COP21 : recherche 100 milliards de dollars... pour les pays du Sud !

Comment aider les pays du Sud à affronter le défi climatique ? Un rapport du groupe de réflexion WRI esquisse de nouvelles pistes afin que les pays développés puissent honorer leur promesse de 100 milliards de dollars par an au bénéfice des pays en développement.
Le financement d'une économie respectant une hausse des températures inférieure à 2 C repose sur quatre piliers principaux : un signal prix pour le CO2, le financement d'infrastructures à bas-carbone, la mobilisation des banques de développement et une réglementation financière intégrant enfin le risque climatique.

« Une large palette de sources financières privées et publiques, bilatérales et multilatérales, incluant des dispositifs innovants... »

La composition des 100 milliards de dollars que les pays riches se sont engagés à réunir chaque année à compter de 2020 pour aider les pays pauvres à s'adapter au changement climatique et à l'atténuer, définie lors de la Conférence de l'ONU sur le climat de Copenhague en 2009, est très ouverte.

Mais elle génère une confusion sur ce qui doit ou non être pris en compte pour aboutir à ce montant d'autant plus problématique que ce volet constitue un élément essentiel de la confiance entre pays développés et pays pauvres. Difficile d'attendre de ces derniers qu'ils prennent des engagements de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2020 si les premiers n'honorent pas leurs promesses financières pour l'après 2020.

Levier pour des financements privés

Une partie de ces financements doit provenir de sources publiques, notamment pour les projets d'adaptation au changement climatique. Il n'est pas évident, par exemple, de trouver un modèle économique susceptible d'attirer des financements privés sur la construction d'une digue protégeant le port de Dakar. Mais cet argent public a surtout pour objectif de servir de levier pour des financements privés, comme le montre l'étude publiée début juin par le groupe de réflexion établi à Washington WRI (World Ressources Institute). Les scénarios présentés reposent sur différents taux de croissance de l'aide publique et différentes hypothèses concernant les effets de leviers des financements privés par les financements publics. L'étude prend en compte les flux publics, les flux privés ayant bénéficié d'un effet de levier par les flux publics, ainsi que les flux publics bilatéraux et multilatéraux (fonds vert, banques multilatérales de développement).

Combiner toutes les sources disponibles

En 2012, les pays développés ont consacré 17 milliards de dollars à la « finance climat » et les banques de développement 15 milliards. Dix milliards issus de l'aide au développement ont également financé des projets liés au climat. La participation du secteur privé ayant bénéficié de l'effet de levier se situe entre 26 et 42 milliards de dollars, selon le ratio de levier utilisé.

Sur cette base, seule une croissance annuelle de 25% de la finance climat d'origine publique, irréaliste, permettrait d'atteindre le montant visé en 2020 exclusivement à partir de fonds publics. Mais il est possible d'y parvenir en combinant l'ensemble des sources disponibles, y compris avec des croissances et des effets de levier moyens, voire faibles. À quelques conditions : que les gouvernements des économies développées augmentent leurs promesses de 10 à 14 milliards de dollars d'ici à 2020 et que les banques de développement consacrent une plus grande part de leur budget à la finance climat, pour un montant global de 9 à 13 milliards de dollars de plus en 2020.

Concernant la partie publique, l'étude liste plusieurs sources : les recettes de la taxe sur les transactions financières actuellement en discussion parmi 11 États membres de l'UE, les crédits à l'exportation, l'allégement de dettes et la ré-orientation des subventions aux énergies fossiles. Celles-ci s'élèvent à 650 milliards de dollars par an et, d'après un récent rapport du FMI, leur coût public global est de 10 millions de dollars par minute au niveau mondial, soit 5.300 milliards de dollars par an.

Les recettes des dispositifs de taxation du carbone déjà en place en Europe, en Californie ou au Québec - recettes qui couvrent aujourd'hui 12% des émissions - pourraient dégager quelque 27 milliards de dollars à l'horizon 2020. Pour l'heure, seule Angela Merkel s'est engagée lors du dernier G7 à porter la contribution allemande à 2 milliards de dollars à l'horizon 2020, mais la pression est désormais sur les autres grandes puissances, à commencer par le Royaume-Uni et la France, à quelques mois d'accueillir la COP21.


« L'ARGUMENT MORAL ET L'ARGUMENT ÉCONOMIQUE SE REJOIGNENT »

ENTRETIEN PASCAL CANFIN, CONSEILLER CLIMAT DU GROUPE DE RÉFLEXION WORLD RESOURCES INSTITUTE (propos recueillis par Dominique Pialot)

Pascal Canfin, ancien ministre délégué au Développement dans les gouvernements I et II de Jean-Marc Ayrault, est conseiller climat du groupe de réflexion WRI (World Resources Institute). Il vient de publier Climat, 30 questions pour comprendre la Conférence de Paris.

Il copréside également avec l'économiste Alain Grandjean une commission mandatée par François Hollande pour identifier comment mobiliser davantage de financements vers une économie à bas-carbone. À l'issue de semaines marquées par le Business & Climate Summit à Paris, les discussions climatiques à Bonn et les annonces du G7 en faveur d'une décarbonation de l'économie, il revient pour La Tribune sur les enjeux de la COP21 en matière de financement.

LA TRIBUNE - Ces dernières semaines, plusieurs acteurs de la finance tels que Crédit Agricole, Axa, ou plus récemment le fonds souverain norvégien, ont décidé de désinvestir le secteur du charbon. Est-ce le début d'une nouvelle ère ?

PASCAL CANFIN - Les acteurs de la finance privée n'ont jamais été autant en première ligne. S'ils prennent ces engagements, c'est parce que le monde économique change. L'évaluation de ce qui est risqué ou pas, de ce qui est prometteur ou pas, de ce qui va rapporter des bénéfices futurs ou pas... est en pleine mutation. Si Crédit agricole ou Société générale cessent de financer les mines de charbon du bassin de Galilée en Australie, c'est que la rentabilité attendue n'est pas suffisamment assurée pour compenser un risque d'image qui, lui, est de plus en plus fort.

Mais il faut distinguer entre le charbon, le pétrole et le gaz. Utilisé pour produire de l'électricité, le charbon est en concurrence directe avec les énergies renouvelables.

Mais le pétrole, essentiellement utilisé pour les transports, ne subit pas encore cette concurrence. Il y a un écart d'environ dix ans entre ces deux sources d'énergie. Selon la Deutsche Bank, les renouvelables sont en capacité de concurrencer le charbon sur 30 % des marchés dans le monde. En Afrique du Sud, des centrales au charbon ont récemment perdu des enchères inversées pilotées par le gouvernement face à des centrales solaires.

On a clairement atteint un point d'inflexion et le « risky business » a changé de camp.

Nous sommes dans ce moment intéressant où l'argument moral, qui vient d'être rappelé avec force par le Pape, rejoint l'argument économique. C'est l'alignement des valeurs et des intérêts qui va permettre à la transition de s'opérer à l'échelle nécessaire.

Les pays du G7 ont annoncé leur volonté de modifier leurs bouquets énergétiques pour aller vers une économie totalement décarbonée d'ici la fin du siècle. Quelle est la portée de cette annonce ?

Elle n'est pas anodine étant donné le moment politique dans lequel elle s'inscrit. Ce qu'on dit en juin a des répercussions sur ce qu'on fait en décembre, et les membres du G7 en ont bien conscience. La France et l'Allemagne ont poussé pendant des semaines pour que tous les pays du G7 s'engagent sur une réduction de 60 % de leurs émissions d'ici à 2050.

Devant le refus du Canada et du Japon, ces 60 % sont devenus « la fourchette haute entre - 40 et -70 % », ce qui revient au même.

Cet objectif de long terme, qui vient en complément des contributions nationales annoncées sur cinq ou dix ans, est déterminant : les infrastructures énergétiques sont des investissements sur trente ou quarante ans.

Lors du dialogue de Petersberg en amont du G7, François Hollande et Angela Merkel avaient déjà plaidé pour la neutralité carbone avant la fin du siècle. C'est très important, car, à l'inverse d'une réduction des émissions par palier qui n'implique pas de changer de logique, la perspective d'une décarbonation totale représente une révolution conceptuelle.

Un autre sujet à l'ordre du jour du G7 concernait les 100 milliards de dollars annuels promis par les pays riches aux pays pauvres d'ici à 2020 pour les aider à s'adapter au changement climatique et à l'atténuer. Où en est-on ?

La déclaration finale du G7 contient quelques lignes mentionnant la nécessité de « fournir davantage d'argent public » et de « mobiliser davantage d'argent privé » dans le but de parvenir aux 100 milliards en 2020. L'étude publiée début juin par le WRI présente une « zone d'atterrissage » pour un compromis politique autour de la COP21, grâce à différents bouquets de sources financières publiques et privées. Mais elle montre que, dans tous les cas, on ne peut atteindre les 100 milliards de dollars qu'à condition que les États du Nord mettent de 10 à 15 milliards de dollars d'argent public supplémentaire.

Les Allemands, qui sont en accord avec ces conclusions, ont d'ailleurs annoncé par la voix de leur chancelière leur volonté de verser 2 milliards de dollars de plus en 2020 comparé à 2014. Maintenant, la pression est sur les autres pays, à commencer par le Royaume-Uni et la France. Celle-ci doit, selon cette analyse, annoncer au moins 1 à 1,5 milliard de dollars de plus. La taxe sur les transactions financières (à l'étude au sein de 11 États membres de l'Union Européenne) est une des pistes envisageables.

N'est-ce pas délicat pour la France de pousser à la mobilisation d'argent public pour alimenter ce fonds d'aide à la transition dans les pays du Sud, alors qu'elle-même ne tient pas ses engagements en matière d'aide publique au développement (APD) ?

En effet. Les pays en développement ont deux craintes : qu'en faisant moins de charbon et plus de renouvelables cela fasse moins d'énergie produite au final, ou que l'aide au développement soit utilisée davantage pour financer des centrales solaires et moins pour construire des écoles... Il va donc falloir expliquer à Addis Abeba que plus de finance climat, cela ne signifie pas moins de mégawatts ni moins d'écoles.

Comment faire ? Tout l'enjeu est de montrer de manière crédible comment les États vont honorer la promesse des 100 milliards pour le climat au Sud (on atteint aujourd'hui entre 35 et 50 milliards). D'autre part, le surcoût des renouvelables diminue spectaculairement et un pays comme l'Éthiopie mise clairement sur une stratégie de développement à bas carbone pour sortir durablement de la pauvreté. C'était inenvisageable il y a encore dix ans.

Lors du Business & Climate Summit de Paris en mai, de nombreuses entreprises ont réclamé un prix du carbone. Cela vous semble-t-il légitime ?

Comme Alain Grandjean et moi le rappelons, dans le rapport que nous avons remis au président de la République, le financement d'une économie respectant une hausse des températures inférieure à 2 C repose sur quatre piliers principaux : un signal prix pour le CO2, le financement d'infrastructures à bas-carbone, la mobilisation des banques de développement et une réglementation financière intégrant enfin le risque climatique.

Concernant un prix du carbone, la probabilité d'un accord international sur un prix unique est très faible. Mais rien n'empêche les pays d'aller plus loin sur une base volontaire.

La Chine dispose maintenant d'un marché du carbone qui sera étendu sur le plan national en 2016. L'Europe en a un également et de plus en plus de pays d'Amérique latine (Mexique, Chili, Pérou...) se dotent d'une fiscalité carbone. Sur cette base, nous proposons un accord volontaire à Paris sur un « corridor carbone », avec un point de départ situé entre 15 et 20 dollars la tonne en 2020 et une hausse régulière permettant d'atteindre un niveau « transformationnel », de 60 dollars la tonne en 2030.

Qu'attendez-vous des banques de développement ?

Elles ont un rôle de locomotive à jouer. Dans le cadre de leur bilan actuel, elles doivent consacrer plus de fonds au climat - la Banque mondiale ne fait par exemple que 20 % de financements climat -et accroître leur effet levier en prenant plus de risques et en octroyant plus de garanties.

Un dollar garanti par une banque de développement permet de dégager de 6 à 7 dollars privés en « dérisquant » les projets. Au-delà des banques de développement, il faut que le monde investisse davantage.

L'enjeu, c'est de créer une classe d'actifs financiers dans les infrastructures à bas carbone qui rapportent entre 2 et 4%. Et qui nous permettent de sortir de la situation absurde où nous sommes avec une politique monétaire qui inonde les marchés de liquidités sans que cela fasse repartir l'investissement.

Le financement des infrastructures à bas carbone est donc à la fois un enjeu climatique et un enjeu de bonne santé économique.

Toutes ces pistes, la France est en mesure de les pousser auprès des différentes instances internationales (FMI, Banque mondiale, G7, G20...) où elle siège afin de faire émerger des solutions de financement d'ici à la COP21. C'est pourquoi nous proposons dans le rapport remis au président Hollande la première feuille de route pour le financement d'une économie compatible avec le respect des deux degrés.

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Commentaires 3
à écrit le 10/08/2015 à 13:36
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Pour interroger nos responsables politiques sur la COP21 : rdv sur whybook.org !

à écrit le 13/07/2015 à 11:43
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Déjà, il faudrait un vaste programme de reforestation. Développer l'élevagage et la construction de barrage de retenue d'eau.

le 17/07/2015 à 14:06
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oui, ainsi que baisser les dépenses de leur Etat pour libérer les énergies, moins d'impôt sur le travail = moins de chômage et un enrichissement plus rapide, quel que soit le pays. La majorité des Etats du monde dépensent trop. Bridant d'autant l'...

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