Article réactualisé le 09/11/2022 avec ajouts de déclarations source Elysée
La Revue nationale stratégique (RNS), qui doit être présentée le 9 novembre à Toulon par Emmanuel Macron, propose en matière de dissuasion nucléaire une continuité stratégique réactualisée au regard du nouvel environnement mondial. « Notre liberté d'action et la protection de nos intérêts fondamentaux sont assurées en premier lieu par la crédibilité de la dissuasion nucléaire, clé de voûte de notre stratégie de défense », estiment d'emblée les auteurs de la RNS.
Toutefois, ils ont fort logiquement tenu compte du nouvel environnement géopolitique mondial traversé par des crises beaucoup plus violentes qu'auparavant, notamment l'invasion de l'Ukraine par la Russie. « Le conflit en Ukraine démontre la nécessité de conserver une dissuasion nucléaire, robuste et crédible, pour prévenir une guerre majeure », assurent-ils. Ils ont également tenu compte d'un champ opérationnel de plus en plus utilisé par certaines puissances : des modes d'action hybrides, dont la fameuse guerre informationnelle.
« Dans un monde plus incertain et complexe, alors que certains pays sont engagés dans une trajectoire inquiétante combinant opacité et croissance rapide de leurs arsenaux nucléaires, voire font planer le spectre d'une utilisation de l'arme à des fins d'intimidation ou de chantage, le maintien de la crédibilité de notre dissuasion sur le long terme reste essentiel », écrivent les auteurs de la RNS.
Des modes d'action hybrides très déstabilisateurs
« Des modes d'action hybrides déjà à l'œuvre en temps de paix, sont susceptibles d'affecter l'environnement - politique, normatif, informationnel, etc - au sein duquel s'exerce la dissuasion et doivent faire l'objet d'une réflexion permanente sur les moyens de les contrecarrer », préviennent les auteurs de la RNS. La France n'est pas à l'abri de tentatives de déstabilisation menées par des puissances ennemies sur sa dissuasion nucléaire. « On doit non seulement intégrer la dissuasion comme fonction stratégique, mais également comme objet politique », explique-t-on à l'Élysée. Elle doit notamment se prémunir face aux formes d'ingérence étrangères qu'il s'agisse de lawfare (utilisation du système judiciaire pour combattre un ennemi), de manipulation de l'information (guerre informationnelle), de cyberattaques mais aussi l'émergence de nouvelles normes utilisées comme levier d'influence pour affaiblir ses concurrents.
« La singularité militaire, essentielle pour permettre aux armées de préparer et d'assurer la défense de la patrie et des intérêts supérieurs de la Nation, devra être préservée, notamment de la pression normative croissante », avertissent-ils.
Pour contrer d'éventuelles tentatives de déstabilisation et préserver la légitimité de la dissuasion, les auteurs de la RNS estiment qu'il faut « renforcer la culture stratégique et de dissuasion, tant au niveau national qu'au sein de l'Alliance, en permettant l'appropriation des enjeux de dissuasion par un public plus large ». Notamment par une appropriation des enjeux de la dissuasion par tous les Français.
Par ailleurs, la politique de dissuasion de la France doit prendre en compte les développements capacitaires des compétiteurs mondiaux (défenses aériennes et antimissiles, espace, armes hyper-véloces, surveillance sous-marine, etc...). Ces développements « doivent sans cesse irriguer notre réflexion sur la dissuasion », soulignent les auteurs de la RNS. Enfin, le maintien de la dissuasion française passe par une recherche scientifique de haut niveau et par « un suivi renforcé du tissu industriel national lié à la dissuasion et à une consolidation des savoir-faire techniques, industriels et opérationnels ».
Poursuite des efforts de renouvellement
Dans ce contexte, la France a fait le choix de poursuivre les efforts de renouvellement de ses deux composantes (air et mer) tout en étant maintenues à un niveau de stricte suffisance. Ces moyens devront rester adaptés à une grande diversité de situations et continuer d'offrir au chef de l'État français « une gamme suffisamment large de modes d'actions ». Pour ce faire, la dissuasion continuera de s'appuyer sur les trois forces nucléaires : force océanique stratégique, forces aériennes stratégiques et force aéronavale nucléaire. Avec leurs caractéristiques propres, elles permettent, par leur complémentarité, une grande diversité d'options et un haut niveau de flexibilité et de réactivité, selon la RNS.
Les auteurs de la RNS attirent l'attention sur l'articulation « suffisamment robustes » entre forces nucléaires et conventionnelles pour « éviter un contournement de la dissuasion par le bas ». Ils rappellent que la dissuasion nécessite « une posture exigeante et des engagements capacitaires s'inscrivant dans le temps long ».
Un allié incontournable
La revue nationale stratégique affirme que la préservation des intérêts vitaux de la France a une dimension européenne. Et elle rappelle le « rôle essentiel » que jouent les forces nucléaires françaises, américaines et britanniques dans la sécurité de l'espace euro-atlantique. Pour autant, la France est aujourd'hui le seul pays de l'Union européenne doté d'armes nucléaires après le Brexit. « Ça nous confère une responsabilité particulière. Et évidemment quand on dit que les intérêts vitaux de la France ont une dimension européenne, ça peut susciter un certain nombre de questions chez nos partenaires », souligne-t-on à l'Elysée.
Par son existence, la dissuasion nucléaire française contribue également « à la sécurité de l'Alliance atlantique et à celle de l'Europe ». Enfin, la France qui entend conserver une place singulière au sein de l'OTAN, assume « une position exigeante et visible, en raison notamment de la spécificité et de l'indépendance, de sa politique de défense, en particulier du fait de sa dissuasion nucléaire ».
Enfin, l'ambiguïté nécessaire sur la définition des intérêts vitaux de la France est « essentielle. C'est un des principes fondamentaux de notre dissuasion mais s'il existe, le principe d'ambiguïté n'interdit absolument pas au président de réduire à un moment donné, s'il le souhaite, les conditions et les limites de cette ambiguïté », explique-t-on à l'Élysée. Emmanuel Macron l'a récemment fait lors d'une interview sur France 2 le 12 octobre où il a dit clairement qu'il ne riposterait pas à une attaque nucléaire contre l'Ukraine. « Il est complètement légitime et habilité à le faire », affirme-t-on à l'Elysée.
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