu'elle a été dans le passé. C'est une excellente chose. Savoir où on va, quand on n'a pas beaucoup de moyens, c'est fondamental. Les Ardennes restent un département pauvre. Hélas, il n'y a pas eu beaucoup de crédits nouveaux. Il faut réaliser une vraie péréquation entre tous les territoires, les grandes métropoles et les autres. L'Etat ne nous garantit pas cette forme d'égalité des chances. Les richesses se concentrent, les emplois se créent dans les grandes métropoles. Longtemps, les impôts prélevés dans les Ardennes ont pu servir à construire les infrastructures routières de la Bretagne ou le tourisme dans le Languedoc. Il est temps que nous faire bénéficier des mêmes efforts. On a besoin de cette solidarité pour surmonter nos difficultés. Le plan de relance, c'est bien, mais il ne constitue pas à lui seul une solution aux difficultés financières structurelles des collectivités.

Vous avez été élu à la mairie de Charleville-Mézières en 2014 sous l'étiquette UMP, réélu en 2020 au premier tour à la tête d'une liste divers droite. Avez-vous d'autres ambitions politiques ?
Si je devais être candidat à une fonction en-dehors de celle que j'occupe aujourd'hui, ce serait certainement au niveau régional. Dans beaucoup de domaines, notamment celui du développement universitaire, on a su trouver une manière de travailler efficace avec la région Grand-Est. Nous avons encore quelques mois pour en parler avec Jean Rottner, président du Conseil régional. En ce moment, on parle surtout de tests et de vaccinations !

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Commentaire 1
à écrit le 29/01/2021 à 14:47
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qui veut investir en france? plus personne, sauf les collectivites locales, pour se donner bonne conscience la france recolte ce qu'elle a seme, et c'est pas avec ses lois pactes, alur florange, dailymotion et tout le reste que ca va changer et en...

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