Après la Croatie, la Suisse. Dassault Aviation et ses trois rivaux (Eurofighter, Boeing et Lockheed Martin) vont d'ici à la fin juin connaitre la décision du conseil fédéral suisse sur le choix du futur avion de combat de l'armée de suisse. Les rapports d'évaluation des quatre appareils ont d'ailleurs été examinés en détail au premier trimestre. L'Eurofighter Typhoon (BAE Systems, Airbus et Leonardo), le F/A-18 Super Hornet (Boeing), le Rafale (Dassault Aviation) et le F-35A (Lockheed Martin) sont en compétition pour un contrat fixé jusqu'à 6 milliards de francs suisses (5,5 milliards d'euros environ), le Gripen E de Saab ayant quant à lui jeté l'éponge en juin 2019 sur les recommandations de l'Office fédéral de l'armement (Armasuisse). Saab n'était pas mesure de présenter le Gripen E pour son évaluation entre le 24 et le 28 juin 2019. Les quatre avionneurs encore en lice ont remis leur offre le 18 novembre 2020.
"En Suisse, le processus suit son cours, explique-t-on à La Tribune. C'est de l'horlogerie suisse, donc ils tiennent leur calendrier de façon très, très méticuleuse".
Le conseil fédéral prendre sa décision à la lumière d'une comparaison des avantages globaux et des coûts totaux (coûts d'acquisition et d'utilisation pendant 30 ans) réalisée dans le cadre du rapport d'évaluation. Achevé au cours du premier trimestre 2021, il est la base de la décision de la Suisse. Les avions de combat ont été passés au crible de quatre critères d'évaluation principaux établis par le Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS) : efficacité (efficacité opérationnelle, autonomie à l'engagement) : 55 % ; support des produits (facilité de maintenance, autonomie du support) : 25 % ; coopération (entre les forces armées et les autorités chargées de l'acquisition) : 10 %; et, enfin, affaires compensatoires directes : 10 %.
"La décision du type d'avion de novembre 2011 a fortement surpris. En effet, le Rafale était de loin en tête après l'évaluation, suivi de l'Eurofighter et ensuite du Gripen. Pensant bien faire politiquement, le Chef du DDPS a choisi l'avion le meilleur marché (un seul réacteur). Les résultats aux urnes ont montré que les Suisses n'aiment pas le «moins bon» ils veulent le meilleur. Ce fut le cas pour le Mirage, ainsi que pour le F/A-18", a écrit dans son rapport "Avenir de la défense aérienne" demandé par la cheffe du DDPS, la conseillère fédérale Viola Amherd, le Professeur honoraire, Claude Nicollier.
200 millions de francs suisses par appareil
Le DDPS a estimé le prix de 200 millions de francs suisses par appareil. Ce prix inclut l'ensemble de l'armement (missiles et munitions) et de la logistique. Il tient également compte des coûts des équipements spécifiques aux missions (capteurs, missiles, systèmes d'autoprotection, réservoirs supplémentaires, etc.), des systèmes destinés à évaluer les engagements et des systèmes utilisés pour l'instruction (comme les simulateurs de vol pour la formation des pilotes et les systèmes pour l'instruction des équipes au sol). Ce qui représente au total 30 appareils. Selon le DDPS, les paramètres définis par le Conseil fédéral et le parlement, en particulier le volume financier maximal de six milliards de francs, devraient permettre d'acquérir de 30 à 40 d'avions de combat en remplacement des 30 F/A 18 et des 26 F 5. In fine, le nombre exact dépendra du prix de l'appareil sélectionné.
Selon un document du DDPS daté du 1er mars, "on ne pourra être fixé sur le nombre d'avions à acquérir que lorsque l'évaluation sera terminée. Actuellement, il n'est donc pas encore possible de se prononcer sur ce sujet".
Ces nouveaux avions de combat suisses, qui ont pour principales missions la défense aérienne et le service de police aérienne (1,2 million de vols civils et militaires par an avant le Covid-19), devront être livrés entre 2025 et 2030. Ces appareils protégeront la Suisse contre des attaques aériennes au moins jusqu'en 2060. Ils remplaceront les vieux F-5 Tiger, qui ont été introduits dans l'armée de l'air suisse il y a plus de 40 ans, et les F/A-18 Hornet, mis en service en 1997. Les 30 F/A-18 Hornet pourront être engagés jusqu'à l'horizon 2030 grâce à un programme de modernisation tandis que 26 F-5 Tiger, encore en service, restent engagés pour soulager la flotte des F/A-18, en dépit de certaines technologies datant des années 1950. L'acquisition de nouveaux avions de combat a été approuvée en septembre 2020 de justesse (50,1% des voix) par votation (référendum) par les Suisses.
Offset : 60% du contrat
Le constructeur sélectionné aura l'obligation de compenser 60% de la valeur du contrat en passant des commandes à l'industrie suisse : 20% directement et 40% indirectement dans le domaine de la base technologique et industrielle en lien avec la sécurité. "Les affaires compensatoires servent avant tout à renforcer l'industrie de la sécurité et à favoriser la liberté d'action de la Suisse en matière de politique de sécurité", explique le DDPS. Ainsi, elles permettent en général aux entreprises suisses d'avoir accès à des technologies de pointe, de développer de nouvelles compétences et créer ou maintenir des emplois hautement qualifiés, notamment dans la base technologique et industrielle pour la sécurité (BTIS). Ainsi, l'acquisition de la flotte de F/A-18 C/D avait permis à quelque 400 entreprises helvétiques (dont trois quarts de PME) de profiter d'affaires compensatoires.
Pourquoi 60% et pas 100% comme la Suisse en a l'habitude pour les systèmes d'arme achetés à l'étranger ? Les offsets engendrent des surcoûts qui se traduisent par des prix plus élevés, estime le DDPS. Un surcoût lié à la compétitivité des entreprises suisses bénéficiant des offsets et qui est estimé à 5%, selon Swissmem, l'association des industries suisses de machines, d'équipements électriques et de métaux. L'avionneur sélectionné devra s'assurer de répartir les offsets selon les régions : 65 % en Suisse alémanique, 30 % en Suisse romande et 5 % en Suisse italienne. Armasuisse veillera à la bonne répartition des offsets entre les différentes régions.
"Une compensation à hauteur de 100 % serait difficilement réalisable. Des affaires compensatoires directes de l'ordre de 20 % et des affaires compensatoires indirectes de l'ordre de 40 % destinées à la technologie et à l'industrie de sécurité sont davantage réalistes, à condition que la qualité des programmes industriels ad hoc soit soigneusement évaluée dans la comparaison des offres", selon un rapport demandé par Viola Amherd à Kurt Grüter, ancien directeur du Contrôle fédéral des finances. .
Un critère de souveraineté important
Lors de sa visite à Berne, la ministre des Armées Florence Parly a promis aux Suisses qu'ils auraient la pleine souveraineté sur leurs systèmes d'armes, s'ils devaient se décider pour le Rafale et système de missiles sol-air de longue portée SAMP/T d'Eurosam (Thales et MBDA). "Je sais la Suisse très attachée au principe de souveraineté, en particulier des données", avait souligné Florence Parly au cours d'un point de presse avec son homologue, Viola Amherd. "La France s'engage donc à respecter la propriété souveraine des données. Pour être claire, il n'y aura pas de boîte noire dans ces systèmes qui seront souverains pour la Suisse", a affirmé la ministre.
"Et lorsque l'on achète un équipement de défense qui, de surcroît, est susceptible de rester dans les forces pendant de nombreuses années, il est très important d'avoir une pleine souveraineté sur son utilisation, autrement dit de ne pas être tributaire de l'autorisation d'un pays tiers pour décider de son utilisation", a-t-elle souligné visant les concurrents Américains, qui sont en lice eux aussi pour ces deux contrats. Et d'insister : "du jour où celui-ci sera la propriété de son acquéreur, il en aura la libre disposition et il sera propriétaire de l'ensemble des données qui sont liées à son utilisation".
C'est un sujet de préoccupation en Suisse, qui vise le plus haut degré d'autonomie possible. "En tant qu'État neutre, la Suisse doit être en mesure de se défendre en s'en remettant à ses propres moyens", estime le DDPS. Cependant, il reste bien conscient qu'une indépendance totale vis-à-vis du constructeur et de son pays est impossible. Sur les plans technique et financier, l'industrie suisse n'est pas en mesure de produire elle-même un avion de combat incluant tous les composants, notamment les systèmes électroniques, les capteurs... Répondant à la conseillère nationale, Marionna Schlatter (Vert), qui s'étonnait du la présence du F-35 dans la présélection du DDPS, le conseil fédéral avait expliqué en mars 2020 que "les dépendances technologiques sont des points de test qui sont soigneusement déterminés dans l'évaluation et identifiés comme des risques".
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