Les entreprises négligent encore trop les enjeux de la biodiversité

LE MOIS DE L'ENGAGEMENT - TERRITOIRES. Concentrées sur la réduction de leur empreinte carbone, les entreprises n'ont pas encore mis la préservation de la biodiversité en haut de leur agenda RSE. Une situation qui commence à évoluer alors que se tiendra le 11 septembre le Congrès mondial de la nature à Marseille et en octobre la COP 15 sur la biodiversité à Kunming en Chine.
(Crédits : Reuters)

La biodiversité serait-elle le parent pauvre des politiques RSE des entreprises ? Une hypothèse partagée par Pierre Dubreuil, directeur général de l'OFB (Office français de la biodiversité) : « ce sujet est moins pris en compte que celui du dérèglement climatique.

Tout a commencé au sommet de Rio de 1992. Les trois conventions - climat, biodiversité et diversification - étaient au même niveau. Depuis, le changement climatique est devenu la principale préoccupation. L'obligation de reporting extra financier, qui est à l'origine de la RSE dans les entreprises, n'intègre la biodiversité que depuis 2017 ». Autre indice : la Task Force on Nature-related Financial Disclosures (TNFD), nouveau mécanisme de reporting sur les risques posés par la perte de biodiversité, entrera en activité cette année pour une première publication de recommandations en 2023, soit six ans après la TCFD, son équivalent pour le climat.

Néanmoins, la protection des milieux naturels et du vivant remonte doucement sur l'échelle des urgences RSE. En 2020, le Forum Economique Mondial l'a placée pour la première fois à la troisième place de son Top 10 des risques majeurs. « L'Observatoire National de la Biodiversité a calculé, sur la base des rapports RSE publics des entreprises du CAC 40, que l'indice de prise en compte de la biodiversité a augmenté de 21 %  sur la période 2013/2017 »  précise Pierre Dubreuil. Reste que cette thématique est plus difficile à saisir que celle du réchauffement. Calculer ses émissions de GES (gaz à effets de serre) et faire baisser son empreinte carbone est (relativement) simple et les entreprises savent le faire. Comprendre leur impact sur un milieu naturel, zone humide ou forêt primaire, et prendre des mesures concrètes pour y remédier s'avère beaucoup plus complexe. « L'enjeu de biodiversité est majeur, et probablement de même ampleur que celui du climat. Mais cette notion de « service rendu par la nature » est plus difficile à appréhender par le public » estime Hervé Casterman, directeur environnement d'Engie. Ce qui pose aussi un problème de compétences spécifiques sur ce sujet : les entreprises qui emploient des écologues sont encore peu nombreuses.

Des green bonds pour la biodiversité

« L'effet de serre est un phénomène physique. On a réussi à se mettre d'accord sur un indicateur, la tonne équivalent CO2. Mais dans la biodiversité, il y a diversité. On parle ici de millions d'espèces végétales et animales avec des problématiques locales, qui débouchent sur des indicateurs divers et des politiques à mettre en œuvre très différentes » ajoute Sébastien Soleille, responsable transition énergétique et environnementale chez BNP Paribas.

La banque, dont le directeur général Jean-Laurent Bonnafé est aussi président d'Entreprises pour l'Environnement (EpE), est très impliquée sur ce sujet. « En tant que banque, notre impact principal s'exerce via les activités de nos clients et des entreprises dans lesquelles nous investissons. Dans l'agriculture, par exemple, nous avons ajouté des critères restrictifs supplémentaires pour nos clients qui opèrent dans certaines régions du Brésil, où la déforestation constitue un problème majeur » explique Sébastien Soleille. La banque refuse aussi de financer des projets pétroliers et gaziers dans certaines régions de l'Arctique. Par ailleurs, BNP Paribas va introduire des critères liés à la biodiversité dans l'évaluation de tous ses clients entreprises d'ici 2025 et s'engage à consacrer 3 milliards d'euros de financement (green bonds ou SLL, prêts à impact positif) à la protection de cette biodiversité.

Dans le secteur de l'industrie, le groupe Renault a lui aussi intensifié ses efforts. La matrice de matérialité, un outil qui vise à hiérarchiser les enjeux RSE, a été récemment mise à jour, mais la biodiversité ne figure pas encore dans le peloton de tête des enjeux les plus importants. « Sur notre site de Curitiba au Brésil, nous protégeons la biodiversité locale sur une surface de 2 millions de m2 qui abrite 170 espèces animales » décrit Dominique Lucas, coordinatrice de la stratégie environnementale. Lors de la démolition et de la réhabilitation du site de Grand-Couronne près de Rouen, les crapauds de la mare située à proximité ont été protégés durant les travaux. « Dès qu'il s'agit de modifier un site, il existe forcément une étude d'impact pour savoir s'il y a des mesures de protection à mettre en œuvre » ajoute Dominique Lucas. Sur les conseils d'EpE, des diagnostics de biodiversité vont être appliqués sur 20 sites parmi les plus sensibles. Un dispositif d'évaluation des fondamentaux environnementaux sera déployé durant les trois ans à venir dans les 200 succursales commerciales et logistiques du constructeur.

Des écologues pour travailler en amont

Chez Engie, la biodiversité est aussi importante que le climat. Le groupe a recruté ses premiers écologues au début des années 2000, dont une quinzaine travaillent chez Engie France Renouvelables (EFR), et a rédigé sa première politique sur la diversité en 2009. « Prendre en compte la biodiversité dans un projet, c'est y consacrer 25 % du temps de développement et 15 % des dépenses engagées durant cette phase » rappelle Vianney De Lavernee, responsable stratégie, RSE et innovation d'EFR. « C'est aussi un thème mobilisateur pour les salariés, et décisif pour le dialogue avec les parties prenantes locales dans les territoires » ajoute Hervé Castermann. Engie contribue à alimenter les bases de données d'associations environnementales comme la LPO (Ligue de Protection des Oiseaux) et est en train de mettre au point un Observatoire de la Biodiversité, visant à ouvrir ses sites à des étudiants pour y réaliser des inventaires en suivant des protocoles scientifiques externes.

Concrètement, la SHEM (Société Hydro-Electrique du Midi), filiale du groupe et troisième producteur hydroélectrique français, a installé des passes à poissons et des caméras pour faciliter et surveiller le passage du barrage par chaque espèce. La filiale d'Engie protège également le Desman des Pyrénées, ou rat-trompette, un petit mammifère présent uniquement dans les Pyrénées et au nord de l'Espagne et du Portugal. « Il y a autant d'actions que de projets. En termes de compensation écologique, par exemple, nous essayons d'avoir un impact positif en expérimentant les principes de l'agroforesterie associant forêts et agriculture sur une même parcelle. On a constaté que cela permettait d'attirer quatre fois plus d'insectes que dans les terres en jachère, et donc de favoriser le développement d'habitats pour l'avifaune nicheuse » décrit Vianney De Lavernee.

La protection du vivant n'est pas réservée aux grands groupes. Séché Environnement est une ETI spécialisée dans le traitement et la valorisation des déchets installée près de Laval dans la Mayenne, qui emploie 4 600 collaborateurs sur 40 installations en France et dans 15 pays. Elle possède un service biodiversité dirigé par Pierre-Yves Burlot, directeur du développement durable, ancien responsable du plan de relance à l'ADEME passé par le cabinet du ministère de la Transition écologique et solidaire : « entreprise de l'économie circulaire, nous devons être irréprochables dans l'intégration de nos installations industrielles dans les territoires. L'objectif du fondateur Joël Séché était de respecter la nature, puisqu'on ne parlait pas encore de biodiversité il y a 35 ans. Tout projet devait passer par le filtre de spécialistes. Il a donc créé un service de 5 écologues capables de dire à un responsable de site ce qu'il doit faire pour préserver la biodiversité ».

Après la dépollution, la régénération

C'était également une manière de se différencier de ses grands concurrents. Quant l'ETI cesse d'exploiter une zone, elle procède à sa réhabilitation. « Mais nous voulons aller plus loin, jusqu'à la régénération de la biodiversité en plantant des espèces végétales locales pour les oiseaux ou en rétablissant des zones humides pour les batraciens » explique Pierre-Yves Burlot. Un vrai choix économique puisque ce foncier devient alors sacralisé et inexploitable pour une nouvelle activité. « Nous sommes une société familiale et les dirigeants ont une vision à long terme. Investir dans la protection de la biodiversité, qui s'inscrit dans la durée, c'est un gage donné aux collectivités, à l'administration, aux riverains. Et aussi un levier fédérateur pour les salariés » analyse le directeur du développement durable.

Lors de la Cop 15 à Kunming mi-octobre, un bilan des Objectifs d'Aichi définis à Nagoya en 2010 sera établi. « Malheureusement, on sait déjà qu'il sera très négatif. Mais une nouvelle feuille de route pour les dix ans à venir est prévue, ainsi qu'une vision à 2050, comme cela a été fait pour le climat. La course contre la montre pour stopper la perte de biodiversité est engagée. C'est pourquoi il faut rallier un maximum d'entreprises autour de cet enjeu » conclut Hervé Casterman. Des entreprises qui ont tout intérêt à prendre ce sujet à bras-le -corps, ne serait-ce que d'un point de vue business, comme le rappelle Pierre Dubreuil : « le capital naturel, c'est l'assurance-vie des entreprises. D'après le rapport Delannoy de 2016, 1 euro dépensé pour préserver la biodiversité génère 2,64 € de production et 1,30 € de valeur ajoutée. Et un million d'euros investi crée 19 emplois en moyenne ».

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Commentaire 1
à écrit le 10/05/2021 à 18:24
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Sans dec' !!?? 🤣😂😂🤣😂🤣😂🤣

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