
La France connaît depuis plusieurs mois des tensions sur les stocks de certains médicaments. Le manque de plusieurs références, notamment des antibiotiques et du paracétamol, a été particulièrement visible cet hiver, sous l'effet d'une triple épidémie de bronchiolite, de grippe et de Covid-19. Des témoignages médiatisés ont aussi fait état de difficultés à se procurer certains antiépileptiques pour les jeunes enfants ou des pilules abortives. Fin avril encore, des pédiatres de différents pays européens ont lancé une alerte.
Les chiffres le prouvent d'ailleurs : 3.500 signalements de ruptures de stock et de risque de ruptures ont été recensés en 2022. Soit une nette hausse par rapport aux 2.160 recensés en 2021 (+62%), selon un dernier bilan transmis cette semaine à l'AFP par l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM).
Une pénurie vouée à perdurer
Les causes de cette pénurie sont multiples : capacité de production insuffisante, concentration des fabricants, difficultés d'approvisionnement en matières premières, défauts de qualité sur les médicaments, réglementations nationales, effets des crises internationales, inflation, etc.
Face à ce constat, « il faut un pilotage fort (...) au plus haut niveau gouvernemental », avec « un haut ou une haute commissaire au médicament pour assurer une coordination du plan d'action au niveau français et européen », a déclaré Thierry Hulot, le président du Leem, lobby français de l'industrie pharmaceutique, lors d'une conférence de presse ce jeudi 11 mai.
« Les pénuries ne disparaîtront pas, ce qu'il faut, c'est tout mettre en œuvre pour que, sur les molécules essentielles, elles n'aient pas lieu », a souligné Thierry Hulot.
Priorité sur les essentiels
Le Leem a présenté ce jeudi une vingtaine de propositions. Elles sont destinées à alimenter la feuille de route interministérielle sur le sujet, en cours d'élaboration, pour la période 2023-2025. La mesure phare : une liste des médicaments essentiels. Elle est actuellement en cours de réalisation et est attendue pour juin, comme l'a rappelé mercredi le ministre de la Santé, François Braun. Elle comprend actuellement 280 médicaments, notamment l'insuline, divers anti-inflammatoires, l'amoxicilline, le paracétamol ou encore l'antiépileptique sabril. Le Leem a par ailleurs réaffirmé son projet de lancer un Observatoire des pénuries, promettant de publier de premières données mi-juin.
Le lobby plaide aussi pour une revalorisation des prix de certains médicaments matures indispensables, « dont les coûts de revient industriel n'ont cessé d'augmenter depuis plusieurs années et sont fortement impactés » par le contexte mondial d'inflation. Il demande également une meilleure information sur les disponibilités de médicament en cas de risques de pénurie, soulignant que « les tensions d'approvisionnement sont gérées avec difficulté en l'absence d'information consolidée entre les nombreux acteurs de la chaîne du médicament ».
Un problème à résoudre à l'échelle de l'Europe
Reste que, qu'elles que soient les éventuelles réformes nationales, le lobby du médicament juge incontournable - comme la plupart des autres acteurs du secteur - la mise en place d'une politique européenne concertée de gestion des pénuries, notamment via une harmonisation des réglementations au sein des différents États membres.
Un avis partagé par le ministre de la Santé, qui s'est exprimé sur ce sujet mercredi. « À un moment donné, il faut avoir une politique française de souveraineté (...), mais aussi une politique européenne », a-t-il déclaré sur la chaîne CNews.
La Commission européenne a justement proposé fin avril une réforme visant à contraindre les entreprises pharmaceutiques à mieux se prémunir contre les pénuries, à les encourager à développer de nouveaux antibiotiques et à lancer leurs médicaments dans l'ensemble de l'UE. Mais cette proposition ne résoudra pas l'ensemble du problème, ont déjà reconnu certaines voix à Bruxelles, rappelant que l'UE œuvre par ailleurs à renforcer sa souveraineté industrielle et à sécuriser son approvisionnement en matières premières critiques.
« La vraie réponse européenne, c'est de relocaliser en Europe la production des molécules essentielles, à un prix raisonnable. Les compétences existent en Europe mais c'est un terrain sur lequel actuellement la Commission ne va pas », déplore l'économiste Nathalie Coutinet.
(Avec AFP)
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