Climat : la sobriété est « urgente » mais pas forcément la décroissance, selon l’Académie des technologies

Longtemps oubliée, la question d’une inflexion des modes de vie à la recherche d'un moindre impact sur l'environnement se taille une place de choix dans le débat public. Alors que le gouvernement commence à s'en emparer, un rapport percutant de l’Académie des technologies publié mardi affirme que cette sobriété sera incontournable, étant donné que les innovations ne suffiront pas pour atteindre les objectifs climatiques du pays. Pas question néanmoins de privilégier la décroissance ou l’abandon des technologies, soulignent les experts, qui appellent à faire feu de tout bois.
Marine Godelier

C'était une notion quasiment inconnue il y a encore quelques années. Pourtant, celle-ci devrait bientôt s'immiscer dans tous les aspects de nos vies, de l'action individuelle à la fabrication des politiques publiques, en passant par les stratégies déployées par les entreprises. En effet, la sobriété sera « incontournable » pour espérer atteindre nos objectifs climatiques d'ici à la moitié du siècle, au même titre que les innovations. Et c'est l'Académie des technologies elle-même qui le dit.

Lire aussiÉnergie : la « chasse au gaspi », ce sujet mal-aimé qui s'invite dans le débat public après l'offensive russe en Ukraine

Dans un rapport publié mardi, la société savante présidée par l'ancien patron de Thales et d'Airbus Denis Ranque, et composée de plus de 300 académiciens dont quatre prix Nobel, appelle à modifier drastiquement nos comportements de consommation. Et pour cause, ni la technologie, ni les énergies décarbonées (éoliennes, panneaux solaires, réacteurs nucléaires, captage du CO2...) « ne pourront être déployées à une vitesse suffisante » pour limiter le risque d'un réchauffement climatique à 1,5°C en 2100 par rapport à 1990, affirment les auteurs.

Et les efforts devront être fournis « d'urgence » : comme le rapport de la Cour des Comptes de l'Union européenne publié ce lundi, l'Académie des technologies estime que réduire de 55% des émissions de CO2 en 2030 par rapport à 2019 ne sera « pas atteignable sans un effort important de sobriété », car trop ambitieux et trop rapide. L'idée serait donc d'enclencher une « inflexion des modes de vie vers la recherche d'un moindre impact sur l'environnement », selon la définition du gestionnaire du réseau de transport d'électricité RTE.

Pas synonyme de décroissance

Et pourtant, depuis quelques années, une légère décorrélation s'observe entre la consommation et les émissions de CO2 dans plusieurs pays d'Europe. Or, si ce fameux découplage était « suffisamment massif », il permettrait de « continuer à satisfaire des demandes croissantes de consommation » tout en « respectant les ''limites planétaires'' et permettre ainsi à terme une croissance durable ou ''verte'' », notent les auteurs. Seulement voilà : en la matière, les perspectives restent trop faible « face à l'urgence des enjeux », avertissent-ils. Si bien que selon eux, « l'efficacité », qui consiste à réduire l'impact d'une consommation donnée sans la modifier grâce aux innovations technologiques, « ne suffira pas » - du moins jusqu'en 2050.

Pas question néanmoins de tomber dans les travers d'un débat simpliste sur la décroissance, « souvent pollué » par une assimilation de celle-ci à « une moindre satisfaction des besoins humains » et à une « paupérisation générale », poursuit l'institut. Car sobriété ne rime pas forcément avec repli économique : les consommations peu demandeuses en ressources « peuvent mobiliser du travail humain », et donc participer à la « croissance de l'emploi », affirme le rapport.

Et de préciser que « l'investissement dans la transition écologique, les politiques d'inclusion et de lutte contre la pauvreté demandent des moyens importants propres à susciter une activité productive significative ».

D'autant que la croissance du Produit intérieur brut (PIB) « n'est pas un indicateur de progrès fiable », puisqu'il faudrait prendre en compte « d'autres facteurs de progrès », comme la satisfaction des besoins élémentaires, l'accès aux soins et à l'éducation, ou encore la cohésion sociale et territoriale, peut-on lire.

Accompagnement de l'Etat

Au-delà des lois du marché, l'action des pouvoirs publics sera d'ailleurs « déterminante », puisqu'il faudra «  repenser les infrastructures du pays » et « soutenir les comportements » plus vertueux, selon les auteurs. De fait, « les actes individuels ne suffiront pas », alors que les consommateurs devront « disposer d'alternatives accessibles et rassurantes » pour changer leurs comportements. Par exemple, « abandonner leur voiture individuelle » ou « piloter leur consommation d'énergie ».

Fin mai, la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, avait d'ailleurs fixé un cap fort en la matière : la sobriété devra contribuer « a minima à 15% » à la baisse des rejets de gaz à effet de serre du pays d'ici à 2030 (-55% par rapport à 1990), jusqu'à « taquiner 20%, voire un peu plus », a-t-elle assuré lors d'une audition parlementaire. Soit un objectif plus ambitieux que celui de France Stratégie dans son rapport sur « les incidences économiques de l'action pour le climat », commandé par la Première ministre et publié deux jours plus tôt, qui table, lui, sur une part « entre 12% et 17% ».

Lire aussiComment la sobriété énergétique est devenue « incontournable » pour le gouvernement

L'innovation restera cruciale

Attention cependant : « compter sur la seule sobriété conduirait à imposer des sacrifices et frustrations trop impopulaires à faire accepter en démocratie », souligne l'institut. Par conséquent, il ne s'agit pas pour autant d'abandonner les investissements dans les technologies, lesquelles resteront un pilier pour diminuer les émissions de CO2, poursuit-il. De fait certaines d'entre elles resteront « essentielles pour promouvoir des modes de production plus économes en ressources critiques, afin de permettre un découplage maximal entre la satisfaction des besoins et l'impact environnemental ».

Cela ne signifie pas pour autant que toutes les technologies sont bonnes à prendre, et dans n'importe quelles circonstances : l'existence d'un marché viable « ne saurait garantir qu'une innovation soit opportune », nuancent les académiciens. Et de préconiser un « discernement » dans les choix technologiques, pour passer « d'une société de l'abondance à une démarche du ''juste assez'' ».

« Des technologies comme la blockchain, le métavers ou l'intelligence artificielle fondée sur l'apprentissage profond n'échapperont pas à ce besoin de discernement afin d'être mises en œuvre à bon escient, en fonction de l'utilité attendue de leur usage ou d'une manière qui réduise leur empreinte », avertissent les auteurs.

Lire aussiIntelligence artificielle : l'UE prévoit des garde-fous pour les applications les plus dangereuses

Marine Godelier

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 6
à écrit le 29/06/2023 à 11:50
Signaler
Sobriété sans décroissance = Vœu pieux. C'est individuellement qu'il faut se préparer à vivre dans un environnement dégradé. A commencer par bien choisir son lieu de résidence...qui n'est de toute évidence pas la "grande" ville.

à écrit le 29/06/2023 à 7:32
Signaler
N'importe quoi, chacun a peur de perdre son niveau de vie actuel voulant que ce osit les autres à le perdre c'est grotesque. Jancovici dit qu'ils sont nombreux comme scientifiques au GIEC à vouloir supprimer la branche "économistes" qui pour eux euph...

à écrit le 28/06/2023 à 22:48
Signaler
C'est pas une question de bave morale de gauche, dans ka novlangue qui va bien, c'est une question de pragmatisme...nos parents appelaient ça du bon sens, et le porte monnaie faisait le reste...la gauche qui interdit aux gens de savoir lire à l'éco...

à écrit le 28/06/2023 à 21:41
Signaler
Certes !! Mais la "sobriété" ne doit et ne peut pas passer par la publicité sans vouloir dire l'inverse ! ;-)

à écrit le 28/06/2023 à 21:34
Signaler
Il n'y a rien d'urgent, puisqu'il est trop tard

le 29/06/2023 à 7:33
Signaler
"Il n'est jamais trop tard pour bien faire."

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.