Aviation : feu vert pour les carburants verts (nucléaire compris)

Plusieurs mois de négociations tendues ont été nécessaires pour accorder les institutions européennes, les lobbies aériens et écologistes ainsi que les Etats. RefuelEU Aviation est toutefois sur le point de voir le jour. Ce règlement, qui doit structurer l'utilisation et la production de carburants d'aviation durables en Europe, a été validé hier dans la nuit. Les points de blocage ont été levés, notamment celui sur l'utilisation du nucléaire pour produire des carburants synthétiques.
Léo Barnier
Parlement européen et Conseil de l'UE doivent encore valider définitivement RefuelEU Aviation.
Parlement européen et Conseil de l'UE doivent encore valider définitivement RefuelEU Aviation. (Crédits : YVES HERMAN)

Le travail législatif sur le Fit for 55, le Pacte vert européen, est désormais achevé. Le dernier point, le programme RefuelEU Aviation qui trace la feuille de route pour les carburants d'aviation durables (SAF) en Europe, a été adopté en trilogue dans la nuit de mardi à mercredi.

Après des négociations tendues, et l'échec du précédent trilogue en décembre dernier, la Commission européenne, le Parlement européen, et le Conseil de l'Union européenne sont parvenus à un accord. Celui-ci entérine un compromis sur la part de carburant synthétique obligatoire pour le transport aérien européen. En outre, il valide l'utilisation d'électricité d'origine nucléaire pour leur production. Il reste néanmoins une incertitude : le texte doit désormais être entériné par le Parlement et le Conseil. Or, un exemple récent dans l'automobile a montré que cela n'était pas automatique.

Si tout le monde a dû faire des concessions, l'ambiance est à la satisfaction générale après cette dernière nuit de négociations.

« Enfin, nous avons un accord, se réjouit la présidente de la commission des transports du Parlement européen, Karima Delli, auprès de La Tribune. Pour la première fois dans l'aviation, nous avons une feuille de router pour décarboner le secteur de l'aviation. »

Cette situation contraste assez largement avec les semaines de tension décrites par toutes les parties prenantes. « Les négociations ont été très difficiles, insiste-t-elle. Le lobbying a été très intense, de la part de l'aviation, mais surtout au niveau des Etats. L'accord que nous avons obtenu aurait pu être beaucoup plus ambitieux. Mais il a tout de même du mérite. C'est d'autant plus important que le secteur aérien pèse dans les émissions polluantes. »

Vers 70% de SAF en 2050, dont la moitié d'e-fuels

Un compromis a donc été déniché sur le niveau d'incorporation obligatoire de SAF dans le kérosène, qui s'imposera aux fournisseurs de carburant. Sans surprise, toutes les instances européennes étant déjà d'accord, l'obligation commencera à 2% en 2025. Les étapes suivantes nécessitaient pour les parties prenantes de s'accorder pour définir une trajectoire médiane. Celle-ci passera par 6% en 2030 avant une accélération : 20% en 2035, 34% en 2040 et 42% en 2045. L'objectif final sera de 70% d'incorporation en 2050, ce qui est plus ambitieux que la position du Conseil et de la Commission, mais moins que les 85% voulus par le Parlement.

Comme l'expliquait un connaisseur du dossier, l'enjeu se situait essentiellement sur les premières étapes pour amorcer le processus. Les objectifs à plus long terme pourront, pour leur part, faire l'objet d'une révision.

Plus que le niveau global de SAF, les négociations ont été âpres sur la part obligatoire de carburants synthétiques (ou e-fuels). Là aussi, les négociateurs ont coupé la poire en deux. Là où la Commission et le Conseil proposaient 0,7% en 2030, là où le Parlement voulait 0,04% dès 2025 et 2% en 2030. Ce sera finalement 1,2% en 2030, puis 5% en 2035. La hausse est ensuite relativement progressive, avant une accélération pour arriver à 35% en 2050. Si cette trajectoire est respectée, les carburants synthétiques, produits à partir de CO2 et d'hydrogène, représenteront alors la moitié des carburants durables en Europe.

Lire aussiLes compagnies aériennes exhortent l'Europe à ne pas perdre la course mondiale sur les carburants verts

Le nucléaire sera de la partie

Cette trajectoire élevée de carburants synthétiques était notamment désirée par l'Allemagne. La France, elle, a joué sur ce point pour obtenir une contrepartie, à savoir l'utilisation du nucléaire pour la production d'hydrogène bas carbone au même titre que les énergies renouvelables. Et elle l'a pleinement obtenue, sans limitation à 50% de la production, comme souhaitait l'imposer l'Allemagne.

En ce qui concerne les biocarburants, qui constitueront la majorité des volumes de SAF dans un premier temps, les institutions européennes se sont entendues sur le fait d'exclure la production faite à partir de cultures destinées à l'alimentation humaine ou animale, ou issues de la déforestation. En revanche, les graisses animales de catégorie 3 restent éligibles.

Lire aussiLe gouvernement mobilise l'écosystème pour lancer (enfin) la filière des carburants d'aviation durables (SAF)

Les effets non CO2 surveillés

Des mesures additionnelles ont également été incluses. Pour éviter le suremport (ou tankering), à savoir un emport de carburant excédentaire lors d'un vol hors d'Europe pour s'affranchir des obligations d'emport de SAF, cette pratique sera interdite. Néanmoins, cela ne pourra s'appliquer qu'au départ des aéroports européens, ce qui réduit son efficacité. D'autant qu'il n'y aura pas de différences dans les mandats d'incorporation d'un pays à l'autre, le principe de mandats nationaux supérieurs à la réglementation européenne ayant été rejeté.

Enfin, et c'est une première, RefuelEU Aviation inclut un article consacré aux effets « non CO2 » de l'aviation. Ceux-ci pourraient représenter jusqu'à deux tiers de l'impact de l'aviation sur le climat selon Karima Delli. Ces effets seront évalués tous les cinq ans et pourraient faire l'objet d'une réglementation en 2028.

Le Parlement et le Conseil doivent désormais voter pour ratifier pleinement cet accord et permettre son application. Si tout semble aujourd'hui calé, le précédent provoqué par l'Allemagne en mars dernier sur la fin des moteurs thermiques dans l'automobile en 2035 appelle à la prudence.

Lire aussiTaxonomie verte : l'aviation retient son souffle

Et maintenant, il faut produire

Ensuite, il faudra véritablement lancer la production. « Ce texte est fondateur, puisqu'il pose les jalons d'une filière souveraine de carburants de synthèse en Europe, et lui permet de consolider son leadership sur une technologie qui, compte tenu de l'urgence climatique, s'imposera à tous à l'avenir », s'est réjoui Karima Delli.

Laurent Donceel s'est montré plus prudent. « ReFuel EU n'est pas la destination finale pour le carburant d'aviation durable en Europe, indique le directeur général par intérim du lobby aérien Airlines for Europe (A4E). Les décideurs politiques doivent maintenant s'assurer que cela va aller jusqu'au bout et aider à construire une industrie SAF de premier plan : l'Union européenne doit penser aux SAF comme elle pense aux éoliennes, aux panneaux solaires et aux autres technologies durables afin de soutenir la transition énergétique de l'aviation, de renforcer la sécurité des carburants et de promouvoir des emplois durables. »

Léo Barnier

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 2
à écrit le 27/04/2023 à 11:56
Signaler
@Albert Négociations entre la commission Européenne, le parlement et les représentants des états membres.

à écrit le 27/04/2023 à 9:45
Signaler
Ça sort d'où toutes ces décisions??

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.