Nucléaire : personne ne peut garantir que la France sera préservée d'un "Fukushima"

Par Eric Benhamou, éditorialiste à La Tribune.
Copyright Reuters

Le président de l'Autorité de sûreté nucléaire, André-Claude Lacoste, l'affirme : "personne ne peut garantir qu'il n'y aura pas d'accident grave en France." Quelques jours plus tôt, Anthony Pietrangelo, un des pontes du Nuclear Energy Institute, l'association de l'industrie nucléaire aux Etats-Unis, avait déjà reconnu que "nous ne pourrons jamais dire que cela [l'accident de la centrale de Fukushima, Ndlr] ne pourrait pas se passer aux Etats-Unis". Et de préciser : "que ce soit un tremblement de terre, un tsunami, un ouragan, une attaque informatique ou terroriste, ou simplement une erreur humaine ou un dysfonctionnement technique, peu importe. Nous devons nous préparer à subir de tels événements. "

C'est dit : le nucléaire civil est désormais considéré comme dangereux par les plus hautes autorités de la filière elles-mêmes. Le mythe de la sûreté nucléaire est définitivement tombé. Et l'accident peut arriver dans un pays aussi moderne, aussi confiant dans ses mesures de sécurité et dans ses autorités, aussi traumatisé par deux bombes nucléaires que le Japon. L'accident de Fukushima montre également à quel point la plupart des grandes puissances économiques sont devenues dépendantes du nucléaire. Car, passé l'émotion et les déclarations, aucun État engagé dans le nucléaire ne pense à une remise en cause de l'atome comme source de production de l'électricité.

La Chine, dont les installations nucléaires ont toujours suscité beaucoup d'inquiétudes, entend toujours construire quarante centrales pour répondre à une demande grandissante d'énergie. De même, l'Inde ne compte pas abandonner son pari nucléaire, avec l'objectif de porter la part de l'atome dans la production d'électricité de 3 à 25%. La Russie fait table rase de Tchernobyl et prévoit de lancer une quarantaine de réacteurs. Même les Etats-Unis, hésitants, semblent toujours préférer l'atome au CO2. Les 65 réacteurs en construction dans le monde verront donc le jour et renforceront un parc existant de 442 réacteurs.

Il faudra sans doute produire plus responsable et plus sûr, respecter de nouvelles normes internationales de sûreté, éviter autant que possible les zones sismiques très actives, multiplier les procédures de sécurité (étrangement défaillantes au Japon), réfléchir à nouveau sur la question des déchets. Il faudra aussi toujours construire près des grands centres urbains ou industriels, grands dévoreurs d'électricité, mais en prévoyant des zones d'exclusion de 20 ou 40 km autour des centrales. Il faudra surtout accepter l'inacceptable, c'est-à-dire la probabilité d'une grande catastrophe nucléaire tous les vingt ou trente ans.

Car le discours dominant reste le même depuis Tchernobyl : le nucléaire demeure le moyen le plus sûr et le plus économique de produire de l'électricité et, s'il fallait le remplacer, les dangers seraient pires encore. Car que représentent quelques dizaines, voire centaines de victimes, quand l'enjeu économique (ou le confort) d'une société est en jeu ?

Un accident comme celui de Fukushima ne change rien : il est inacceptable mais il n'est plus intolérable pour la société. C'est le message aujourd'hui de l'après-Fukushima. Il sera sans nul doute avalisé en langage plus diplomatique lors du prochain G20 du nucléaire. Notre monde doit vivre avec le risque nucléaire, comme il doit vivre avec le risque industriel, climatique, chimique, sanitaire, alimentaire ou environnemental. Un processus de rupture avec notre planète telle que nous la connaissons aujourd'hui est en cours. Et ce processus est, pour un nombre croissant de scientifiques, irréversible. Il faut donc s'attendre au pire. C'est le rôle des politiques.

Aujourd'hui, plus que jamais, nous avons besoin de garde-fous. Il faut prévoir des scénarios. C'est le rôle des scientifiques. Et engager sans doute des responsabilités, notamment à l'égard des opérateurs, comme cela se fait déjà pour les pétroliers. Et surtout, arrêtons de promettre des lendemains qui chantent. Ce monde à risque impose a minima la plus grande transparence.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 14
à écrit le 06/04/2011 à 9:09
Signaler
La démonstration repose sur un postulat que justement dément la catastrophe de Fukushima : « Le nucléaire demeure le moyen le plus sûr et le plus économique de produire de l'électricité et, s'il fallait le remplacer, les dangers seraient pires enc...

le 06/04/2011 à 9:47
Signaler
le postulat - que je ne partage pas et donc ne me faîtes pas dire ce que je ne dis pas - "nucléaire le moyen le plus sûr...." - reste, pour les Etats nucléaires, le même...en bien pire depuis Fukushima : le nucléaire reste la technologie la plus sûre...

à écrit le 06/04/2011 à 8:35
Signaler
C'est un article très grave. Non, le politique n'est pas là pour gérer les déchets des activités humaines mais bien pour parler et remettre à sa place les scientifiques. Fukushima prouve la faillite des scientifiques et de l'idéologie technologique. ...

à écrit le 06/04/2011 à 7:06
Signaler
La France n'est pas à l'abri d'un tsunami. De plus, les réacteurs nucléaires de 900 MW de Fessenheim ont été mis en service entre 1977 et 1978 ce qui en fait une centrale « rafistolée et vieillotte » selon André Haltz de l'association "Stop Fessenhei...

à écrit le 05/04/2011 à 9:10
Signaler
Des stress-tests du parc nucléaire français et Européen est devenu nécessaire ! http://www.durableo.fr/article-france-stress-test-des-centrales-nucleaires-71005334.html Et le coût sera suporter par qui ? une nouvelle ligne sous celle de la contri...

à écrit le 04/04/2011 à 17:32
Signaler
L'organisation des pays qui ont pris le pas sur l'économie mondiale, persite à dresser des peurs et des remparts qui n'ont d'utilité qu'une orientation précise de société. Les maux d'un monde sans diversité sont beaucoup plus grands que l'équilibre ...

à écrit le 04/04/2011 à 12:39
Signaler
La Terre est toute petite, la croissance à tout prix ne doit pas rester un dogme intangible. Tout est limité notamment les matières premières que l?on extrait et l?énergie produite Pour les transformer. Les économistes ont basé leurs modèles sur des ...

à écrit le 04/04/2011 à 11:22
Signaler
.... Et personne ne peut garantir que la France subira, comme d'autres proches d'ailleurs, les effets très néfastes de la suite Fukushima etc.... angoisse, émotion, surfing, immédiateté... il faudrait peut-être aussi prendre le temps de sistancer, de...

à écrit le 04/04/2011 à 10:40
Signaler
Dire que 'Personne ne peut garantir ..." est une parfaite non-information. Monsieur Lacoste ne fait que rappeler que le zéro risque absolu n'existe pas. Toutes les activités sont porteuses de risques, souvent mortels. Le nucléaire a toujours été c...

le 04/04/2011 à 11:39
Signaler
le discours a en fait complément changé. Du risque "zéro" tenu jusqu'ici - sous entendu nous ne sommes pas à l'abri d'une panne mais d'une panne "gérable"- nous passons à "nous ne sommes pas à l'abri d'une véritable catastrophe" du style de Fukushima...

le 04/04/2011 à 12:10
Signaler
Avant c'était en finance comme en industriel "faites moi confiance, j'assure". Discours de technocrates mathématiciens de grandes écoles. Maintenant c'est " nous animaux hommes devons vivre avec une épée de damoclès au dessus de la tête parceque nous...

le 04/04/2011 à 12:26
Signaler
Curieux article en effet: dans quelle activité humaine une absence de risque peut-elle être garantie? Personnellement, je n'en connais pas. Vivre, c'est s'exposer à des risques. Ce qui ne veut pas dire, bien entendu, qu'il ne faille rien faire pour l...

le 04/04/2011 à 13:50
Signaler
Il y a quand même risque et risque. Un tremblement de terre ou un volcan peut faire des milliers de victimes sans rendre pour autant une zone équivalente à un petit département inhabitable pour l'homme pendant 200 ou 300 ans. Il y a des échelles de r...

le 04/04/2011 à 13:55
Signaler
Oui mais...c'est le seul qui a des conséquences à court terme, moyen terme, long terme et très long terme au niveau écologique, humain, sur un territoire "énorme et même au niveau mondial. Imaginez un incident sur le Rhone en France? Faire croire qu...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.