Crise de l’énergie : pourquoi la France exhorte Bruxelles à accélérer

La réunion des ministres européens de l’Energie, qui se tenait ce mardi à Luxembourg, ne marquera pas l’Histoire : aucune décision pour lutter contre la crise énergétique qui secoue le continent n’aura émergé de ce rendez-vous exceptionnel. Et pour cause, la balle se trouve aujourd’hui dans le camp de la Commission, laquelle freine les ambitions de certains Etats membres, la France en tête.
Marine Godelier
« Les États membres qui dépendent fortement du gaz dans leur système électrique seraient confrontés aux coûts les plus élevés pour les subventions nécessaires (Allemagne, Pays-Bas, Italie)
« Les États membres qui dépendent fortement du gaz dans leur système électrique seraient confrontés aux coûts les plus élevés pour les subventions nécessaires (Allemagne, Pays-Bas, Italie) (Crédits : DADO RUVIC)

C'est une rengaine désormais bien connue : Bruxelles doit aller plus vite et plus fort pour contenir la crise de l'énergie, martèle depuis plusieurs semaines le gouvernement français, agacé par la pusillanimité de la Commission européenne. De fait, celle-ci freine toujours sur l'éventuel plafonnement du prix du gaz utilisé pour produire de l'électricité en Europe, malgré les demandes pressantes de l'Hexagone à ce sujet. Et tarde par ailleurs à clarifier plusieurs points techniques, pourtant nécessaires au déploiement concret des mécanismes approuvés par les Vingt-Sept afin de lutter contre la volatilité des cours.

C'est en tout cas ce qui ressort de la réunion des ministres de l'Energie, qui se tenait mardi à Luxembourg après le Conseil européen exceptionnel de jeudi et vendredi. « [Leur] demande [à la Commission] est très précise : mettez-nous un règlement sur la table, qu'on puisse le négocier et boucler », explique-t-on au cabinet de la ministre française de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, à l'issue du rendez-vous.

« Il y a une volonté très ferme exprimée par les ministres de l'Energie que, face à chacune des commandes du Conseil européen, il y ait une proposition de texte dans des délais rapprochés. [...] Il faut avancer sur la plateforme d'achat conjoint de gaz, les mécanismes lutte contre la volatilité des prix, et mettre en place un corridor de prix [...] Or, pour avancer, il faut des textes », a affirmé mardi Agnès Pannier-Runacher à des journalistes.

Passer d'une idée générique à une application pratique

Il faut dire que plusieurs points restent pour le moins obscur. Par exemple, la Commission européenne a proposé mardi dernier d'établir, à titre temporaire, une limite de prix pour les transactions effectuées sur la principale bourse gazière européenne, le TTF (Title Transfer Facility). Plutôt qu'un plafond, il s'agirait d'un « corridor dynamique » censé empêcher l'achat de gaz lorsque les cours s'envolent à des niveaux non acceptables, afin de lutter contre leur extrême volatilité. Vendredi, les Vingt-Sept ont d'ailleurs approuvé le mécanisme sur le principe.

Mais pour l'heure, l'exécutif bruxellois n'a pas donné de précisions sur les seuils qui seraient retenus, ni sur l'impact concret d'un tel outil. Celui-ci devra être « assez flexible pour assurer la sécurité d'approvisionnement, et [le plafond] assez haut pour que le marché fonctionne », a simplement fait valoir mardi la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, sans livrer plus de détails.

« Ce sont des sujets difficiles techniquement, sur lesquels il faut passer d'une idée générique à une application pratique. [...] La balle est dans le camp de la Commission, et il est important d'aller vite », presse-t-on au cabinet d'Agnès Pannier-Runacher.

Lire aussiPourquoi le plan de Bruxelles d'encadrer le marché du gaz pourrait se retourner contre l'Europe

Le plafonnement des prix du gaz issu de l'électricité toujours débattu

Surtout, une question majeure continue de crisper les échanges : le plafonnement des prix du gaz utilisé pour produire de l'électricité, à l'image du mécanisme mis en place en Espagne et au Portugal en juin dernier (d'où son nom, « l'exception ibérique »). Concrètement, il s'agirait de dédommager les opérateurs de centrales thermiques à Cycle Combiné Gaz (CCG), qui s'approvisionnent elles-mêmes en gaz et génèrent du courant à partir de cet hydrocarbure. En d'autres termes, chaque Etat subventionnerait le gaz afin d'abaisser le coût du combustible pour les CCG afin que leurs opérateurs puissent vendre moins cher les électrons issus de cette opération, et que soient ainsi « découplés les prix du gaz et de l'électricité », selon le gouvernement français.

Depuis plusieurs semaines, l'Hexagone pousse pour cette option, malgré l'opposition de l'Allemagne et des Pays-Bas. La Commission, elle, marche sur des œufs, et a simplement ouvert la porte en affirmant mardi qu'elle « creuserait » le sujet pour déterminer s'il fallait ou non mettre en place ce mécanisme. En effet, c'est elle qui devra le « proposer » aux Etats membres, parmi lesquels la France, qui attend impatiemment des avancées.

« Notre position, c'est qu'il faut avoir le plus rapidement possible un découplage des prix du gaz et de l'électricité, et demander à ce que soit mis sur la table un tel mécanisme à très court terme [...] On ne peut pas lâcher la proie pour l'ombre », a clarifié mardi Agnès Pannier-Runacher.

Etendre l'exception ibérique stimulerait la demande de gaz

Le gouvernement français s'appuie d'ailleurs sur un « non-paper » rédigé par la Commission, qui circule depuis hier. Dans cette note informelle, Bruxelles affirme en effet que l'extension de l'exception ibérique génèrerait un « gain net de 13 milliards d'euros » pour l'Europe. « Tous les pays seraient gagnants », souligne-t-on cabinet d'Agnès Pannier-Runacher.

Cependant, « les États membres qui dépendent fortement du gaz dans leur système électrique seraient confrontés aux coûts les plus élevés pour les subventions nécessaires (Allemagne, Pays-Bas, Italie) », nuance la Commission. Par ailleurs, « il est à noter qu'au prix actuel du gaz (environ 60 EUR/MWh), cette mesure ne produirait aucun résultat », souligne-t-elle.

Surtout, même en retenant un plafond très haut « de 100 ou 120 euros le megawattheure (MWh) [contre 40 euros en Espagne, ndlr] », la demande de gaz « devrait augmenter de 5 à 9 milliards de mètres cubes », avec ce mécanisme, fait valoir la Commission européenne. De fait, modérer la hausse du prix du gaz pour les centrales qui en utilisent afin de produire de l'électricité risque d'inciter à consommer toujours plus de gaz pour générer du courant, et donc d'exacerber les risques de pénurie.

Reste à savoir si la Commission retiendra finalement cette option, et selon quelles modalités. « Elle ne peut pas enterrer le mécanisme ibérique. Au sommet de l'édifice institutionnel, il y a le Conseil européen, qui lui a donné un mandat très clair. On ne peut pas imaginer un seul instant que la Commission européenne ne réponde pas à ce mandat ! », clarifie-t-on au ministère français de la Transition énergétique. Lequel n'attend qu'une chose : prendre des décisions concrètes sur la base des futurs textes de la Commission, lors du prochain conseil des ministres de l'Energie, prévu le 24 novembre.

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Marine Godelier

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Commentaires 4
à écrit le 26/10/2022 à 7:54
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Etre dépendant d'une administration extérieure ne peut être qu'une colonisation de notre territoire !

à écrit le 26/10/2022 à 7:43
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La Commission défend les intérêts des lobbies contre les états depuis bien longtemps. L'affaiblissement des souverainetés nationales renforce son pouvoir. Ce que fait cette Commission est donc tout à fait logique et sans surprise.

le 26/10/2022 à 12:43
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logique mais illégale.

à écrit le 25/10/2022 à 21:22
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A accélérer les pénuries pour répondre à la demande de Great Reset de "Schwab de Davos" ?..

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