Carburants d'aviation durables  : nouvelle chance pour un consensus européen sur les SAF

Après plusieurs échecs, le programme RefuelEU Aviation revient sur le devant de la scène européenne avec des négociations qui s'ouvrent ce mardi soir à Bruxelles. Bien que les discussions s'annoncent compliquées, un accord semble possible.
Léo Barnier
Les institutions européennes vont négocier pour trouver un débouché au programme RefuelEU Aviation.
Les institutions européennes vont négocier pour trouver un débouché au programme RefuelEU Aviation. (Crédits : Reuters)

Considérés par la plupart des acteurs comme le principal levier pour la décarbonation du transport aérien, les carburants d'aviation durables (ou SAF) peinent toujours à décoller en Europe. Alors que les Etats-Unis avancent à grands pas vers la production de masse à la faveur de l'Inflation Reduction Act et autres mesures incitatives, les instances de l'Union européenne peinent à s'accorder sur un compromis sur le programme RefuelEU Aviation, qui doit rendre obligatoire l'incorporation d'une proportion de ces carburants dans le kérosène. Après plusieurs tentatives vaines, un dernier round de négociations doit débuter ce soir entre la Commission, le Conseil de de l'UE et le Parlement européen pour trouver un débouché. En cas de nouvel échec, la question risque d'être repoussée à la prochaine présidence, l'Espagne devant succéder à la Suède au 1er juillet.

Plusieurs sources proches du dossier se montrent relativement confiantes sur le fait d'arriver à un accord au cours de cette nuit de négociation. Et les principales parties prenantes appellent à trouver un débouché. C'est le cas de Karima Delli, présidente de la commission des transports du Parlement. Elle déclare ainsi : « L'aérien était notre angle mort de la décarbonation dans le secteur du transport. La feuille de route que nous proposons est réaliste et surtout, elle vise à construire une filière souveraine. »

C'est le cas aussi du lobby aérien Airlines for Europe (A4E) qui, dans un communiqué, « exhorte les décideurs politiques de l'UE à persévérer et à sortir du dernier trilogue ReFuelEU avec un accord ». Laurent Donceel, son directeur général par intérim, déclare ainsi qu'il « faut que les dernières pièces du puzzle se mettent en place. Nous ne pouvons pas tolérer que ReFuel EU soit bloqué en raison de désaccords entre les décideurs politiques. »

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Le nucléaire coince toujours

Malgré cette volonté d'avancer de part et d'autre du spectre, des points de blocage persistent. Et ils donnent lieu à des tensions fortes dans les négociations préparatoires au trilogue, avec des tentatives de conciliations infructueuses jusqu'ici.

Comme lors des précédentes tentatives, les principaux enjeux se situent sur les carburants de synthèse, dits aussi e-fuels. Le premier porte sur la part de ces carburants produits à partir de CO2 et d'hydrogène dans les futurs mandats d'incorporation. Alors que la tendance est plutôt à un accord sur le niveau global d'incorporation de SAF avec des mandats de 2 % en 2025 et 6 % en 2030 - c'est-à-dire la position du Parlement et du Conseil quand la Commission proposait 5 % - la part de ces carburants synthétiques fait encore débat. La Commission et le Conseil visent 0,7 % en 2030, là où le Parlement veut 0,04 % dès 2025 et 2 % en 2030.

Pour trouver un débouché, la présidence tchèque de l'UE - qui s'est achevée fin 2022 - avait laissé entrevoir la possibilité pour les Etats-membres de mettre en place des mandats plus élevés au niveau national. Mais cette perspective tend à inquiéter les compagnies aériennes sur une remise en cause du marché européen unique et de possibles distorsions de concurrence au sein de l'Union.

Le deuxième point de friction est directement lié au premier, car il porte sur l'utilisation de l'énergie nucléaire pour la production d'hydrogène bas carbone et donc d'e-fuel. C'est déjà cette question qui avait fait échouer la précédente tentative de trilogue en décembre dernier.

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Un nécessaire compromis

Ces deux questions nécessitent de trouver un compromis entre les différentes instances bruxelloises, mais aussi au sein même de ces instances. Ces questions ont en effet cristallisé des oppositions marquées au sein du Conseil entre Etats-membres, avec en première ligne la France, qui défend le nucléaire, et l'Allemagne qui insiste sur une part élevée de carburants synthétiques mais produits sans électricité d'origine nucléaire.

Selon plusieurs suiveurs, la France tenterait de faire avancer ses positions auprès de plusieurs pays davantage alignés sur l'Allemagne en proposant de revoir à la hausse la part de carburants synthétiques dans les mandats, contre l'acceptation de l'électricité d'origine nucléaire. L'Allemagne pourrait être tentée d'accepter si cette part du nucléaire est limitée et que la part de carburants synthétiques est élevée.

Mais les oppositions au nucléaire restent vives, à l'instar de Karima Delli. Elle ne semble pas prête à faire des concessions sur cette question, réaffirmant encore une fois son opposition. Elle s'est prononcée en faveur d'une « énergie saine et souveraine » que « les énergies renouvelables sont les plus à mêmes de garantir aux européens », les appelant à « se désintoxiquer » d'un nucléaire sans avenir.

A l'inverse, d'autres redoutent que sans le nucléaire, les prix des carburants synthétiques - 13 à 14 fois plus élevés que le kérosène, contre 3 à 5 fois pour les biocarburants selon A4E - soient prohibitifs.

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Tout n'est pas perdu

Tous semblent en tout cas penser qu'il n'est pas trop tard, même si les Etats-Unis creusent l'écart. Laurent Donceel appelle ainsi à une industrialisation des SAF qui, selon lui, « joueront un rôle essentiel dans la décarbonisation de l'aviation européenne. Avec une politique adéquate, 30 usines de SAF pourraient être construites en Europe au cours des sept prochaines années, ce qui permettrait d'économiser 7 millions de tonnes de CO2 par an d'ici à 2030. »

Il est rejoint par Karima Delli, qui appelle l'Europe à prendre les devants pour « imposer un leadership et une compétitivité que les autres régions du monde auront du mal à rattraper » et ne pas « reproduire ce qui s'est passé avec l'automobile où nous avons tardé à prendre des mesures réglementaires et se retrouver avec une industrie européenne à la remorque des industries chinoises. »

En s'appuyant sur une étude à venir de l'ONG Transport & Environnement, la députée européenne estime que si l'Europe avance maintenant, les surcoûts engendrés pour les compagnies seront limités pour la décennie à venir. « En 2035, si on s'y prend maintenant, nous serons compétitifs, et nous allons également pousser les accords bilatéraux pour harmoniser nos réglementations », déclare-t-elle ainsi.

Léo Barnier

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Commentaire 1
à écrit le 26/04/2023 à 6:45
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Pour l'instant la seule alternative au kérosène , ce sont les agrocarburants que l'on appelle biocarburant pour le politiquement correct. Bref un non sens écologique, il n'y a pas d'alternative au moment où les ventes d'avions neufs repartent à la ha...

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