Le nombre de crédits immobiliers chute mais est-ce vraiment lié à la hausse des taux ?

La hausse des taux est scrutée avec inquiétude par les ménages mais le ralentissement de la production de crédits immobiliers tient davantage à des contraintes réglementaires et à une dégradation de l'environnement qu'à la remontée des taux qui devrait rester limitée jusqu'au début de l'année prochaine. Dans tous les cas, de nombreux clignotants sont au rouge, notamment dans la construction, et les ménages modestes accèdent plus difficilement au crédit. Explications.
La production de crédit immobilier fléchit depuis le quatrième trimestre 2021, une tendance confirmée au premier trimestre 2022.

Les taux d'intérêt du crédit immobilier remontent, et vite ! C'est du moins le cri d'alarme des courtiers en crédit immobilier qui notent, les uns après les autres, sur la base des nouveaux barèmes des banques pour le mois de mai, une tendance haussière de plus en plus marquée. VousFinancer pointe désormais un taux moyen de 1,5% sur un crédit à 20 ans (une maturité qui représente plus de la moitié des crédits accordés) et la Centrale de Financement s'inquiète d'un emballement du coût du crédit, en hausse de plus 20% par rapport à mars et de plus 50% depuis janvier.

Le mouvement est réel et largement prévisible. Les anticipations d'inflation sont plus élevées et les marchés subissent un choc sur les taux, avec un OAT (obligation assimilable du Trésor) à 10 ans qui a gagné 120 points de base en trois mois. Cette obligation du Trésor français a même franchi il y a quelques jours le seuil des 1,5%. Les banques doivent en tenir compte et se montrer vigilantes dans l'affichage de leurs conditions de crédit.

Une hausse des taux contenue

Il n'en reste pas moins que la hausse des taux est contenue, sinon modérée (surtout au regard de l'inflation). Selon les chiffres de la Banque de France, publiés jeudi dernier, les taux moyens pratiqués (hors assurance et sûreté) ont atteint 1,17% en avril, contre 1,1% en décembre, soit une hausse de 7 points de base. L'Observatoire Crédit Logement/CSA fait état de son côté d'une augmentation de 21 points de base depuis décembre, avec une nette accélération en mars et avril (17 points de base contre 4 points en janvier et février). Et précise que toutes les catégories d'emprunteurs et de durées de prêts sont concernées.

De l'avis général, cette hausse va se poursuivre. Mais elle restera mesurée, ne serait-ce que par l'effet plafond du taux d'usure.

« Nous sommes dans une période assez difficile à prédire car nous sommes clairement dans une période d'inversion des taux. Les taux restent bas, mais il existe une pression à la hausse. Mais les taux ne peuvent en aucun cas monter très vite car les banques sont tenues de respecter le taux d'usure qui est mordant, à la hausse comme à la baisse », soulignait ainsi Philippe Brassac, directeur général de Crédit Agricole SA, lors de la présentation des résultats du groupe début mai.

Désignant le taux annuel effectif global (TAEG) maximal auquel les banques et les autres établissements de crédit peuvent prêter de l'argent, le taux d'usure, révisé chaque trimestre, vient d'ailleurs d'être abaissé en avril à 2,43% (assurance incluse). Ce qui laisse peu de marge pour une hausse des barèmes du moins jusqu'à juin. Ensuite, ce taux sera progressivement revu à la hausse trimestre après trimestre, sur la base de la moyenne des taux du trimestre précédent. De quoi brider la hausse, du moins jusqu'au début de l'année prochaine.

Une production en baisse

Parallèlement, la production de crédit immobilier ralentit. Après un pic de production durant l'été 2021, la production a de fait commencé à reculer au quatrième trimestre, un mouvement confirmé au premier trimestre 2022. Certes, les banques affichent toujours une solide activité dans le crédit immobilier mais elles bénéficient surtout d'un effet de base avantageux après un premier trimestre 2021 calamiteux. Ce qui permet ainsi à la banque LCL d'afficher une hausse de 40% de sa production au premier trimestre 2022. Mais il existe un effet de latence important : la production est le résultat de dossiers accordés trois ou quatre mois auparavant.

« Il y a une réalité qui s'impose : le marché se dégrade, même si la forte baisse en mars, en raison d'un climat particulièrement anxiogène, sera en partie compensée en avril. La légère progression de la production, à la fin avril, en glissement annuel, s'explique pour l'essentiel par un effet de base », note Michel Mouillart, professeur des Universités et conseiller scientifique auprès du Crédit Logement. En nombre de prêts accordés, l'inflexion du marché est plus prononcée encore. Selon l'Observatoire Crédit Logement/CSA, le nombre de prêts, en glissement trimestriel, est en recul de 10% fin avril, et même de près de 15% en mars et avril.

Des contraintes réglementaires depuis le 1er janvier

Ce tassement du marché du crédit s'explique-t-il pour autant par la remontée des taux ? Michel Mouillart n'y croit pas : « Il ne faut pas se tromper sur le diagnostic. Ce qui affaiblit le marché, c'est certes la dégradation du contexte, mais aussi la recommandation du Haut comité de Sécurité financière (HCSF) qui a pris un caractère obligatoire depuis le 1er janvier ». Cette recommandation, désormais contraignante des banques, limite notamment le taux d'effort des ménages à 35% du revenu.

Lire aussi 3 mnOctroi de crédits immobiliers : toutes les banques sont rentrées dans le rang

Or, à la fin décembre, selon l'ACPR, encore 15% des crédits immobiliers étaient en dehors des clous. Mais à partir de janvier, les banques ont bien été obligées d'appliquer strictement les règles, avec derrière, des catégories d'emprunteurs, pour l'essentiel les ménages les plus modestes, qui n'ont plus accès au crédit.

Philippe Brassac ne dit pas autre chose : « Même si cela ne se voit pas dans les chiffres, nous avons constaté de multiples situations de clients qui sont de facto exclus du crédit immobilier par les règles du HCSF, lequel n'a pas voulu intégrer les critères que nous avons l'habitude de pratiquer. Nous comprenons l'intention du HSCF mais pas la méthode, qui n'est pas assez fine pour tenir compte de la réalité des situations individuelles ».

Un marché qui change profondément

Plus que l'effet taux, c'est, selon ces experts, le choc de la réglementation qui est en train de changer profondément le marché du crédit, avec derrière, des impacts en termes d'activité pour le secteur immobilier. Et le secteur ne tourne pas rond. La dernière enquête Insee auprès des promoteurs confirme un affaiblissement de la demande dans le "neuf". La construction de maisons individuelles est également en repli au premier trimestre, et ce, pour des mises en chantier prévues à partir de l'automne.

Dans "l'ancien", la situation n'est pas meilleure : selon le baromètre LPI-Se Loger (3.500 agences immobilières), les achats de logements anciens ont reculé de 23,6% au cours du premier trimestre, en glissement annuel. Et sur les quatre premiers mois de l'année, les compromis en vente ont baissé de près de 15%. Toutefois, "l'ancien devrait se maintenir sur des volumes élevés, sans atteindre les pics de 2019 ou 2021.

Des prix qui restent élevés

Simple ajustement après des années de hausse ? Les prix de l'immobilier continuent de grimper, et selon Michel Mouillart, « je ne vois pas aujourd'hui de facteurs qui pourraient contribuer au ralentissement des prix de l'immobilier.»

« Le marché de l'immobilier est en train de se transformer rapidement et les ménages les plus modestes, ceux qui achètent des petites surfaces ou des biens en périphérie de métropoles, sont en train d'être exclus du marché. Ils devront sans doute se retourner vers le logement social ou les passoires thermiques pour se loger », estime Michel Mouillart. Une analyse contestée par Bercy qui s'accroche aux bons chiffres de production de crédit et de rares dispositifs de soutien (prêt à taux zéro, PrimeRenov ...), peu convaincants. Au final, comme le note Crédit Logement, il y a bien moins de crédits mais sur montants moyens plus importants.

La tendance ne devrait pas se retourner avant sitôt. Et l'accession à la propriété n'a jamais été une priorité, ni pour l'actuelle majorité, ni pour les prétendants.

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Commentaires 19
à écrit le 09/05/2022 à 16:33
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Avez vous assez de confiance dans l'avenir pour investir? Pas avec la politique actuelle qui ne nous permet pas de sortir du brouillard!

le 09/05/2022 à 20:14
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Toujours les mêmes prétextes : l'incertitude de l'avenir, les taux trop élevés , l'immobilier trop cher.. et quoi d'autre ? Je les aime bien c'est gens qui regardent passer les trains sans jamais oser les prendre . Fichtre faites preuve d'un peu d...

le 10/05/2022 à 9:28
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@Idx : allez-y le 1er cher ami ; mettre son pognon dans l'immo en ce moment, c'est effectivement être très très confiant ...ou aimer se faire défoncer

à écrit le 09/05/2022 à 11:16
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Aujourd'hui se loger est un luxe.. Dans les années 60 un ouvrier, mère au foyer, 3-4 enfants se payait sa petite maison avec potager clapier et poulailler. Aujourd'hui dans la même situation il peut espérer un logement subventionné..

à écrit le 09/05/2022 à 11:07
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Je ne comprends pas trop les commentaires disant que l'immobilier en France est trop cher? Quand je vois le nombre de transactions par an, on vole de record en record!! C'est le prix du marché. Et avec l'inflation actuelle sur les matières premières...

le 09/05/2022 à 13:52
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le nombre de transaction est dopé par les taux faible qui solvabilise artificiellement les acheteurs (ce qui est en train de se terminer) et les subventions (PTZ, pinel et autre defiscalisation) Pour la hausse des loyers, elle va etre contenue par...

à écrit le 09/05/2022 à 10:53
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en 70 j'ai achete un studio ,apres un 3 pieces en banlieue,puis un modeste pavillon...maintenant a 30 ans on veut une villa avec piscine et air conditonne ,les transports,ecoles et commodites au bout de la rue avec un pret a taux zero couvert par l'A...

le 10/05/2022 à 2:44
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Vous êtes l'exemple typique du boomer indécent qui a eu la vie facile entre la planche à billets, le plein emploi sans effort, et l'immobilier quasi-gratuit, et qui ose considérer les actifs actuels comme trop arrogants, alors qu'un salaire médian ac...

le 10/05/2022 à 11:04
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Entièrement d'accord avec Aramis : les boomers ont pillé le pays, et c'est grâce à eux que le système de retraites ruine l'Etat, et nous coûte très cher en impôt.

à écrit le 09/05/2022 à 10:47
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La marée (de liquidités) se retire ; gare aux cul-nus

le 09/05/2022 à 20:55
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Tant qu'il reste des céréales Kelloggs au ketchup épicé Heinz au petit déjeuné pour pépé Buffet, tout va bien!

à écrit le 09/05/2022 à 10:25
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Certains commentaires font des raccourcis… rappel pendant une décennie les taux d intérêts ( immo conso etc)..ont été artificiellement écrasés pour booster une croissance atone en Europe … donc le phénomène de rattrapage est naturel n est pas que f...

le 09/05/2022 à 13:11
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Vous avez parfaitement raison à ceci prêt, si les ménages français sont assez peu endettés ( -de 70 % du pib ( qui n'est pas un indicateur pertinent, le pib étant un attrape nigaud ), pour 98 % en Allemagne ), à l'inverse les administrations publique...

à écrit le 09/05/2022 à 9:23
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Le logement est devenu trop cher, c'est ça le problème. Et ça ne va pas s'arranger avec la ruée des investisseurs institutionnels qui achètent des opérations de promotion en blocs. D'autant qu'avec de tels niveaux de prix, les promoteurs vivent un ...

à écrit le 09/05/2022 à 9:01
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C’est un juste un retour à la normale, avant d’acheter un bien immobilier il faut avoir un apport minimum

le 09/05/2022 à 10:03
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quand on voit que certains arrivaient a faire un credit sur 100 % du montant voire plus (le bien+frais de notaire) on se dit que la banque de france a bien fait de siffler la fin de la recreation avant qu on ait des subprime bis. PS: l immobilie...

à écrit le 09/05/2022 à 8:10
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On vit dans une epoque delirante: en lisant l article il semble qu avoir un credit est un droit de l homme ! Quid si c est pour se retrouver ruiné car on ne peut rembourser ? C ets quand meme pour ca que la reglementation a ete faite: eviter en Franc...

à écrit le 09/05/2022 à 7:56
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Plus de la moitié des français déjà ont reçu leur facture d'électricité et maintenant ils doivent faire avec les produits de consommations qui comme me l'a dit un ami sont devenus célèbres visiblement, de ce fait cela ne peut que rebuter de nombreux ...

à écrit le 09/05/2022 à 7:47
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C'est, actuellement, surtout l'inquiétude dans le monde du travail et dans les sources de revenue dut a la politique suivi de "casse" généralisée!

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