Pourquoi la BCE veut lancer un euro digital ? Décryptage

La Banque centrale européenne (BCE) a décidé de passer à la vitesse supérieure en lançant des travaux approfondis pendant 24 mois sur la création d’une monnaie numérique de banque centrale (MDBC) en zone euro. Celle-ci pourrait voir le jour d'ici à 5 ans. Ce ton plus offensif sur un futur euro digital s’explique par le ralliement de la Bundesbank et des banques allemandes au projet. Un projet qui intervient alors que Facebook planche sur une monnaie numérique et que la Chine travaille depuis longtemps sur le lancement d'un e-yuan. Décryptage.
La BCE lance officiellement des travaux sur l'euro numérique pendant 24 mois avant de prendre une décision définitive.
La BCE lance officiellement des travaux sur l'euro numérique pendant 24 mois avant de prendre une décision définitive. (Crédits : Kai Pfaffenbach)

C'est finalement un feu vert. Après bien des hésitations, la Banque centrale européenne (BCE) a décidé de franchir le rubicon en lançant deux années de travaux sur le projet de création d'un euro numérique.

« Le but de nos travaux est de veiller à ce que, à l'ère numérique, les ménages et les entreprises aient toujours accès à la forme de monnaie la plus sûre : la monnaie de banque centrale », a précisé Christine Lagarde, la présidente de la BCE, dans un communiqué publié le 14 juillet, au lendemain de la réunion du conseil des gouverneurs à Francfort.

Face aux initiatives privées de monnaies digitales, popularisées par les déclarations tonitruantes de Facebook, avec son projet (mille fois amendé) de lancer sa propre monnaie, rebaptisée Diem, mais aussi aux grandes ambitions de la Chine pour son e-yuan, le sujet de la monnaie digitale de banque centrale (MDBC) est désormais clairement sur la table de toutes les grandes banques centrales. Il est aussi une préoccupation des politiques.

La décision de la BCE de se lancer à son tour marque un tournant en Europe alors que la position des différentes banques centrales et banques européennes était loin d'être unanime, il y a quelques mois encore, sur l'intérêt d'une monnaie digitale.

En résumé, la Banque de France est très allante sur un projet de MDBC de gros pour les transferts internationaux mais elle se heurte toujours à une sérieuse résistance des banques françaises sur le dossier. Certains banquiers agitent même, en privé, la menace de l'ouverture de comptes par des particuliers directement auprès de la BCE (ce qui est improbable). Pour l'heure, la Fédération bancaire française (FBF) reste toujours aussi discrète.

Les banques allemandes en faveur de l'euro digital

En Allemagne, la Bundesbank (Buba), longtemps réticente, a finalement changé son fusil d'épaule et se déclare désormais prête à y aller, mais main dans la main avec les banques. Du coup, les cinq fédérations bancaires allemandes, réunies au sein du Comité allemand du secteur bancaire, ont publié, le 5 juillet dernier, un communiqué en faveur d'euro digital, y compris dans sa version retail, c'est-à-dire pour les consommateurs et les commerçants.

« L'émission de monnaie doit rester du ressort des établissements de crédit dans le système bancaire, même si l'euro numérique a cours légal comme les espèces. Pour cette raison, l'écosystème de la monnaie numérique se compose de trois éléments clés : la MDBC de détail pour un usage privé, la MDBC de gros pour les banques et les caisses d'épargne et l'argent des banques commerciales sous la forme de jetons (tokens) », précise le communiqué.

Quant à la Banque d'Italie, elle est clairement favorable à la MDBC, à la fois de gros et de détail, et son patron, Fabio Panetta, est le maître d'œuvre du projet au sein de la BCE. Autre avancée importante , hors de la zone euro : la banque centrale d'Angleterre (BoE) souhaite également accélérer le tempo et envisage un « britcoin », adossé à la livre sterling, tout en demandant aux banques britanniques de ne pas s'opposer à l'innovation.

Un signal fort

Bref, le contexte a radicalement changé en quelques mois. D'où le souci de la BCE de ne pas rester à l'écart, mais avec une position qui ménage à la fois la Banque de France et la Buba. Elle fixe donc un calendrier précis pour un prototype de MDBC de gros. Et lance parallèlement des réflexions approfondies de MDBC de détail. Avec cette précaution néanmoins : « un euro numérique viendrait compléter l'argent liquide, et non le remplacer ». Ces nouvelles phases d'études vont se dérouler sur 24 mois

De nombreuses questions restent en suspens : la technologie qui sera finalement adoptée, la lutte contre la fraude et le blanchiment, la protection des données, la place des banques dans cette nouvelle organisation, en évitant le risque de désintermédiation. C'est pourquoi la BCE reste encore prudente et précise que ces travaux ne préjugent en rien de la décision de lancer effectivement un euro numérique, qui n'est pas encore prise. En cas de lancement effectif, l'euro numérique pourrait alors voir le jour d'ici cinq ans.

GAFA et Chine

Reste que la BCE donne un signal et semble partager l'opinion de la Bundesbank, que l'on peut résumer ainsi :« s'il faut y allez, il faut y allez dans les cinq ans ! ». Pour les banques centrales, l'enjeu devient en effet de plus en plus stratégique. Les autorités monétaires restent obnubilées par le projet de Facebook, qui a pourtant mis beaucoup d'eau dans son vin. Fini son projet initial d'une monnaie 100 % privée pour se concentrer sur un stablecoin, adossé au dollar. Avec même la promesse de renoncer au projet si la banque centrale américaine (Fed) se lance dans un e-dollar. Ce qui fait sourire les observateurs. D'autant que d'autres GAFA, comme Google, Apple, voire PayPal, commencent à s'intéresser de très près au sujet.

Ensuite, il y a la Chine, qui fait désormais peur à tout le monde. La banque centrale de Chine travaille sur le sujet depuis 2014 et a donc une petite longueur d'avance. Son ambition est clairement de promouvoir un e-yuan pour marquer à la fois sa position en termes d'innovation et pour permettre au yuan de devenir une monnaie de référence dans les échanges internationaux. Avec un objectif non dissimulé : contester la suprématie du dollar et des Etats-Unis. La transformation radicale en Chine, en quelques années, du monde du paiement, avec la quasi-disparition du cash, souligne son savoir-faire (basé sur les Tech et non sur les banques) et les prochains JO de Pékin en 2022 pourraient être une occasion de tester sa nouvelle monnaie numérique.

De quoi faire changer d'avis la Fed sur la monnaie digitale. La toute puissante institution a jusqu'ici regardé de haut, voire moqué, les initiatives dans le monde, toujours confiante dans la force du dollar. Mais le ton change peu à peu. En mai dernier, le président de la Fed, Jerome Powell, a prudemment ouvert le débat, en promettant un processus « réfléchi », alors que certains responsables, comme Randal Quarles, se sont récemment interrogés sur les risques « considérables » d'une MDBC. La Réserve fédérale devrait clarifier sa position au cours de l'été.

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Commentaires 4
à écrit le 17/07/2021 à 0:25
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Qu'on oblige les banques commerciales à délivrer gratuitement et sans discrimination des cartes de débit (non de crédit) si le but est de limiter la circulation du cash et ainsi freiner l'économie informelle qui gangrène les pays du sud. Ainsi ...

à écrit le 16/07/2021 à 10:54
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Parce qu'elle est totalement incohérente.

à écrit le 16/07/2021 à 9:11
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Ce projet vont consumer bcp d'energie pas necesserement verte. Les alemands et les autrichiens sont contre l'energie automique europeene mais utilisent du gaz russe.

le 16/07/2021 à 14:37
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Vous confondez avec les crypto-monnaies. Cela n'a rien à voir au niveau du mode de production.

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