L'annonce est passée au second plan, supplantée par celle de l'accord historique sur un taux minimum de taxation des multinationales. Pourtant, c'est un nouveau jalon vers un mécanisme de prise en compte des impacts des entreprises sur l'environnement qui a été posé, lors de la réunion des ministres des Finances du G7 début juin à Londres. Un premier pas vers l'internalisation des risques liés à la dégradation de la planète et l'esquisse d'un cadre commun, harmonisé, qui rendrait toutes ces données comparables et lisibles par le monde financier.
Les ministres se sont en effet prononcés en faveur d'une finance « pro-nature », et ont défendu des mécanismes de reporting extra-financier des organisations plus ambitieux. La Task Force on Climate Disclosure (TCFD), mise en place en 2015 - après l'Accord de Paris - devait déjà favoriser la transparence financière liée aux risques climatiques, sur une démarche volontaire. Six ans plus tard, le G7 a non seulement plaidé pour rendre cette communication obligatoire, mais s'est aussi penché sur le pendant biodiversité de cet instrument, encore inexistant : il a approuvé la constitution d'une Task force on Nature related Financial Disclosure (TNFD), permettant aux institutions financières d'évaluer les risques et impacts de leur investissement sur la faune et la flore. De quoi aiguiller les investisseurs vers celles les plus vertueuses en la matière, sur la base de ces informations - comme c'est déjà le cas pour le climat.
Premier pilier d'une mobilisation des Etats
Une déclaration immédiatement saluée par le WWF, qui a participé pendant neuf mois à la mise en place du premier cadre technique de la TNFD présentée aux ministres, aux côtés de l'ONG britannique Global Canopy ou de BNP Paribas, entre autres.
« C'est un signal important qui devrait permette de doter cette initiative mondiale d'un mandat lors de la réunion des Chefs d'Etat du G20 en octobre prochain », s'est félicité Véronique Andrieux, directrice du WWF France, notant un « premier pilier d'une mobilisation des Etats ».
Car aucun dispositif global n'existe encore en la matière, alors même que la question environnementale sort peu à peu du cadre strict des émissions de gaz à effet de serre, pour s'intéresser à la nature dans sa globalité. D'autant que l'annonce intervient au moment où le GIEC et l'IPBES alertent, dans une collaboration inédite, sur la transversalité des combats, appelant à faire de la biodiversité et du climat une seule et même lutte.
Une mesure complexe
Concrètement, la TNFD définira les secteurs économiques les plus urgents à traiter, dont les impacts s'avèrent les plus significatifs sur la nature - et notamment sur les forêts et les océans, loin d'être de simple puits de carbone. L'idée : récolter des données comparables et lisibles sur la contribution à l'érosion et à la protection de la biodiversité de la part des organisations, de manière à comprendre leurs actions en la matière. Le tout, en s'inspirant de la TCFD, « pour traduire les complexités de la nature en termes financiers prêts à l'emploi, à destination des institutions financières, qui soient significatifs pour les parties prenantes », a déclaré à cet égard Elizabeth Maruma Mrema, coprésidente de la TNFD, lors du lancement de celle-ci jeudi 10 juin.
« La TCFD est devenue, pour les grandes entreprises, l'exigence de base de ce qu'elles doivent fournir comme information sur le climat, sans quoi la plupart des investisseurs et des banques les considèreront comme en retard. L'idée est de faire la même chose pour la biodiversité », explique Antoine Sire, directeur de l'engagement d'entreprise de BNP Paribas.
Mais le calcul de leurs impacts sur la faune et la flore, de la part de secteurs multiples et dans des écosystèmes complexes et variés, promet d'être bien plus difficile que ceux sur le climat, mesurés à l'aune des simples émissions de gaz à effet de serre. Et pour les entreprises, les deux problématiques sont encore loin d'être au même niveau : alors que la majorité des organisations ont pris conscience de l'importance du changement climatique, 5% seulement de celles du CAC 40 estiment que la biodiversité a un « impact élevé » pour les actionnaires et les parties prenantes, révélait début juin une étude du Boston Consulting Group et de Change Now.
Double matérialité
Elles ont pourtant beaucoup à y gagner, défendent les contributeurs de la TNFD, alors que selon le Forum Economique Mondial, près de la moitié du PIB sur la planète est lié à la santé de la faune et la flore. « Avec une telle dépendance, il n'est pas dans l'intérêt économique des entreprises de se trouver dépourvues », a souligné Elizabeth Maruma Mrema. Une problématique illustrée par le principe de double matérialité intégrée au mécanisme : la future TNFD devrait permettre d'étudier les impacts de l'entreprise sur son environnement, mais aussi de l'environnement sur l'entreprise.
« Si un producteur de fruits a besoin d'insectes pollinisateurs mais que, dans le même temps, l'activité agricole conduit à les détruire, cela met son propre business model en risque », explique Antoine Sire.
Avec pour but, in fine, de créer une pratique qui s'impose au marché, en faisant en sorte qu'il soit difficile pour les organisations de s'y soustraire : « de plus en plus, le fait d'avoir une information de qualité en la matière contribuera à la décision des investisseurs, au même titre que les données financières » fait valoir le directeur de l'engagement entreprise de BNP Paribas.
Mise en route prévue en 2023
Mais pour l'heure, la TNFD n'en est qu'à ses prémices. Dès le mois de septembre, plusieurs expérimentations serviront à comprendre les capacités des entreprises à rendre réellement compte des risques sur la biodiversité. « Le groupe de travail définira des priorités, essaiera de comprendre si telle ou telle information peut être obtenue pour rendre compte de ses impacts, et comment les rendre utiles, collectables et standardisables. Tout cela repose sur des conventions, des normes qui ont besoin d'être définies », note Antoine Sire.
Après quoi des dizaines de tests sur les différents écosystèmes retenus seront menés, dans le but d'aboutir à un projet complet et opérationnel « dès l'été 2023 ». Avec, à la clé, un cadre homogène proposé aux entreprises, afin de leur permettre d'opérer un reporting clair sur leurs impacts en termes de biodiversité, au même titre que leur empreinte carbone.
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