La décision est tombée tard hier soir, à l'issue du conseil des ministres : sans progrès d'ici mardi prochain de la part de la Grande-Bretagne sur le nombre de licences accordées aux pêcheurs français, Paris déclenchera le 2 novembre une première salve de mesures de rétorsion contre les îles anglo-normandes et le Royaume-Uni pour résoudre ce conflit post-Brexit.
Dans cinq jours, si rien ne change du côté de Londres, les navires de pêche britanniques auront interdiction de débarquer leur cargaison dans les ports français. De plus, les contrôles de camions à destination et en provenance du Royaume-Uni seront renforcés côté français.
Après 10 mois de menaces verbales, Paris en mode brutal
Jeudi matin, commentant la décision sur une chaîne de télévision la décision, Clément Beaune, le secrétaire d'Etat français aux Affaires européennes a déclaré, tout en le déplorant, que le gouvernement de Boris Johnson ne comprend que le "langage de la force".
De fait, la France a beaucoup menacé au cours des dix derniers mois, mais pour Clément Beaune l'entrée en vigueur de ces mesures de rétorsion n'est pas trop tardive:
"On a menacé plusieurs fois et ces menaces ont permis de reprendre le dialogue et d'avoir un certain nombre de licences. Mais il en manque beaucoup", a-t-il expliqué sur CNews ce matin.
Dans le communiqué commun que Clément Beaune et la ministre de la Mer Annick Girardin ont publié mercredi soir (en pièce jointe de leur tweet), ils justifient ces mesures fermes alors que, au terme de "10 mois de négociations intenses, le gouvernement britannique n'a toujours pas respecté sa signature" [de l'accord de Brexit].
️On l'a dit, on le fait. Les pêcheurs ne seront pas la variable d'ajustement du #Brexit.
— Clement Beaune (@CBeaune) October 27, 2021
Avec @AnnickGirardin, nous annonçons des mesures de rétorsion pour protéger nos pêcheurs, à partir du 2 novembre. Le dialogue reste ouvert mais nous défendrons toujours nos intérêts pic.twitter.com/6cFO0qI4gq
S'agissant de cette nouvelle étape et de la méthode de négociation, il la justifiait en ces termes :
"Moi j'assume qu'on ait brandi des menaces et maintenu un dialogue, parce que ça a permis à nos pêcheurs d'avoir un peu plus de 50% des licences aujourd'hui", a-t-il expliqué sur CNews. "S'il faut voir ce verre à moitié plein, c'est totalement insuffisant et totalement inacceptable."
Il martelait ensuite :
"Donc maintenant, il faut parler le langage de la force, parce que je crains que malheureusement, ce gouvernement britannique-là ne comprenne que cela"
Il enfonçait le clou:
"J'ai l'impression qu'ils ont compris qu'il fallait revenir à la table de discussions. Mais s'ils ne le font pas, on continuera", a-t-il indiqué tout en ajoutant: "Ça ne me réjouit pas et ce n'est pas très intelligent, mais, avec un partenaire qui ne comprend que le langage de la force, il faut le parler."
Dans une deuxième série de mesures envisagée, à nouveau l'électricité
S'agissant du "renforcement des contrôles sanitaires et douaniers" ou du "contrôle systématique de sécurité des navires britanniques" qui pourraient ressembler à une consigne de grève du zèle demandée aux douaniers français, le secrétaire d'État concédait qu'en effet, "ce sont des tracasseries, ce sont des ralentissements."
"On ne peut pas être dans un climat de confiance avec un voisin, un partenaire qui ne respecte pas les règles", a-t-il insisté.
La France envisage aussi une deuxième série de mesures, visant notamment l'approvisionnement des îles anglo-normandes en électricité, si elle n'obtient pas gain de cause avec ce premier train.
"Nous pouvons réviser un certain nombre de coopérations, par exemple augmenter les tarifs de l'électricité", a relevé Clément Beaune.
Londres apportera une réponse "calibrée" à ces mesures "disproportionnées"
Londres, pour qui ces mesures "disproportionnées" ne semblent pas en accord avec les règles du commerce voire le droit international, promet une réponse adaptée...
"Les menaces de la France sont décevantes et disproportionnées, et ne correspondent pas à ce qu'on pourrait attendre d'un allié et partenaire proche", a réagi mardi soir un porte-parole du gouvernement britannique, affirmant qu'elles n'étaient "pas compatibles" avec l'accord post-Brexit et le droit international.
Si ces menaces sont "appliquées, elles feront l'objet d'une réponse appropriée et calibrée", met-il en garde.
"C'est très décevant que la France ait jugé nécessaire de proférer des menaces tard dans la soirée à l'encontre du secteur de la pêche britannique et, semble-t-il, des commerçants en général", a estimé sur Twitter le secrétaire d'Etat britannique chargé du Brexit, David Frost.
Paris réclame encore 244 licences à Londres
L'accord post-Brexit, conclu in extremis fin 2020 entre Londres et Bruxelles, prévoit que les pêcheurs européens puissent continuer à travailler dans certaines eaux britanniques à condition de pouvoir prouver qu'ils y pêchaient auparavant. Mais Français et Britanniques se disputent sur la nature et l'ampleur des justificatifs à fournir.
Dans les zones de pêche encore disputées, Londres et Jersey ont accordé un peu plus de 210 licences définitives, mais Paris en réclame encore 244. Et, bien qu'il ne concerne qu'un nombre relativement réduit d'acteurs, le dossier des licences de pêche reste particulièrement explosif de part et d'autre de la Manche.
Deux navires de pêche anglais verbalisés mercredi par la gendarmerie maritime
Lors de contrôles mercredi en baie de Seine, deux navires de pêche anglais ont été verbalisés par la gendarmerie maritime française , et l'un a été dérouté vers le port du Havre, a annoncé la ministre de la Mer, Annick Girardin, sur son compte Twitter.
Ce mercredi, 2 navires anglais ont été verbalisés lors de contrôles classiques au large du Havre.
— Annick Girardin (@AnnickGirardin) October 27, 2021
Le premier n'a pas obtempéré spontanément : verbalisation.
Le second n'avait pas de licence pour pêcher dans nos eaux : dérouté à quai et remise à l'autorité judiciaire. pic.twitter.com/2YETmeITC1
Ces contrôles, habituels "pendant la saison de pêche à la coquille Saint-Jacques", s'inscrivent aussi "dans le cadre du durcissement des contrôles dans la Manche, dans le contexte des discussions sur les licences avec le Royaume-Uni et la Commission européenne", précise le ministère dans un communiqué publié sur le réseau social.
L'un des deux navires anglais contrôlés mercredi, en action de pêche, "ne figurait pas sur les listes de licences accordées au Royaume-Uni" par la Commission européenne et la France, et a été dérouté jusqu'au port du Havre par un patrouilleur de la gendarmerie maritime.
Une telle procédure "peut amener à la confiscation du produit de la pêche" et à l'immobilisation du bateau contre le paiement d'une caution, a précisé le ministère. Le capitaine du navire de pêche risque lui des sanctions pénales.
L'autre bateau, qui n'avait pas obtempéré dans un premier temps à la demande de montée à bord par les gendarmes maritimes, a été verbalisé pour "entrave au contrôle". Celui-ci n'a pas révélé d'autre infraction à la réglementation sur la pêche, a indiqué le ministère.
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