Les compagnies aériennes exhortent l'Europe à ne pas perdre la course mondiale sur les carburants verts

Concurrentes acharnées en temps ordinaire, les compagnies aériennes européennes savent faire front commun pour défendre leurs intérêts. Réunies au sommet d'A4E, Easyjet, Lufthansa et Ryanair ont mis la pression sur les institutions européennes pour avancer sur les carburants d'aviation durables, indispensables à la décarbonation du transport aérien, sous peine de perdre la course engagée face aux États-Unis et le reste du monde.
Léo Barnier
Michael O'Leary (Ryanair), Carsten Spohr (Lufthansa) et Johan Lundgren (Easyjet) appellent l'Europe à accélérer sur les SAF.
Michael O'Leary (Ryanair), Carsten Spohr (Lufthansa) et Johan Lundgren (Easyjet) appellent l'Europe à accélérer sur les SAF. (Crédits : L. Barnier - La Tribune)

Le modèle américain fait des envieux. Réunis à l'occasion du sommet annuel d'Airlines for Europe (A4E Aviation Summit), Carsten Spohr, Micheal O'Leary et Johan Lundgren, les patrons de Lufthansa, Ryanair et Easyjet, ont mis la pression sur l'Union européenne pour accélérer le développement des carburants d'aviation durables (SAF) et « compléter le marché unique de l'aviation ». Et le modèle incitatif mis en place aux États-Unis par l'administration Biden avec notamment l'Inflation Reduction Act (IRA) a été largement pris en exemple dans la course mondiale qui s'est engagée. Une sortie qui intervient alors que les institutions européennes espèrent enfin conclure le lancement de l'initiative ReFuelEU Aviation le mois prochain.

Le cahier de doléances était ouvert ce mercredi à Bruxelles. Michael O'Leary, directeur général du groupe Ryanair, ne s'est pas fait prier pour dénoncer la hausse des redevances dans certains aéroports comme Londres-Heathrow, et surtout, marteler son indignation devant les perturbations engendrées par les grèves du contrôle aérien français et l'absence de mesures par la Commission européenne « qui reste assise sur ses mains et ne fait rien à part parler ». Le Ciel unique européen (ou SES, pour Single European Sky), véritable arlésienne depuis des années, est également revenu à plusieurs reprises sur la table.

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L'Europe à la traîne sur les SAF

Pourtant, outre les déclarations du fantasque dirigeant irlandais, c'est bien la question des SAF et de l'inaction européenne qui a largement occupé le devant de la scène. C'est Carsten Spohr, directeur général du groupe Lufthansa, qui a mené la charge.

Il a ainsi pris les SAF comme le premier exemple des contraintes structurelles qui limitent « les gens comme (eux) qui essayent d'optimiser l'industrie du transport aérien ». S'il a assuré que les compagnies aériennes soutenaient largement leur développement, Carsten Spohr s'est fait fort de rappeler qu'elles ne peuvent pas produire de carburant.

Le patron de Lufthansa insiste sur la nécessité d'arriver à produire suffisamment de SAF pour répondre aux besoins des compagnies européennes, ainsi que sur celle d'avoir des « prix acceptables » et non des « prix fous », cinq fois plus élevés que ceux du kérosène, alors que seuls quelques pourcents acceptent aujourd'hui de payer plus cher pour compenser leurs émissions. Il en appelle donc à un soutien de l'Europe et des États membres - soutien jusque-là inexistant, selon lui.

Autrement, Carsten Spohr prévient que « la course mondiale » pour la production de SAF est déjà engagée et que « l'Europe risque de perdre ». Si tel était le cas, il affirme que les conséquences seraient graves tant au plan environnemental pour la tenue des objectifs environnementaux qu'au plan de la compétitivité.

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Les États-Unis, eldorado supposé du carburant vert

Et, en l'occurrence, le nouveau modèle se trouve aux États-Unis, assurent Carsten Spohr, Micheal O'Leary et Johan Lundgren, qui louent le choix fait de l'autre côté de l'Atlantique de subventionner aussi bien la production de carburants aériens durables (même si des critiques se font entendre sur le manque de normes pour garantir le réel potentiel de décarbonation des carburants américains) que l'acquisition.

« Si les gouvernements européens ne donnent pas d'incitation pour la production et l'utilisation de SAF comme aux États-Unis, nous n'arriverons pas au zéro émission nette en 2050 », déclare ainsi Michael O'Leary.

Ces déclarations interviennent alors que la prise en compte des carburants d'aviation durables dans le projet de loi Net Zero Industry Act (NZIA) est jugée insuffisante en comparaison de l'Inflation Reduction Act américain, et alors que l'initiative RefuelEU Aviation - qui doit fixer des objectifs en termes d'incorporation et de composition des SAF en Europe dans le cadre du Pacte vert européen (Fit for 55) - n'a toujours pas abouti.

RefuelEU Aviation est empêtrée depuis des mois dans les négociations entre les différentes instances européennes, à savoir le Parlement, la Commission et le Conseil (qui représente les États membres).

Les débats portent essentiellement sur le pourcentage d'incorporation de carburant durable dans le kérosène classique, en particulier sur les premières années d'application, mais aussi sur les normes de production des carburants synthétiques (E-fuel). Lesquels carburants synthétiques seront les seuls, parmi tous les carburants durables, dont le volume de production sera véritablement extensible, ainsi que l'affirme Carsten Spohr.

Un trilogue est néanmoins prévu le 25 avril, dont plusieurs connaisseurs du dossier espèrent qu'il sera conclusif.

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Léo Barnier

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