
Sur Internet, les pétitions des habitants ne manquent pas pour dénoncer les futurs logements prévus par leur maire. Ce sont des habitants de Brétigny-sur-Orge (Essonne) qui s'opposent à la construction de 53 logements, considérant que 150 personnes supplémentaires « contribueront à densifier considérablement la circulation de la rue du Parc ». Il y a aussi ces tremblaysiens (Seine-Saint-Denis) qui disent « NON à une densification massive qui va défigurer [un] quartier et dégrader la qualité de vie de ses habitants ». Ou encore ces résidents de Six-Fours-les-Plages (Var) qui refusent la démolition d'une maison village existante pour faire place à un bâtiment de 14 mètres de hauteur, car « ce projet de destruction menace ce qui a toujours fait le charme de la ville ».
Sauf que la crise du logement est là. Selon les derniers chiffres de la Fondation Abbé Pierre, 4,1 millions de personnes sont mal-logées, dont 643.000 en hébergement contraint chez des tiers et 934.000 en suroccupation. C'est sans doute pourquoi dès novembre dernier, le gouvernement a lancé un Conseil national de la refondation (CNR) dédié à l'habitat co-piloté justement par le délégué général de la Fondation Abbé Pierre, Christophe Robert, et la PDG de Nexity, Véronique Bédague, pour « faire émerger des solutions opérationnelles d'ici au printemps 2023 ».
19 propositions remises
Trois groupes de travail ont été ainsi constitués : « faire du logement l'avant-garde la transition écologique », « redonner du pouvoir d'habiter aux Français » et, le plus criant, « réconcilier la France avec l'acte de construire ». Ce dernier rebaptisé « réconcilier la France avec la production de logements nouveaux », co-animé par le consultant et ex-député Mickael Nogal et la déléguée générale de l'Institut des hautes études pour l'action dans le logement (Idehal) et ex-journaliste Catherine Sabbah, vient de remettre ses dix-neuf propositions au cabinet du ministre de la Ville et du Logement, Olivier Klein.
Alors que la direction du Trésor (Bercy) et la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI) s'opposent sur la quantité de logements neufs à produire, de surcroît dans une visée de zéro artificialisation nette (ZAN) des sols en 2050, « nous nous étions fixés comme objectifs de dépasser la simple logique de répertoire des propositions de tous les acteurs du logement, mais bien d'avancer sur des sujets qui étaient parfois tabous il y a encore quelques années ou qui font désormais consensus », explique à La Tribune Mickael Nogal.
« Face à la crise que l'on traverse, le sujet est maintenant dans la mise en œuvre rapide des réponses préconisées », insiste l'ex-parlementaire.
Vers l'encadrement des prix du foncier ?
Aussi, d'emblée, le groupe de travail « réconcilier la France avec la production de logements nouveaux » propose d'encadrer les prix du foncier, ce poste représentant, toutes sources confondues, 20 à 50% du coût de revient des opérations d'immobilier neuf. Par exemple, un pavillon, acheté 300.000 euros, valorisé 400.000 au fil des années, peut intéresser un opérateur-acquéreur à hauteur de 600.000 euros. Soit 300.000 euros de plus que le prix initial, dont 100.000 de plus-value et 200.000 euros de rente.
« Cette dernière partie pourrait, sur la base d'une évaluation précise, être encadrée, limitée ou soumise à une taxe qui permettrait la redistribution de cette rente [dans] des secteurs très tendus », écrit-il. Dit autrement, « partager une survalorisation qui n'est finalement due qu'au prix de sortie que l'opérateur-acquéreur du foncier peut espérer transférer sur ses prix de vente [des biens construits dessus par la suite] ».
Autres leviers : développer la planification à l'échelle locale grâce aux réserves foncières, c'est-à-dire geler des terrains et leur valeur en prévision d'un changement futur. Ou encore encourager la libération du foncier, en appliquant sur les terrains à bâtir une fiscalité inversée qui encourage le flux plutôt que le stock, étant donné qu'il reste aujourd'hui plus avantageux de les garder. Mais aussi interdire les enchères sur le foncier public, ces terres appartenant à l'Etat et aux collectivités territoriales.
Va-t-on limiter la plus-value sur les logements de valeur ?
En réalité, sur ces deux derniers points, le député (MoDem) Jean-Luc Lagleize, qui avait été missionné en 2019 par le Premier ministre Edouard Philippe pour formuler des propositions en matière de maîtrise du foncier dans les opérations de construction, avait déjà, sans succès, recommandé d'instaurer une flat-tax de 30% sur les plus-values du foncier. Tout comme il n'avait pas été suivi sur la prohibition de la spéculation locale.
Toujours dans ce domaine, le groupe de travail plaide pour loger davantage de travailleurs-clés, privilégier le gré à gré pour favoriser la construction de logements abordables et limiter la plus-value sur les logements dont la valeur est directement liée à des investissements publics.
« Sur décision de l'intercommunalité et dans des périmètres bien délimités, instaurer une taxe sur la ''rente de localisation'' sur des terrains à bâtir, des résidences secondaires et les résidences principales au-delà d'un montant à venir'', pousse-t-il, citant l'exemple de la mégalopole de Los Angeles qui vient de mettre en place une taxe sur la vente des résidences principales de 4% dès lors que le montant dépasse les 5 millions de dollars.
Comment évalue-t-on le besoin de logements ?
Dans un autre registre, à savoir répondre à la question « comment évaluer le besoin ou la demande de logement ? », la principale suggestion a le mérite de la clarté : il faut « en finir avec un objectif chiffré national de construction » - ce qui n'a pas de sens effectivement vu que la demande est locale - mais construire « une offre étroitement liée aux choix politiques ».
D'autant qu'il existe déjà un outil statistique qui permet de prévoir les besoins en logement par bassin d'habitat et par intercommunalité en fonction des scénarii politiques décidés par une collectivité. Or, seule « une centaine » d'élus l'utilisent. Il serait donc nécessaire de le développer et de le promouvoir tant en interne dans les services des collectivités qu'en externe auprès des promoteurs « qui pourraient sortir de leur zone d'activité habituelle pour explorer de nouveaux territoires », propose le groupe de travail.
En outre, de l'aveu même du président de fédération des promoteurs Pascal Boulanger, 75%-80% de leur métier se fait dans les zones denses, pour l'essentiel les zones A et B1 [Paris, 75 communes d'Île-de-France (situés dans le 78, le 92, le 93, le 94 et le 95), une partie de la grande couronne parisienne, la Côte d'Azur, la partie française de l'agglomération genevoise et plus généralement des communes où les loyers et les prix des logements sont (très) élevés, Ndlr] .
Qui souhaite habiter où ?
Justement à l'inconnue « qui souhaite habiter où ? », le groupe de travail pousse à la création d'un système d'information alimenté par plusieurs sites (Le Bon Coin, Se Loger, Bien'ici...) et croisé avec les données des transactions enregistrées par les réseaux d'agences immobilières et les notaires.
Cet outil permettrait « une connaissance fine des souhaits de mobilité et de parcours résidentiel, de dessiner une politique du logement plus adaptée, et qui organise plus finement la fluidité du marché, en superposant les cartes de l'offre et de la demande, notamment en termes de géographie », souligne le rapport.
D'autres solutions pourraient venir de la technologie, comme généraliser les plans locaux d'urbanisme (PLU) en 3D. « Une fois connu et compris voire négocié, le PLU devient plus acceptable et plus respecté », estiment ses auteurs, pour qui cela permet de communiquer sur un projet politique et de le faire accepter...
Comment limiter les recours ?
...Et donc de limiter les recours. A cet égard, ils défendent la mise en place dans les départements d'une commission de médiation présidée par le préfet pouvant être saisie par les maîtres d'ouvrage en conflit avec une commune.
« Le recours à un niveau supérieur, étatique et distancié du niveau local permet au maire, si besoin, de reporter la responsabilité sur autrui et de ne pas afficher un parti opposé à celui de ses administrés et électeurs », est-il aussi étonnamment et clairement indiqué.
Autres clés évoquées : imposer une densité minimale dans les zones tendues et l'inscrire dans le plan local d'urbanisme, mais ses partisans ont l'honnêteté intellectuelle de rappeler que cette piste figurait déjà à l'agenda de la Commission nationale de relance de la construction présidée par François Rebsamen à l'été 2021 mais qu'elle n'a pas été retenue.
Le retour du bonus pour les maires bâtisseurs ?
Le groupe de travail se fait également l'avocat de l'anticipation de la réversibilité du bâti, quitte à enfoncer des portes ouvertes, comme « les architectes et ingénieurs doivent réfléchir à des bâtiments dont la structure permet la transformation et le changement d'usage ». D'autant qu'un projet de décret est déjà écrit et « laisse bon espoir à des modifications très prochaines sur ce sujet », relève-t-il.
Avant-dernier thème et non des moindres : la fiscalité pour inciter les élus, encourager la construction et remettre des logements sur le marché. A titre d'illustration, un « bonus » aux maires engagés.
A la différence de l'aide aux maires densificateurs de France Relance qui prévoyait une enveloppe de 350 millions d'euros pour verser 100 euros par mètre carré de surface nouvelle jusqu'à fin 2022, ils appellent à une aide forfaitaire d'un montant calculé sur une moyenne de logements construits et/ou transformés au cours des trois/six dernières années.
« Le dispositif serait limité dans le temps, pour booster la construction et distribué par l'intercommunalité avec une enveloppe fixe. Ce bonus doit être réservé à des nouveaux logements et non pas aider à boucler des programmes ou bénéficier à des opérations déjà lancées », martèlent-ils.
Des idées à double tranchant
Autre idée : les incitations à investir par la défiscalisation ou l'amortissement, mais qui sont à double tranchant, notent-ils.
D'un côté, les avantages sont nombreux : ils permettent de produire des logements dont les loyers et les prix sont encadrés par zone, tout comme ils fonctionnent mieux dans le neuf que dans l'ancien. De l'autre, ces dispositifs qui portent le nom de députés ou de ministres ont souvent été tenus « responsables » de participer à la hausse des prix, et coûtent « très cher aux finances publiques ».
Leur arbitrage : créer un statut du bailleur privé, que défendent les agents et les promoteurs immobiliers depuis fort longtemps. En clair, il érige le propriétaire-bailleur en « un agent économique à part entière, en somme une micro-entreprise » et permet de refondre « en profondeur » la fiscalité des revenus fonciers applicables aux loyers.
Le retour de l'aide à l'accession à la propriété ?
Et si l'accession à la propriété, enfin, pouvait être résolue grâce à un « usufruit temporaire » ? Cela signifie qu'un particulier peut devenir propriétaire à moindre frais parce qu'il en partage l'achat, puis la propriété avec un investisseur qui assure le portage d'une partie de son bien. De surcroît, cela ne coûte rien aux finances publiques.
Dès lors, l'occupant accède à un logement à moindre coût, peut épargner tout en habitant et se constituer un apport pour son prochain achat, de même que son co-investisseur - un institutionnel type caisse de retraite - touche une redevance régulière de sa part. Au moment de la revente, si les prix du marché ont augmenté, l'investisseur est gagnant ; s'ils ont baissé, il est perdant.
Ultime chapitre : la gouvernance. « Mieux déléguer plutôt que décentraliser », écrit le groupe de travail, alors même que le gouvernement et le président de la République en personne consultent les élus locaux en ce moment pour connaître leur avis sur la question...
La balle est dans le camp du pouvoir central...
Sauf qu'en l'occurrence, cela tombe bien : la délégation de compétence aux autorités organisatrices de l'habitat (AOH) fait aussi partie des revendications poussées par les édiles auprès de l'exécutif. Aujourd'hui, ce statut d'AOH est une coquille vide créée par la dernière loi de décentralisation « 3DS » de février 2022 et ne demande qu'à devenir un panier garni de compétences au plus près du terrain, comme sur la rénovation énergétique.
Désormais, comme sur le reste des propositions, la balle est dans le camp du pouvoir central. Ce dernier devrait méditer sur cet adage populaire : « quand le bâtiment va, tout va », puisqu'aux dires des professionnels, il devient urgent de relancer la machine productive. Le cas échéant, toute l'économie en pâtira.
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