Un an après avoir appelé l'exécutif à un sursaut, le Haut Conseil pour le climat, qui fait référence pour évaluer l'action du gouvernement en la matière, tient encore le même discours : « Il y a toujours un risque majeur de ne pas atteindre les objectifs de 2030. Le rythme de baisse des émissions n'est pas du tout à la hauteur des enjeux. Seuls trois critères sur 34 avancent nettement plus vite que prévu et il y a des blocages dans tous les secteurs », a résumé Corinne Le Quéré, la présidente de l'instance indépendante, lors de la présentation de son cinquième rapport annuel, intitulé « Acter l'urgence, engager les moyens ».
A l'horizon 2030, un réchauffement de 2 degrés est même considéré comme quasiment inévitable pour l'Hexagone, qui enregistre déjà un réchauffement de 1,9 degré au cours de la dernière décennie. C'est plus que la moyenne enregistrée à l'échelle mondiale (+1,15°C).
Les records de 2022 pourraient devenir la norme en 2050
« La France est donc particulièrement exposée aux conséquences du réchauffement climatique mais n'est pas prête à y faire face, comme l'année 2022 l'a démontré », souligne Corinne Le Quéré.
Pour rappel, l'an dernier, la France a traversé trois vagues de chaleur et a connu 33 jours de « vigilance canicule ». 72.000 hectares ont brûlé. Les précipitations ont chuté de 25% en métropole et 75% du territoire a été touché par une sécheresse exceptionnelle des sols. Environ 2.000 communes ont ainsi traversé de fortes tensions pour leur approvisionnement en eau potable, et sept d'entre elles ont connu une interruption totale.
Les records de températures enregistrés l'an dernier dans l'Hexagone (+2,9 degrés au-dessus des moyennes enregistrées entre 1900 et 1930) devraient devenir la moyenne à l'horizon 2050-2060, avec un réchauffement planétaire de deux degrés, avertit l'instance consultative.
Quasiment doubler le rythme de baisse des émissions
Malgré ces événements extrêmes et ces inquiétantes projections, le sursaut attendu n'est toujours pas au rendez-vous. Le rythme de baisse des émissions reste insuffisant pour atteindre les objectifs de 2030, insiste le rapport.
« La baisse des émissions brutes doit presque doubler. Les puits de carbone doivent fortement augmenter au lieu de diminuer », alerte Corinne Le Quéré, tout en rappelant que « la mortalité des arbres est trop forte et la croissance des forêts trop faible ».
Dans le détail, si la France veut tenir les nouveaux objectifs climatiques européens (c'est-à-dire diminuer de 55% ses émissions à l'horizon 2030), il faudrait enregistrer une baisse de 17 millions de tonnes équivalent CO2 chaque année sur la période 2023-2030, contre une diminution moyenne annuelle de 9,1 millions de tonnes équivalent CO2 enregistrée au cours des trois dernières années.
En 2022, les émissions de CO2 ont diminué de 2,7%, soit 11 millions de tonnes équivalent CO2 en moins. Mais cette baisse résulte essentiellement de facteurs conjoncturels (un hiver doux), qui a conduit à une importante chute des émissions dans les secteurs du bâtiment et de l'industrie. Les mesures de sobriété, elles aussi, ont joué un rôle mais il est encore difficile de savoir si elles s'inscriront dans le temps.
Parmi les différents secteurs économiques, y a-t-il de bons élèves ? « Aucun secteur n'est un bon élève », tranche la climatologue franco-canadienne. Si le secteur agricole suit la stratégie nationale bas carbone, « son ambition est particulièrement faible », souligne-t-elle. Quant au secteur du bâtiment, nous arrivons « au mieux à réaliser 66.000 rénovations complètes par année », alors qu'il en faudrait plusieurs centaines de milliers. Tandis que dans le secteur des transports, les émissions continuent d'augmenter.
Développer une politique économique d'ampleur
« Il s'est passé beaucoup de choses en 2022 », reconnaît cependant Corinne Le Quéré. « Je pense qu'on peut dire qu'on a dépassé la politique des petits pas, mais nous ne sommes pas encore au pas de course. C'est la politique économique qui manque », estime-t-elle.
La recommandation phare du rapport repose ainsi sur le développement d'une « politique économique d'ampleur permettant de déclencher l'accélération nécessaire », pointe la présidente de l'instance indépendante. Le Haut Conseil pour le climat estime ainsi que les dépenses publiques annuelles nécessaires doivent rapidement augmenter pour atteindre autour de 30 milliards d'euros supplémentaires en 2030.
En parallèle, les dépenses défavorables au climat ont, elles, fortement progressé en 2022 du fait du bouclier tarifaire, pointe le rapport. Et pour 2023, près de 60 milliards d'euros ont d'ores et déjà été identifiés (43 milliards vers le bouclier tarifaire, 10 milliards vers des niches fiscales et 6,3 milliards vers d'autres dispositifs fiscaux néfastes aux politiques climatiques)
Même constat à l'échelle de l'Union européenne
La déploiement d'une politique économique plus ambitieuse est aussi valable à l'échelle européenne. « Ce que montre clairement notre rapport, c'est que nous avons besoin de faire une mise en œuvre importante et systématique des mesures actuelles, tant au niveau national qu'au niveau de l'Union européenne », détaille Corinne Le Quéré.
« L'UE a beaucoup de réglementations mais pas de plan de financement pour les soutenir », regrette-t-elle, rejoignant le constat inquiétant de la Cour des comptes européenne, selon qui les objectifs climatiques européens pour 2030 ont « du plomb dans l'aile ». « Rien n'indique qu'un financement suffisant sera à disposition », relève l'institution basée au Luxembourg, dans un rapport publié lundi dernier.
Sujets les + commentés