Stabilité des prix : faut-il combattre l'inflation ou renforcer la croissance  ?

CHRONIQUE. En France, la croissance fléchit et l'inflation s'enlise. Face à ce cocktail oppressant, faut-il aider les ménages et les entreprises vulnérables en sacrifiant l'investissement ? faut-il augmenter la capacité productive en aggravant la dette publique ? Par Gabriel Gaspard, Chef d’entreprise à la retraite, spécialiste en économie financière.
(Crédits : DADO RUVIC)

« Face à l'inflation et aux incertitudes actuelles », le gouverneur de la Banque de France vient d'adresser sa traditionnelle lettre au Président de la République et aux présidences de l'Assemblée nationale et du Sénat. Dans sa lettre il invite à sortir "du quoi qu'il en coûte". Pour réduire l'inflation et accroître la croissance, il préconise d'investir pour "réussir tant la transformation énergétique et climatique, que la transformation numérique". Il ajoute : "l'arme anti‑inflation la plus efficace est aujourd'hui monétaire". Cette lettre est l'occasion de faire le point sur la relation inflation, croissance et investissement citoyen.

Faut-il sortir du "quoi qu'il en coûte" ?

À l'occasion des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2023, une étude présentée par IPP et Cepremap conclue que :

« le bouclier tarifaire a permis de limiter l'augmentation des prix de l'énergie et ainsi de contenir l'inflation à moins de 6,5%... le bouclier a contribué à limiter le choc négatif sur l'activité économique. Nos estimations pointent un surcroît de croissance du PIB de 1,7 point pour 2022 ».

Avec 270 milliards d'euros d'emprunt en 2023, des taux d'intérêt qui augmentent, la France a-t-elle encore les moyens de protéger le pouvoir d'achat des ménages en empruntant encore plus ?

Augmenter la capacité productive

Le constat est que depuis la crise de 2008, il y a un déséquilibre entre épargne et investissement. La France se trouve devant une situation aberrante, d'un côté une épargne surabondante de plus de 6 000 milliards d'euros, de l'autre côté des besoins considérables d'investissement à long terme pour : le climat, la santé, la dépendance et le handicap, la ruralité, etc. Déjà en 2010, la conclusion du rapport « investissement et investisseurs de long terme » souligne « l'incapacité de l'économie et de la finance globalisées à déterminer le niveau adéquat d'épargne et à l'orienter ensuite vers des investissements ... de long terme financièrement et socialement rentables et durables ». Face à une Banque centrale qui a choisi de maintenir ses taux d'intérêt à zéro jusqu'à fin juillet 2022 et qui a tardé à lutter contre l'inflation, face au désemparement de certains financiers qui préfèrent la liquidité à court terme au lieu d'assurer des financements à long terme, l'État doit prendre la main via des établissements de crédit pour assurer les investissements à long terme et leurs risques avec des fonds citoyens.

L'arme anti‑inflation la plus efficace est-elle toujours monétaire ?

La politique monétaire menée par la Banque centrale européenne BCE est nécessaire pour lutter contre l'inflation. Mais elle n'est pas la seule. Avoir une inflation à 2% (cible de la BCE) est recommandé. Mais quand le taux d'inflation devient élevé, le pouvoir d'achat diminue. En augmentant les taux directeurs pour lutter contre l'inflation, les investissements deviennent risqués si l'État emprunte pour investir. Ce rehaussement du taux ralentit la croissance et peut causer de l'instabilité politique. La pandémie a relancé le rôle de l'État dans le combat contre l'inflation. Cette lutte doit être envisagée plus comme un problème économique global qu'un problème de taux directeur, de resserrement économique ou purement financier, etc.

En France aujourd'hui, pour lutter contre l'inflation, il paraît très difficile de réduire les dépenses publiques, de diminuer les investissements publics, d'augmenter le déficit commercial (165 milliards en 2022), d'utiliser les réserves de change (gérer par la BCE) ou de recourir à des emprunts extérieurs (dette publique à 111,6% du PIB en 2022). Il faut produire plus pour relancer la croissance sans emprunter sur le marché financier et créer de la liquidité...Ce n'est pas les nouvelles règles budgétaires dans le cadre du nouveau pacte européen de stabilité et de croissance qui vont stimuler une croissance durable et inclusive.

Les liens entre inflation et croissance

Il ne suffit pas d'abaisser les taux d'intérêt (ce qui augmente en retour l'inflation) pour relancer l'investissement et la croissance. Milton Friedman a permis d'expliquer le phénomène de stagflation (croissance faible et inflation forte) de la crise que l'Europe a subi de 1970-1980, marquée par deux chocs pétroliers et le point de départ du chômage de masse en France. C'est le cas de la France aujourd'hui avec une croissance de 0,2% et une inflation à 5,9%. Le niveau de l'inflation forte aujourd'hui s'explique, de plus en plus, par des facteurs structurels de l'économie mondiale qui ne peuvent être corrigés uniquement par une politique monétaire au niveau de l'Europe.

Il y a d'autres combinaisons entre croissance et inflation. Premier cas avec une croissance faible et inflation faible (déflation) : contraire à l'inflation, la déflation conduit à un ralentissement de l'activité économique. Deuxième cas avec une croissance forte et inflation forte, c'est la surchauffe économique. La hausse des prix qui caractérise la surchauffe économique s'accompagne systématiquement d'une intervention de la Banque centrale. Dernier cas avec une croissance forte et inflation faible : la BCE est désorientée pour relever ce défi. L'agence de notation Fitch dégrade la note de la France. C'est le moment pour l'État de prendre la main pour investir sans recours au marché financier.

La France doit pouvoir se financer au taux le plus adapté possible. La dette publique doit être détenue en grande majorité par les Français en dehors des marchés financiers. Les taux d'intérêt à long terme doivent être inférieurs aux taux de croissance. Des établissements de crédits publics doivent collecter l'épargne des ménages en les rémunérant au taux le plus juste. Ces fonds seront octroyés au financement des besoins d'investissement de l'État. La croissance adoucira alors l'inflation.

Comment obtenir une croissance forte avec un niveau faible et stable de l'inflation ?

Il faut investir immédiatement en faisant appel au économies des ménages, un trésor inexploité et mal utilisé par le marché financier. Investir sans recours à des emprunts bancaires, c'est limiter la création de monnaie, réduire la liquidité et éviter de stimuler l'activité par la monnaie. C'est réduire le taux d'inflation et freiner la hausse des salaires. La croissance est obtenue par l'investissement public par application du multiplicateur budgétaire.

Il faut drainer tous les ans 3% de l'épargne des ménages (180 milliards) pour l'affecter à une croissance forte et innovante afin d'améliorer l'avenir du citoyen et protéger la nature. C'est la création de plusieurs livrets réglementés solidaires pour le pacte vert, pour la santé, la dépendance et le handicap, pour la solidarité et la ruralité, etc. Laissons à l'épargnant et personne d'autre de décider de l'affectation de son argent.

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Commentaire 1
à écrit le 12/05/2023 à 7:45
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Combattre l'inflation. Mais en fait, il aurait fallu le faire préventivement, dès 2020. Mais maintenant que l'inflation est là, ou, il faut la combattre en augmentant les taux d'intérêt

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