Face au F-35 et, au-delà, la volonté hégémonique américaine d'inonder le marché européen, la seule alternative souveraine est et reste un programme européen en matière d'aviation de combat. C'est d'autant plus vrai après le choix de l'Allemagne d'acquérir le F-35 pour assurer ses missions nucléaires dans le cadre de l'OTAN. Elle doit désormais montrer son attachement au SCAF (Système de combat aérien du futur) lancé par Berlin, Madrid et Paris. Ce programme est pour l'heure la seule alternative crédible à cette hégémonie américaine envahissante et invasive, qui est extrêmement dangereuse pour l'autonomie stratégique à laquelle l'Europe a enfin pris conscience de façon brutale à la suite de l'invasion de l'Ukraine par la Russie.
Le nœud coulant américain
Car le F-35 n'est pas seulement un avion de combat - peu importe d'ailleurs s'il a de très nombreux bugs -, il est surtout un système de systèmes doté d'un cloud de combat, qui est déjà la clé de toute l'interopérabilité nécessaire entre les armées alliées. C'est par ce moyen numérique fermé que les Etats-Unis souhaitent dominer et contrôler leurs alliés. Une chose est sûre, ils ne s'en priveront pas. D'ailleurs le nœud coulant que les Américains ont passé autour du cou de certains pays dociles et/ou naïfs avec le F-35 va se serrer plus fort très rapidement. Ainsi, les Américains sont en train de développer un cloud de combat américano-américain, baptisé Joint All Domain Command and Control (JADC2). Ce programme va connecter tous les capteurs des plateformes américaines des armées américaines (Air Force, Army, Marine Corps, Navy et Space Force) dans un seul réseau.
Une première étape avant de demander à tous leurs alliés utilisant des équipements américains ou participant à des coalitions de se connecter sur ce réseau évidemment contrôlé par les Etats-Unis. L'Allemagne va devenir le dixième pays d'Europe à se doter du F-35 (Belgique, Danemark, Finlande, Italie, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Royaume-Uni et Suisse). Sept d'entre eux sont également membres de l'Union européenne. Ainsi, le JADC2 risque de devenir un standard OTAN, puis un standard qu'ils imposeront à tous leurs alliés.
Au-delà de l'aviation de combat, se joue donc à travers de grands programmes de défense européens comme le SCAF notamment, l'autonomie tactique et stratégique de l'Europe. Les grands pays européens doivent lancer de façon urgente le développement d'un cloud de combat pour conserver une autonomie dans leurs prises de décision. Et seul un cloud de combat "Made in Europe" le lui permettra. D'où l'importance du SCAF, système de systèmes, doté d'un cloud de combat européen utilisé par tous les pays membres du programme, pour contrebalancer la volonté hégémonique des Américains.
Le lancement du SCAF apparaît donc comme une nécessité pour la France même si elle peut encore compter sur le savoir-faire extraordinaire de Dassault Aviation, un des rares avionneurs au niveau mondial et le seul en Europe à pouvoir développer et concevoir un avion de combat en solo avec tous ses partenaires. D'ailleurs la réussite insolente du Rafale à l'exportation depuis sept ans confirme les compétences de l'avionneur, qui pourrait une nouvelle fois développer seul un nouvel avion de combat. Mais ce n'est plus vraiment la question si on se projette en 2040/2050. "Il n'y a pas de plan B ayant la même ambition d'indépendance et de souveraineté européenne que le SCAF", estime un observateur proche du dossier. Car le combat aérien devrait être à l'horizon de 2040 totalement collaboratif.
Le F-35 est donc bien la première brique numérique du nœud coulant que les Etats-Unis préparent pour leurs alliés. Cet appareil est conçu sur une architecture fermée interdisant toute interopérabilité avec des systèmes de combat alliés. Ce qui est d'ailleurs absolument contraire aux principes de l'OTAN. La ministre des Armées Florence Parly avait chambré les Etats-Unis en mars 2019 en assénant que "la clause de solidarité de l'OTAN s'appelle l'article 5, pas l'article F-35". Mais aujourd'hui la France ne peut plus rester isolée après le Rafale.
SCAF, incompréhensions entre Dassault et Airbus
Où en est le programme SCAF ? La notification de la phase 1B, qui correspond aux études détaillées en vue d'aboutir à la définition d'un démonstrateur (phase 2), semble aujourd'hui bloquée au niveau industriel. Selon Dassault Aviation, ce contrat devait être signé en septembre 2021, puis avant la fin de l'année. Les deux partenaires majeurs du pilier 1 du SCAF (avion de combat ou NGF), Dassault Aviation, en tant que maître d'oeuvre, et Airbus, sont pourtant "très, très proches sur le fond" en vue d'une signature du contrat de la phase 1B, assure-t-on chez l'avionneur européen. Un Airbus qui a été cueilli à froid début mars lors de la publication des résultats du constructeur du Rafale par les déclarations sèches du PDG de Dassault Aviation Eric Trappier : "On a fait tout ce qu'il fallait pour pouvoir signer avec Airbus. J'attends la signature d'Airbus", avait-il alors lancé.
"J'accepte d'être leader que si j'ai des leviers pour être leader. Si c'est pour faire du co-co-co puisqu'on est trois maintenant, je ne le ferai pas parce que ce serait mentir à nos forces armées que d'être capable de faire quelque chose en co-développement sans leader, et de leur assurer une performance, un délai et un coût. Donc on bute un peu là-dessus semble-t-il", avait regretté le PDG de Dassault Aviation.
Chez Airbus, on assure que le groupe a "montré une grande volonté d'aboutir et une grande flexibilité dans ces discussions". Notamment au sein de l'avionneur européen "on ne remet pas en cause ni le leadership de Dassault sur le NGF", ni ne souhaite affaiblir les capacités d'architecte programme de l'avionneur. Il ne remet pas non plus en cause, selon nos informations, le développement des commandes de vol du démonstrateur par le constructeur du Rafale. "Mais ce leadership doit s'exercer dans une logique de coopération", indique-t-on au sein du groupe européen. Qu'est-ce que cela veut dire ? "On veut dire que le sujet n'est pas tant ce qu'il reste à négocier. Le sujet, c'est l'état d'esprit. Qu'est-ce qu'on appelle une logique de coopération ? Pas de boîte noire, pas de duplication et pas de ségrégation excessive", explique-t-on chez Airbus.
Dans ce cadre, l'avionneur européen demande à Dassault Aviation d'avoir une visibilité sur l'ensemble des travaux du pilier 1 pour mieux comprendre le comportement du démonstrateur et d'apporter ses compétences. "Cette visibilité entre les partenaires industriels est nécessaire pour avoir une efficacité collective, qui est basée sur des responsabilités claires avec des leaderships clairs. L'efficacité collective est le contraire d'un travail en silo dans les différents 'works packages' qui ont été partagés entre les différents partenaires", précise-t-on chez Airbus. Très clairement, le blocage vient d'une différence d'appréciation et d'une différence de culture sur ce qu'est une coopération entre les deux industriels. Si proche mais si loin d'un accord...
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