Comment l'Ukraine parvient à exporter son blé malgré la guerre

Alors que le pays se trouve en guerre sur son sol avec la Russie depuis plus d'un an, Kiev est parvenu à maintenir une solide production et exportation de grains, en particulier de blé, assurant son rôle sur le marché mondial. Une prouesse toujours menacée par le contexte géopolitique instable.
Coline Vazquez
Pour la campagne 2023-2024, sa production est estimée à 20,5 millions de tonnes, selon le cabinet Agritel
Pour la campagne 2023-2024, sa production est estimée à 20,5 millions de tonnes, selon le cabinet Agritel (Crédits : Reuters)

Elle était le quatrième exportateur de blé au monde. Une denrée essentielle pour bon nombre de pays, en particulier ceux d'Afrique largement importateurs. Mais la guerre qui s'est déclarée en Ukraine, depuis l'invasion par la Russie en février 2022, a bouleversé l'équilibre qui régnait sur ce marché vital, faisant planer le risque d'une crise alimentaire à l'échelle de la planète. Pour autant, Kiev ne s'avoue pas vaincue et continue à occuper une place centrale dans l'approvisionnement en blé.

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Ainsi, pour la campagne 2023-2024, sa production est estimée à 20,5 millions de tonnes, contre 20 millions de tonnes pour la précédente et 33 millions de tonnes avant la guerre, selon le cabinet Agritel qui donnait ce jeudi une conférence de presse sur l'évolution du marché mondial du blé.

Ce résultat s'explique par « la grande résilience dont font preuve les agriculteurs ukrainiens qui sont parvenus à semer davantage et sur une plus grande étendue que lors de la précédente campagne », explique Alexandre Marie, chef analyste sur les matières premières agricoles. Sur les 20,5 millions de tonnes produites, le cabinet estime que le pays pourrait en exporter 13 millions.

Plus généralement, si lors de la campagne 2022-2023, l'Ukraine était parvenu à fournir 55 millions de tonnes tous grains confondus (blé, orge, maïs, colza, tournesol et huile de tournesol) à l'exportation, contre 60 millions avant le déclenchement du conflit, « le potentiel, cette année, s'affiche à entre 45 et 50 millions de tonnes », ajoute-t-il.

De nouvelles voies d'exportation

Et ceux alors que le pays a vu une grande partie de ses installations portuaires sur les rives de la mer Noire, principal moyen d'exportation, être détruites par les bombardements. Actuellement, selon Agritel, 30% des capacités portuaires de la mer Noire sont à l'arrêt et 50% sont considérées comme étant à risque. L'Ukraine a donc dû développer des voies alternatives pour exporter ses grains. Et si elle a pu bénéficier depuis juillet 2022 de l'accord conclu avec la Russie sous l'égide de la Turquie et de l'ONU pour sortir les céréales des ports ukrainiens, celui-ci a pris fin le 17 juillet 2023 à l'initiative de Moscou alors qu'il avait été renouvelé à plusieurs reprises.

Au transport maritime s'est donc substitué en partie le transport par voies terrestres, les routes et chemin de fer représentant désormais 0,35 million de tonnes par mois et ce grâce à un couloir de solidarité mis en place par l'Europe qui a supprimé les droits de douane pour les produits ukrainiens. D'autre part, par voie fluviale, via le Danube qui atteint 1,3 million de tonnes transitant par mois. L'Ukraine a notamment développé deux infrastructures portuaires situées sur le fleuve, les ports de Reni et Izmaïl qui permettent à de plus petits bateaux d'atteindre Constanţa en Roumanie pour que leur cargaison soit ensuite chargée sur de plus gros navires.

« Avant la guerre, avec les seules capacités du port d'Odessa, l'Ukraine pouvait exporter 50 millions de tonnes de grains. Elle a donc doublé ses capacités d'exportation depuis le début du conflit », souligne Alexandre Marie qui rappelle qu'avant 2022, le pays n'utilisait pas le transport sur le Danube.

Mais malgré les bonnes perspectives pour la campagne 2023-2024, le contexte géopolitique rend les exportations ukrainiennes précaires. « Notre estimation est faite en prenant en compte tous les ports actuellement encore en fonctionnement, mais si ceux à risque se mettent à l'arrêt, cela réduira le rythme des exportations, exacerbant un peu plus la tension mondiale », pointe l'analyste.

Un déséquilibre entre blé meunier et fourrager

D'autant que si l'Ukraine devait parvenir à produire 20,5 millions de tonnes de blé entre 2023-2024, il devrait s'agir principalement de blé fourrager. Autrement dit du blé à destination de l'alimentation animale par opposition au blé à destination de l'alimentation des humains, dit meunier. « La proportion de blé fourrager ukrainien par rapport au blé meunier sera plus importante cette année en raison de bons rendements qui diluent le taux de protéines et de la moindre application d'azote », conséquence des difficultés économiques depuis le déclenchement de la guerre, explique Alexandre Marie. Les agriculteurs ukrainiens devraient donc produire 65% de blé fourrager contre 31% de blé meunier. « Une production très basse », selon l'analyste.

D'autant que le cabinet Agritel estime que « le stock de blé chez les principaux exportateurs, en fin de campagne, sera au plus bas depuis 2012 ». Mais cette « tension sur le marché du blé meunier devrait impliquer un rationnement de la demande », précise-t-il.

Enfin, l'incertitude demeure quant aux capacités des agriculteurs ukrainiens pour la campagne suivante (2024-2025). « Auront-ils les moyens de semer, produire, s'équiper suffisamment en intrants et produire dans ces circonstances ? », interroge l'analyste alors que le pays est régulièrement la cible de bombardements russes. Ces derniers ont notamment récemment touché les ports situés sur le Danube détruisant les silos de grains qui s'y trouvaient.

La domination russe persiste

Et si l'Ukraine est parvenue à maintenir sa production de blé, la Russie assure, quant à elle, toujours sa domination en matière d'exportation. « Actuellement, la Russie domine les échanges, confirme Alexandre Marie. Elle pourrait réaliser un nouveau record d'exportation de 49 millions de tonnes contre 48,1 millions l'an dernier. La part de marché de la Russie approcherait alors, pour la première fois, un quart du commerce mondial ».

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Et elle est surtout « essentielle pour l'équilibre mondial qui est actuellement précaire », ajoute l'analyste selon qui « sans ces exportations, le marché serait obligé de trouver des alternatives. Or quelques tonnes seraient disponibles en France et en Europe, mais très vite cela contraindra de rationner la demande mondiale encore davantage », poursuit-il. De quoi faire peser un peu plus la menace d'une crise alimentaire globale.

Coline Vazquez
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