
Année après année, le constat des ONG en faveur du climat est le même : en matière d'engagement de lutte contre le changement climatique, le secteur bancaire est encore loin du compte. Et le regard est d'autant plus sévère pour les banques françaises qu'elles se revendiquent à la pointe du combat pour un monde sans carbone.
Ainsi, souligne le dernier rapport « Banking on climate chaos », rédigé par sept ONG, dont Reclaim Finance et les Amis de la Terre en France, les banques françaises sont restées en tête du classement européen, avec près de 16 milliards de dollars de financement au secteur des énergies fossiles (du moins pour les 100 premiers groupes), loin devant les banques britanniques (4,3 milliards de dollars) ou espagnoles (3 milliards). Les calculs des ONG portent à la fois sur les prêts accordés, mais aussi les activités d'émissions de titres (actions et obligations) des entreprises du secteur fossile.
Plus précisément, BNP Paribas reste la banque européenne qui soutient le plus les énergies fossiles : l'établissement a même augmenté ses financements au secteur en 2022. Et ce, alors que ce dernier (comme la quasi-totalité des banques européennes) est engagé dans la « Net Zero Banking Alliance » qui vise une neutralité carbone d'ici 2050.
Des chiffres fantaisistes, selon les banques
« L'ère du leadership français est révolue (...) et l'approche adoptée par les banques est vouée à l'échec », commente Lucie Pinson, directrice de Reclaim Finance, pour qui « les banques doivent rapidement assortir leurs objectifs de décarbonation de mesures immédiates pour mettre fin à l'expansion du pétrole et du gaz ».
Dans une déclaration transmise à l'AFP, BNP Paribas réfute les conclusions du rapport et indique avoir relevé de « nombreuses erreurs et biais méthodologiques ». En février dernier, trois ONG avaient assigné en justice BNP Paribas pour sa « contribution » au réchauffement climatique, sur la base de nouvelle loi sur le devoir de vigilance.
De son côté, la Fédération bancaire française (FBF) juge (comme l'année dernière) les chiffres « fantaisistes » et regrette que l'étude « refuse de voir les avancées et nie le fait que les banques françaises sont parmi celles les plus en avance sur le sujet ». Les banques françaises ont, par exemple, été pionnières dans l'arrêt du financement de la filière charbon. Et en 2021, elles ont également été parmi les premières banques à annoncer un calendrier de sortie du secteur du pétrole et du gaz. Au passage, Crédit Mutuel Alliance vient opportunément d'accélérer ce calendrier en annonçant l'arrêt de tout nouveau financement à partir du second semestre 2024.
Questions de trajectoires
Les positions de chacun sont connues, même si le débat a plutôt tendance à se radicaliser au fur et à mesure que le dérèglement climatique se manifeste concrètement dans le quotidien du public.
D'un côté, les banques rappellent leur devoir de financer l'économie et que cette économie reste encore largement carbonée. D'où leur approche raisonnée en accompagnant leurs clients, y compris les majors pétrolières, dans leur transition énergétique. « Il est temps de sortir d'une logique d'exclusion tous azimuts et d'entrer dans une logique de transition socialement acceptable, économiquement responsable et climatiquement adéquate. C'est le seul moyen de réussir la transition », résume la FBF. Un discours qui raisonne d'autant plus en cette période de crise énergétique, liée en grande partie au conflit en Ukraine.
De l'autre, les ONG en faveur du climat dénoncent le double discours des banques et rappelle que même l'Agence internationale de l'énergie (AIE) préconise de stopper net les nouveaux projets gaziers et pétroliers pour respecter les engagements des Accords de Paris et ce, sans nuire aux besoins en énergie de l'humanité. Les critiques ont d'ailleurs marqué les institutions. Les banques cotées se souviennent encore de la saison 2022 des assemblées générales, secouées par des groupes de défenseurs du climat.
Et la pression a d'ailleurs du bon. BNP Paribas, Crédit Agricole, Société générale et huit autres grandes banques internationales se sont par exemple désengagées du financement du projet géant à 10 milliards de dollars de TotalEnergies en Ouganda.
Tout est désormais une question de rythme de désengagement du financement du secteur pétrolier et gazier. Les ONG soulignent à cet égard qu'un euro investi aujourd'hui dans un projet va générer des émissions de carbone sur des dizaines d'années.
Pourtant, de l'aveu même de la FBF, l'exposition des banques françaises au secteur pétrolier et gazier représente moins de 0,3% du total du bilan. Mieux, selon le rapport « Banking on Climate Chaos », les entreprises fossiles ont réalisé plus de 4.000 milliards de dollars de bénéfices en 2022, largement de quoi financer de nouveaux investissements, et que nombre de grandes majors, comme ExxonMobil ou Shell, ont d'ailleurs même plus sollicité de financement bancaire.
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