Conflit post-Brexit sur la pêche : Paris menace l'approvisionnement électrique de Jersey : "totalement inacceptable" (Ian Gorst)

Hier, le chef du gouvernement français a affiché son soutien aux pêcheurs français, aux prises avec les autorités britanniques trop chiches en permis de pêche, en brandissant tout un arsenal de mesures de rétorsion contre le Royaume-Uni et Jersey réunis. Sur ce dossier à haute tension, voici les explications du ministère des Affaires étrangères de Jersey, qui répond aux questions de La Tribune et d'une vingtaine de journalistes anglais et français.
Jérôme Cristiani
Le sénateur Ian Gorst, ministre des Affaires étrangères de l'île de Jersey, répondant à une vingtaine de journalistes anglais et français lors de sa (visio)conférence de presse de ce jeudi 7 octobre 2021.
Le sénateur Ian Gorst, ministre des Affaires étrangères de l'île de Jersey, répondant à une vingtaine de journalistes anglais et français lors de sa (visio)conférence de presse de ce jeudi 7 octobre 2021. (Crédits : Capture d'écran Zoom par La Tribune)

La proposition vient d'un homme qui connaît bien son sujet. Ce midi, le ministre des Affaires étrangères de l'île anglo-normande de Jersey, Ian Gorst, a proposé non pas une conférence de presse univoque mais plutôt de répondre à la volée aux questions posées au débotté par la bonne vingtaine de journalistes français et britanniques venus assister à sa visioconférence après les menaces de rétorsion proférées, tant par Jean Castex que par le secrétaire d'État français aux Affaires européennes Clément Beaune, en agitant la menace de l'arme énergétique.

Pour résumer l'épisode précédent, rappelons que le Royaume-Uni ayant quitté l'Union européenne, les cartes des échanges commerciaux sont totalement rebattues, avec le rétablissement des frontières entre l'UE et notre voisin d'outre-Manche. 

De fait, les pêcheurs français doivent s'enregistrer et obtenir une autorisation pour pêcher dans la zone d'exclusion des 6-12 miles des eaux britanniques. Et comme les autorisations demandées sont en grande majorité rejetées, la colère monte chez les pêcheurs français dont les instances ont menacé de bloquer le port de Douvres et le tunnel sous la Manche pour priver les Britanniques de denrées en pleine période de fêtes de fin d'année.

Hier, Jean Castex a réclamé l'intervention explicite de la Commission européenne, rappelant vivement à sa présidente Ursula van der Leyen, que c'est à elle de faire respecter les termes de l'accord de Brexit. Comme si cela ne suffisait pas, le gouvernement français a poussé un cran au-dessus, menaçant la puissance insulaire de rompre certains accords bilatéraux, n'hésitant pas à brandir l'arme énergétique en laissant entendre que l'approvisionnement en électricité de l'île de Jersey pourrait être coupé autour des festivités. Rien de moins...

Directement visé par les menaces françaises, le gouvernement de Jersey a aussitôt demandé à son ministre des Affaires étrangères, le sénateur Ian Gorst, d'organiser une conférence de presse pour expliquer son point de vue. Un pool d'une vingtaine de journalistes de plusieurs médias anglais et français dont La Tribune l'ont interrogé ce midi et ses réponses sont venues éclairer plusieurs pans obscurs de ce conflit complexe et à haute tension.

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POOL- Comment gérez-vous la question de l'attribution des licences de pêche ? Jersey et le Royaume-Uni, deux ou un seul cas de figure ?

IAN GORST - Nous accordons des permis de pêche à tous les patrons pêcheurs qui peuvent prouver une antériorité de leur activité dans nos zones de pêche. Il se trouve que de fait, nous nous trouvons face à trois cas de figures, trois catégories de situations. Il y a les pêcheurs qui ont apporté tous les documents demandés, toutes les preuves de l'antériorité de leur activité dans nos eaux, et ceux-là se voient accorder un permis.

Il y a ensuite les pêcheurs qui n'ont fourni qu'une partie des documents demandés: ceux-là ont jusqu'au 30 janvier 2022 pour compléter leur dossier.

Enfin, troisième catégorie, ce sont les demandes pour lesquelles nous n'avons reçu soit très peu soit aucun des documents demandés (zéro information, zéro donnée).

Nous travaillons avec Bruxelles tant sur la question des preuves à apporter que sur celle des méthodologies à appliquer. Nous souhaitons engager le même travail avec Paris.

Ce qui est apparu, c'est qu'un certain nombre de pêcheurs particuliers sont persuadés d'avoir envoyé plus d'informations que celles que nous avons reçues. Ce qui signifierait que des documents et des données se sont perdus en chemin. Et actuellement, on cherche à savoir où se trouvent les points de blocage: à Bruxelles, à Paris... ?

En clair, dans la situation actuelle, notre position n'est pas de nous retrancher dans une position défensive, mais très clairement de continuer à analyser la situation pour trouver des solutions.

Concernant Jersey et le Royaume-Uni, il y a bien deux dispositifs différents. Il faut une licence de pêche pour pêcher dans les eaux territoriales de Jersey et une autre pour les eaux britanniques.

Le gouvernement français a menacé de vous couper l'électricité, quelle est votre analyse des nouvelles relations post-Brexit avec la France?

Concernant notre relation post-Brexit avec la France, notre position est de nous conformer strictement à l'Accord de commerce et de coopération signé par le Royaume‑Uni et l'Union européenne (TCA EU-UK). Et en ce qui concerne les menaces du gouvernement français, nous les jugeons simplement disproportionnées et inappropriées, en violation directe du TCA. C'est totalement inacceptable.

La seule chose qui compte, c'est faire en sorte que les pêcheurs fournissent les données demandées. Cela fait des siècles que Jersey et la France sont en relation. Au final, c'est la question de la durabilité de la pêche, de préserver la pérennité de cette activité. Et comme c'est un problème technique, la seule voie de sortie est technique.

Le problème, c'est que ces demandes de permis concernent beaucoup de petits bateaux qui n'ont pas toujours les moyens de prouver qu'ils pêchaient régulièrement dans ces eaux...

Non, nous n'acceptons pas cet argument. Lorsqu'on était sous le régime des accords de la Baie de Granville [signé en 2000, qui régissait la cohabitation entre les pêcheurs normands et de Jersey, et que le Brexit a rendu caduc, NDLR], les bateaux devaient déjà fournir les données de leur carnet de bord. Bien que ces petits bateaux ne disposent pas du dernier cri de la technologie pour le traçage de leur déplacements, ils sont toujours dans l'obligation de tenir leur journal de bord, même si c'est sur papier.

Comment gérez-vous la question de la transférabilité des licences, qu'il s'agisse de la transmission d'un bateau entre un père et son fils, ou des viagers, qui permettent à de jeunes pêcheurs de débuter une activité?

Les termes du TCA disposent que, pour les bateaux ayant fait preuve d'une antériorité des licences, il y a un dispositif pour que ces licences puissent être affectées à un bateau de remplacement, mais là, cela signifie qu'il n'y a aucune modification concernant la « nature » et « l'ampleur ».

Propos recueillis par Jérôme Cristiani

Jérôme Cristiani
Commentaires 6
à écrit le 24/11/2021 à 20:07
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Jersey continue de se moquer des pecheurs francais. Rappelons nous comment Jersey a ete detachee du reste de la Normandie par la Couronne britanique: Les seigneurs normands possédant des fiefs sur les îles furent sommés de choisir leur camp avec comm...

à écrit le 08/10/2021 à 13:45
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Ah que c'est beau et puissant la liberté ! Vite un frexit.

à écrit le 08/10/2021 à 10:00
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Et dire que les macronautes, Barnier en tête, nous expliquaient, il y a peu, qu’il ne fallait pas de « hard brexit » ! La différence ?

à écrit le 07/10/2021 à 18:36
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Nous savons, depuis un moment, que la "France macroniste" fait de la politique extérieure pour ne pas légitimer sa politique intérieure!

le 07/10/2021 à 22:36
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Tous les états font cela .. circulez …

à écrit le 07/10/2021 à 18:35
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Nous savons, depuis un moment, que la "France macroniste" fait de la politique extérieure pour ne pas légitimé sa politique intérieure!

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