Paiement : EPI, l'alternative européenne à Visa et MasterCard en huit questions

Seize grandes banques européennes lancent un vaste programme visant à déployer, dès 2022, un réseau de paiement concurrent à ceux des américains Visa et MasterCard. Ce chantier technologique d’envergure, qui devrait coûter plusieurs milliards d’euros, est avant tout une question de souveraineté économique. Il est aussi semé de nombreux obstacles. Explications en huit questions.
Juliette Raynal
L'initiative EPI est un projet d'infrastructure. Elle vise à construire et déployer un nouveau circuit d'acceptation de paiement pour permettre aux particuliers de régler leurs achats sans passer par les réseaux d'acceptation des deux géants américains Visa et MasterCard. Ce nouveau dispositif doit permettre de traiter les paiements par carte, mais aussi les virements, les prélèvements et les paiements mobiles.
L'initiative EPI est un projet d'infrastructure. Elle vise à construire et déployer un nouveau circuit d'acceptation de paiement pour permettre aux particuliers de régler leurs achats sans passer par les réseaux d'acceptation des deux géants américains Visa et MasterCard. Ce nouveau dispositif doit permettre de traiter les paiements par carte, mais aussi les virements, les prélèvements et les paiements mobiles. (Crédits : DR)

D'ici deux ans, les cartes bancaires des Européens pourraient être flanquées d'un nouveau logo à côté de ceux de Visa ou MasterCard. Ces marques, confortablement installées dans le paysage des paiements, font référence aux réseaux d'acceptation construits par les deux mastodontes américains. Ce sont ces infrastructures qui permettent de mettre en relation la banque d'un client et celle d'un commerçant, lui permettant d'accepter des paiements en carte bancaire. Or, 16 grandes banques européennes, parmi lesquelles figurent les six principales banques françaises, ont annoncé, ce jeudi 2 juillet, confirmant une information des Echos, le lancement d'ici à 2022 d'une alternative à Visa et MasterCard. Voici ce qu'il faut savoir sur la European Payments Initiative (EPI), en huit questions.

1) Qui se trouvent derrière cette initiative européenne ?

Seize grandes banques européennes sont à l'origine de ce projet, soutenu par la Banque centrale européenne (BCE) et la Commission européenne. Parmi elles, toutes les grandes banques françaises (BNP Paribas, BPCE, Crédit Agricole, Crédit Mutuel, La Banque Postale et Société Générale), mais aussi Deutsche Bank et Commerzbank en Allemagne, Santander et BBVA en Espagne, ou encore UniCredit en Italie, et ING aux Pays-Bas. On retrouve également l'entreprise technologique tricolore Atos. D'ici à la fin de l'année, d'autres acteurs (banques, conglomérats bancaires et prestataires de services de paiement) pourront rejoindre l'initiative en tant que membres fondateurs.

2) Quel est son objectif ?

L'initiative EPI est un projet d'infrastructure. Elle vise à construire et déployer un nouveau circuit d'acceptation de paiement pour permettre aux particuliers de régler leurs achats sans passer par les réseaux d'acceptation des deux géants américains Visa et MasterCard. Ce nouveau dispositif doit permettre de traiter les paiements par carte, mais aussi les virements, les prélèvements et les paiements mobiles. "Cette solution de paiement paneuropéenne s'appuyant sur les paiements instantanés proposera une carte bancaire aux consommateurs et commerçants à travers l'Europe, un portefeuille numérique et des solutions de paiement entre particuliers utilisables partout en Europe", détaillent les porteurs de ce projet. "L'objectif d'EPI est de proposer une solution de paiement digitale utilisable partout en Europe et ainsi redessiner le paysage fragmenté actuel", expliquent les six grandes banques tricolores dans un communiqué de presse commun. À terme, ce nouveau circuit entend couvrir au moins 60% des paiements électroniques en Europe.

3) Est-ce une idée nouvelle ?

Les banques européennes n'en sont pas à leur coup d'essai. Une initiative très similaire, le projet Monnet, a vu le jour en 2012, sans toutefois aboutir. Cette tentative s'était heurtée à différents obstacles : les incertitudes liées à sa viabilité économique, mais aussi un alignement insuffisant des différentes banques qui n'étaient pas parvenues à mettre de côté leurs rivalités.

4) Cette initiative a-t-elle plus de chance d'aboutir ?

"Les banques se sont trouvées une cause commune : la volonté de maîtriser tout ou partie de la chaîne des paiements afin d'éviter de donner de l'argent à des acteurs comme Visa et MasterCard. Or, la commission reversée à ces deux acteurs pour utiliser leur infrastructure prend davantage d'ampleur à l'heure où la commission globale diminue en raison du plafonnement mis en place par le régulateur européen. Pour les banques européennes, un des moyens de conserver une certaine rentabilité est de se passer des infrastructures américaines", expose Julien Maldonato, associé industrie financière de Deloitte.

"Par ailleurs, des hypothèses favorables quant à la rentabilité économique de ce projet commencent à voir le jour. L'équation économique reste toutefois complexe alors que le projet pourrait coûter plusieurs milliards d'euros et que les banques versent chaque année plusieurs centaines de millions d'euros aux géants américains pour l'utilisation de leurs infrastructures", ajoute-t-il.

À ces considérations économiques, s'ajoute la crainte du développement des géants du web sur le terrain des paiements, alors que Facebook peaufine son portefeuille numérique baptisé Novi, censé embarquer la cryptomonnaie Libra. "Le rôle croissant des entreprises digitales non européennes - qu'elles soient américaines ou chinoises - offrant des solutions de paiement doit être pris au sérieux", avait déclaré l'année dernière François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France.

"Plus qu'un combat sur le plan technologique, c'est un combat géopolitique qui est en train de se jouer. Il y aura inévitablement des autoroutes [des paiements, Ndlr] privées et américaines sur le sol européen, l'enjeu consiste à mettre en place une autoroute publique européenne qui soit utilisée et qui donne plus de sens à l'Europe", résume Julien Maldonato.

5) Quels nouveaux usages pourraient voir le jour ?

"L'idée n'est pas de faire un simple copier-coller des circuits existants de MasterCard et Visa. Une nouveauté très attendue avec le nouveau circuit EPI est de mettre en place des nouveaux parcours. Un commerçant, par exemple, pourrait ne plus avoir besoin d'un terminal de paiement (TPE) pour accepter un paiement : le consommateur recevrait une notification sur son téléphone mobile lui demandant d'accepter un prélèvement. C'est ce qu'on appelle le request-to-pay", expose Julien Maldonato. Un parcours qui pourrait s'avérer utile pour un particulier qui souhaite, par exemple, s'acheter une très belle cuisine et dont le prix dépasse le plafond autorisé par sa carte bancaire.

D'autres usages pourraient se développer. "La grande innovation ce sera de permettre de régler quelqu'un partout en Europe, sept jours sur sept, de manière instantanée avec par exemple le numéro de téléphone portable du bénéficiaire", explique à l'AFP  Thierry Laborde, directeur général adjoint du groupe BNP Paribas.

6) Quels sont les principaux obstacles que pourrait rencontrer cette initiative ?

Si les chances de réussite d'une Europe des paiements n'ont jamais été aussi fortes, le chemin reste long et les embûches nombreuses. "Ce qui pourrait, a minima, retarder le projet, c'est la difficulté à s'entendre que peuvent avoir plusieurs acteurs privés, a fortiori concurrents, issus de pays hétérogènes", indique l'expert.

"Par ailleurs, Visa et MasterCard sont eux-mêmes en train d'investir massivement. Et ils ont l'avantage d'avoir une capitalisation boursière à faire pâlir beaucoup de groupes du CAC 40. [La capitalisation boursière de Visa s'élève à 411 milliards de dollars, celle de Mastercard à 297 milliards de dollars, Ndlr]. Cette richesse leur permet de construire en parallèle de très belles choses, au moins équivalentes à EPI. Visa et MasterCard vont mettre les bouchées doubles. C'est une course à l'armement", prévient Julien Maldonato.

7) La marque EPI arrivera-t-elle à s'imposer aussi fortement que Visa et MasterCard auprès des consommateurs ?

C'est un défi qui semble préoccuper certains banquiers. Pour Julien Maldonato, l'enjeu se trouve ailleurs. "Les marques Visa et MasterCard sont très bien installées dans le paysage, mais les consommateurs vont de moins en moins sortir leur carte bancaire de leur portefeuille. À l'avenir, les marques de ces géants du paiement pourraient devenir aussi peu connues du grand public que celles des routeurs Cisco et Huawei", prédit-il.

"L'enjeu, en revanche, est de bien positionner le circuit EPI dans le monde B2B", estime-t-il. Ce sont les nouveaux intermédiaires de la chaîne des paiements, qui proposent de nouveaux parcours de paiements à leurs clients commerçants, qu'il faudra alors séduire. Le futur standard européen devra donc, entre autres, parvenir à être intégré dans les nouvelles plateformes digitales développées par les géants de la tech. Or, ces derniers pourraient vouloir privilégier les solutions de paiement de leurs confrères américains plutôt qu'une solution européenne. "Pour s'imposer, EPI devra offrir des fonctionnalités que n'auraient pas MasterCard et Visa", conclut le spécialiste.

8) Quel est le calendrier envisagé ?

L'initiative doit débuter dans les prochaines semaines avec la création d'une société intérimaire à Bruxelles, chargée de lancer les travaux de mise en œuvre "pour parvenir à la meilleure expérience utilisateur possible", en vue d'une entrée en phase opérationnelle en 2022. "C'est un projet qui est difficilement réalisable en moins de deux ans", commente Julien Maldonato "et, si cela prend plus de cinq ans, il faut se poser des questions", poursuit-il.

Juliette Raynal

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Commentaires 2
à écrit le 04/08/2020 à 22:57
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Bonjour moi je trouve cette idee absurde les gens vont etres perdu sur le nouveau système de carte bancaire européenne

à écrit le 03/07/2020 à 12:32
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Ce qui est fou, c'est que c'est un projet d'utilité publique qui devrait être mené par les Etats / l'Europe et on va laisser de nouveaux acteurs privés continuer à s'engraisser sur le dos de leurs "clients" captifs.

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