IAG a beau jeu de soutenir les compagnies du Golfe face à Air France et Lufthansa

IAG, la maison-mère de British Airways, Iberia et Vueling, se démarque d'Air France-KLM et Lufthansa en soutenant le développement des compagnies du Golfe. Il justifie sa position par la nécessité de libéraliser le secteur. Pour autant, le groupe a beau jeu de tenir un tel discours qui impacterait davantage ses concurrents directs que lui-même. Explications.
Fabrice Gliszczynski
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Les compagnies du Golfe créent la zizanie au sein des compagnies classiques européennes. Alors qu'Air France-KLM et Lufthansa poussent depuis des mois Bruxelles à agir contre les distorsions de concurrence dans le transport aérien, en visant en particulier les aides que reçoivent les compagnies du Golfe, Emirates, Etihad et Qatar Airways, de leur Etat actionnaire, IAG, la maison-mère de British Airways, Iberia et Vueling, se désolidarise de cette position.

British Airways et Iberia claquent la porte de l'AEA

Récemment, le groupe britannique a claqué la porte de l'AEA, l'association des compagnies européennes traditionnelles, au motif qu'il ne se reconnaissait plus dans cette association. Un petit séisme dans le secteur.

L'AEA demande, elle aussi, à la Commission l'élaboration d'un règlement qui permettrait d'interdire les pratiques jugées déloyales de certaines compagnies. Une position que seule Air Berlin avait "logiquement" dénoncée jusqu'ici (elle a été sauvée par Etihad aujourd'hui son principal actionnaire), puisque IAG l'avait approuvée il y a un an. Aujourd'hui, le groupe britannique fait marche arrière.

«Notre position n'est pas en phase avec celle des autres membres de l'AEA sur certains sujets importants. Nous pensons notamment qu'une libéralisation globale de notre secteur est fondamentale pour notre croissance future, et nous ne voulons pas compromettre ce point fondamental. Nous avons constamment tenu une position en faveur de la concurrence. Nous avons, par exemple, soutenu la demande de Norwegian de voler vers les Etats-Unis. Et, depuis des années, nous appelons à la fin des règles de propriété et de contrôle des compagnies aériennes [un transporteur ne peut, dans la quasi-totalité des pays, être achetée par des investisseurs étrangers, Ndlr] qui étouffe la concurrence et le choix des consommateurs», indique IAG à La Tribune.

Les compagnies du Golfe fortement présentes à Londres

Souvent accusées de menacer les transporteurs européens et ses salariés, les compagnies du Golfe ne pouvaient trouver meilleur avocat. Affichant des bénéfices insolents, IAG est en effet le groupe aérien le plus rentable en Europe (parmi les compagnies traditionnelles) alors même que la présence des compagnies du Golfe est largement plus importante à Londres que nulle part ailleurs en Europe. La compagnie de Dubai, Emirates, exploite par exemple 8 vols quotidiens à Londres, contre trois à Paris (sauf un jour de la semaine où il n'y a que deux vols).

De quoi donner du grain à moudre aux défenseurs des transporteurs du Golfe qui martèlent que les problèmes des compagnies européennes, Air France en particulier, sont à trouver ailleurs que dans la concurrence des compagnies du Golfe. Il est en effet exagéré d'expliquer tous les maux des compagnies européennes comme Air France par la présence d'Emirates, Qatar Airways ou Etihad Airways.

Lire ici : comment Air France en est arrivé là

Pour autant, IAG a beau jeu de prôner une libéralisation à outrance du secteur et de soutenir les compagnies du Golfe et les projets long-courrier au départ de l'Europe de la compagnie à bas coûts Norwegian Air Shuttle, quand on sait que, pendant des décennies, British Airways était vent debout contre la libéralisation du ciel entre l'Europe et les Etats-Unis (effective depuis 2008), laquelle mettait fin au très protectionniste accord de Bermudes II qui limitait la desserte des Etats-Unis au départ de Londres-Heathrow à deux compagnies britanniques (BA et Virgin) et deux américaines (American et United). Mais aussi parce que la présence des compagnies du Golfe, aussi importantes soit-elle à Londres a, en réalité, un impact beaucoup moins fort pour IAG que pour Air France-KLM et Lufthansa.

En effet, l'activité long-courrier de IAG est essentiellement centrée sur les routes transatlantiques, vers l'Amérique latine (Iberia) et du nord (BA), deux axes vierges de toute concurrence des compagnies du Golfe au départ d'Europe. A lui seul le marché américain constitue la vache à lait du groupe. Selon des analystes, il a généré plus de 50% des bénéfices opérationnels de IAG en 2014 alors qu'il représente 30% des capacités déployées. Pour la seule British Airways, la proportion est encore plus forte.

L'essentiel de son chiffre d'affaires et de sa rentabilité provient du marché transatlantique sur lequel non seulement les compagnies du Golfe sont absentes mais où il est quasiment impossible d'y entrer au départ de Londres-Heathrow, complètement saturé en l'absence de nouveaux créneaux horaires de décollage et d'atterrissage (slots). Autrement dit, là aussi, IAG a beau de prôner une libéralisation à outrance du secteur quand on sait qu'elle ne pourra être effective à Heathrow.

La forteresse Heathrow imprenable

Norwegian par exemple, qui a créé une filiale irlandaise pour pouvoir relier l'Union européenne aux Etats-Unis (Washington refuse d'accorder les droits de trafic en raison notamment des conditions sociales envisagées, considérées comme une distorsion de concurrence), aurait en effet, en cas de feu vert, beaucoup de difficulté à opérer au départ de Heathrow, en l'absence d'une troisième piste sur cet aéroport, que n'appelle d'ailleurs pas de ses vœux le groupe britannique.

«British Airways est sur un marché remarquablement protégé en raison de la pénurie de créneaux de décollage à Heathrow où il détient 60% des créneaux», explique un observateur.» «Mieux, ajoute un autre observateur, quand British Airways a besoin de croître, la compagnie achète des concurrents qui détiennent des créneaux comme BMI ou Aer Lingus récemment.»

Les arrières-pensées de IAG ?

Aussi pour certains, les élans de libéralisation de IAG ne seraient pas dénués de tout intérêt.

«British Airways n'est pas plus libéral qu'un autre. Cela ne lui coûte pas grand-chose de défendre les compagnies du Golfe, dans la mesure où le gouvernement britannique a déjà lâché en leur octroyant des droits de trafic. Aussi, si Air France-KLM et Lufthansa pouvaient avoir, eux aussi, sur leur hub, la même présence des compagnies du Golfe, cela favoriserait IAG», explique le même observateur.

En attendant, l'attitude de IAG ne peut que réjouir son premier actionnaire... Qatar Airways. La compagnie a raflé en début d'année 10% du capital de IAG sans que la direction de ce dernier semble avoir été avertie en amont. En effet, cette entrée dans le capital de IAG, qui ne s'est pas réalisée dans le cadre d'une augmentation de capital, ne présente aucun intérêt pour le groupe britannique.

Fabrice Gliszczynski

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