Le gouvernement mobilise l'écosystème pour lancer (enfin) la filière des carburants d'aviation durables (SAF)

Trois ministres et les représentants de haut niveau de l’aérien, de l’aéronautique et de l’énergie : il n'en fallait pas moins pour tenter de donner - enfin - vie à une filière française des carburants d'aviation durables (SAF) et avancer sur la voie de la décarbonation. Il en faudra néanmoins encore plus dans les prochains mois pour définir une feuille de route agréée par tous et, surtout, débloquer l'équation financière qui pèse sur son développement avec des prix au moins trois fois plus élevés que le kérosène.
Léo Barnier
La production européenne de carburants d'aviation durables doit décoller rapidement si le transport aérien européen veut atteindre ses objectifs de décarbonation.
La production européenne de carburants d'aviation durables doit décoller rapidement si le transport aérien européen veut atteindre ses objectifs de décarbonation. (Crédits : Reuters)

Tout le monde veut des carburants d'aviation durables, les fameux SAF. Chacun s'accorde à dire qu'ils seront l'un des principaux leviers, voire le principal levier pour décarboner le transport aérien. Il est en tout cas indispensable pour atteindre l'objectif de zéro émission nette en 2050. Pourtant, la filière peine à se mettre en place en France comme en Europe.

À l'heure où l'urgence climatique se fait tous les jours plus pressante, où les Etats-Unis accélèrent sensiblement leur transition à coups de subventions, et où le trafic repart fortement à la hausse, la production est largement insuffisante.

Après une première tentative peu aboutie en 2020, le gouvernement français tente à nouveau de mobiliser l'ensemble de l'écosystème et créer une véritable filière. Conformément à la loi Climat et résilience, une feuille de route doit être construite d'ici le salon du Bourget, qui fera son grand retour en juin prochain.

Ce ne sont pas moins de trois ministres qui étaient sur le pont ce mardi, à savoir Agnès Pannier-Runacher (Transition énergétique), Clément Beaune (Transports) et Roland Lescure (Industrie), afin d'impulser le mouvement. Ils ont réuni pour cela énergéticiens, industriels, aéroports, compagnies aériennes pour lancer un groupe de travail qui aura la lourde tache de définir la future trajectoire pour construire la filière SAF en France. Olivier Andriès, directeur général de Safran, Anne Rigail, directrice générale d'Air France, Augustin de Romanet, PDG du groupe ADP, et bien d'autres (Airbus, Thales, Suez, Avril, Ifpen...) ont ainsi répondu présents.

Par la même occasion, la Fédération nationale de l'aviation et de ses métiers, l'Union des aéroports français (UAF) et le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas) ont également remis à cette occasion leur propre feuille de route, élaborée depuis six mois.

Cette séquence aura permis aux ministres, et notamment Agnès Pannier-Runacher, d'annoncer leur volonté de mettre en œuvre la Stratégie nationale bas-carbone dans l'aérien et de trouver les moyens pour que le secteur puisse conduire collectivement sa décarbonation sans perdre en compétitivité. Ils ont aussi annoncé qu'un « binôme » serait nommé par le gouvernement pour assurer le lien avec le groupe de travail, ainsi qu'un calendrier avec une nouvelle réunion générale fin avril et la présentation d'une feuille de route définitive lors du salon du Bourget donc.

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Une initiative saluée mais...

La plupart des acteurs présents ont salué cette initiative, nécessaire pour sortir de la situation figée actuelle où énergéticiens et membres du transport aérien tendent à se renvoyer la balle : les uns arguant que la demande est insuffisante pour investir massivement, les autres répondant que la production est insuffisante et les prix trop élevés pour permettre un véritable déploiement.

Mais il faudra sans doute plus que des belles paroles au vu de la séquence de prises de parole des principaux représentants des différents secteurs qui a parfois tourné à la séance de doléances.

Olivier Andriès a ainsi dénoncé la faiblesse des ambitions européennes en termes d'incorporation de SAF, qui devrait se situer entre 5% et 6% en 2030, selon les négociations en cours à Bruxelles dans le cadre du programme Refuel EU Aviation, face à la vitesse de transition américaine qui vise 10% en 2030. Même si, comme le rappelle Agnès Pannier-Runacher, les critères de durabilité sont bien moins importants aux Etats-Unis, le rythme y est sensiblement plus élevé notamment grâce aux milliards de dollars apportés par le gouvernement fédéral.

De son côté, Augustin de Romanet n'a pas hésité a envoyé une pique à l'intention des producteurs :

« Si les énergéticiens ne se réveillent pas en France, ma voisine [en l'occurrence Anne Rigail, Ndlr] ira chercher son SAF aux Etats-Unis. »

Cette dernière a pour sa part illustré la situation avec des chiffres :

« La production actuelle (de SAF) représente une fraction infime des besoins l'aviation, donc, tout reste à compte à construire. Si nous projetons la production européenne et britannique à l'horizon 2030, nous entrevoyons 2,5 millions de tonnes par an. Les seuls mandats européens et britanniques nécessiteront à cette date entre 3 et 4 millions de tonnes par an, alors même que nous avons vu qu'ils sont insuffisants pour les compagnies aériennes. En France, on estime que 300.000 tonnes seront disponibles par an à partir de 2024. »

Elle rappelle ainsi qu'Air France-KLM s'est engagé sur au moins 10% en 2030.

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... encore beaucoup à faire

Anne Rigail ajoute, elle aussi, que « notre vraie crainte, et ça s'est beaucoup entendu ici, c'est que la France et l'Europe soient finalement prises de vitesse dans cette compétition mondiale. Les Etats-Unis vont vite au travers de l'Inflation Reduction Act. Avec certes des critères qui ne sont pas les nôtres, ils ont pour objectif d'assurer l'autonomie de l'aviation américaine avec une ambition 100% SAF à l'horizon 2050. »

Au vu des projets en cours, la directrice générale d'Air France estime que les Etats-Unis atteindront une production de 9 millions de tonnes de SAF en 2030, « soit près de 4 fois plus qu'en Europe ».

Il faut ajouter à cette équation la nécessité de produire de l'électricité verte, notamment pour développer les carburants de synthèse qui nécessite de l'hydrogène décarboné par électrolyse de l'eau. Les chiffres de la feuille de route de la Fnam, de l'UAF et du Gifas indiquent que les besoins pour l'aviation sont évalués entre 45 et 75 TWh en 2050, selon différents scénarios.

« Ce n'est pas l'épaisseur du trait », commente ainsi Agnès Pannier-Runacher qui indique que c'est l'équivalent de 10% à 15% de la production annuelle d'électricité actuelle en France.

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Des incitations attendues

En dépit de ces frictions, tous - énergéticiens compris - se sont accordés pour dire que l'émergence d'une filière SAF en France nécessite des objectifs clairs, un cadre réglementaire européen stable, et surtout, beaucoup d'argent.

Et pour cela, chacun des secteurs en appelle plus ou moins largement à l'Etat avec la mise en place de dispositifs d'incitations à l'instar ce qui se passe aux Etats-Unis.

« L'Europe va fixer le cadre normatif mais, évidemment, cela ne marchera que si nous adoptons une politique d'investissements massifs », a ainsi déclaré Anne Rigail.

La directrice générale d'Air France a donc demandé le déploiement de dispositifs de soutien à la R&D, comme c'est déjà le cas à travers le Conseil pour la recherche aéronautique civile (Corac), mais aussi « au moins temporairement à l'achat, sinon le business model des compagnies aura du mal à le supporter ». Le prix des SAF est en effet au moins trois fois plus élevé que celui du kérosène aujourd'hui.

De son côté, Olivier Gantois, président exécutif de l'Union Française des Industries Pétrolières (UFIP) Énergies et Mobilités qui représente Esso, Shell, TotalEnergies et le raffineur finlandais Neste, a également demandé la mise en place de mécanismes incitatifs afin d'aider à l'investissement. Selon une étude interne, 20 à 45 milliards d'euros seront nécessaires d'ici à 2035 pour répondre au doublement de la demande française pour des carburants liquides bas carbone. L'aviation ne devrait néanmoins représenter qu'une part minoritaire de cette demande.

À l'heure actuelle, le gouvernement n'a pas souhaité s'engager fermement sur cette dimension financière, mais a rappelé à plusieurs reprises la nécessaire discipline budgétaire, les investissements déjà consentis à travers le Corac ou France 2030, et « qu'il n'y aurait pas de chèque en blanc ».

Comme d'autres, Anne Rigail demande de trouver des sources de financement durables en la matière, avec, par exemple, un fléchage de certaines recettes comme celles issues du système européen de quotas sur les émissions carbone (EU ETS) de l'aviation vers ce type de dispositifs.

De son côté, Marc Hamy, vice-président d'Airbus, chargé des affaires générales, du développement durable et de l'environnement, a, lui, rappelé la nécessité d'inclure l'aviation dans la taxonomie européenne afin de pouvoir accéder à des financements privés verts. Ils ne seront sans doute pas de trop au vu des 800 milliards d'euros nécessaires, selon lui, pour réaliser la décarbonation du transport aérien en Europe.

Léo Barnier

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Commentaires 3
à écrit le 21/02/2023 à 20:06
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Bonjour, Un carburant trois plus chere que le kérosène... Du grand n'importe quoi... Qui vas acheter ce carburant trois fois plus chere...

à écrit le 15/02/2023 à 14:15
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Au lieu de donner la priorité aux machines agricoles, on la donne aux transports de luxe ...

à écrit le 15/02/2023 à 10:01
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Aucun carburant n'est "climatiquement" neutre. En ce qui concerne les avions il faut réduire la flotte mondiale.Mal parti puisque le parc d'avions devrait doubler d'ici 2050!

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