Défendre le service public de l'énergie. C'est la bataille dans laquelle s'est lancée, il y a près de deux ans, les comités sociaux et économiques centraux (CSEC) d'EDF et d'Enedis. A l'époque, il s'agit de faire front au projet Hercule. Défendu par le gouvernement auprès de Bruxelles, celui-ci a finalement été abandonné l'été dernier, après avoir provoqué la colère des syndicats, des salariés et de nombreux élus locaux. Tous redoutaient un démantèlement pur et simple d'EDF, aujourd'hui détenu à 84% par l'Etat, ainsi que la privatisation d'Enedis, gestionnaire du réseau de distribution d'électricité et filiale à 100% d'EDF.
Après avoir lancé une pétition en ligne pour alerter les Français sur ce sujet, puis adressé un courrier au 36.000 communes de France l'an dernier, les instances représentatives du personnel remontent au créneau. Ce mardi 17 mai, elles organisent à La Bellevilloise à Paris une matinée de débats sur l'avenir du système énergétique français à destination d'un public varié : élus locaux, représentants du personnel, institutionnels, experts, citoyens ou encore membres du monde associatif. Un événement baptisé Conseil national de l'énergie, "en référence au Conseil national de la résistance, qui a donné naissance à EDF en 1946", précise à la presse Philippe Page Le Mérour, secrétaire CGT du CSEC d'EDF.
Car selon le représentant du personnel, l'heure est toujours à la résistance au moment où la reprise des négociations sur la réforme d'EDF, entre le nouveau gouvernement français et la Commission européenne, est imminente.
"Le projet [de réforme d'EDF, ndlr] n'est pas à la poubelle, il n'est qu'au congélateur", prévient Philippe Page Le Mérour.
Match retour
Les instances représentatives du personnel se préparent donc à un "match retour" pour défendre l'intégrité du groupe EDF et appellent au dialogue. Ils espèrent que les questions de souveraineté énergétique, devenues brûlantes depuis le début de la guerre en Ukraine, joueront en leur faveur. "Nous souhaitons qu'à partir d'aujourd'hui, la parole de celles et ceux qui ont des idées sur la conception du service public de l'énergie de demain puisse être entendue", expose le secrétaire général du CSEC d'EDF.
"Si nous avons un message à faire passer à Elisabeth Borne, c'est que l'avenir du service public de l'électricité ne doit pas se discuter dans les cursives, sous l'influence des banques d'affaires", poursuit-il.
Les deux représentants des CSEC plaident, eux, pour "une renationalisation complète d'EDF" et pour "la sortie du dogme de la concurrence et donc l'émancipation de la France du marché européen de l'énergie".
"Cela demande un courage politique très fort. Est-ce que Madame Borne l'aura ?" interroge Frédéric Fransois, secrétaire général CFE-CGC du CSEC d'Enedis.
Pour une émancipation du marché européen
Les instances représentatives du personnel remettent en cause l'ouverture du marché de l'électricité à la concurrence au début des années 2000, en application de la directive européenne de 1996, qui supprime ainsi les tarifs fixés par les pouvoirs publics. Depuis, les prix sont définis par le jeu de l'offre et de la demande sur les bourses nationales de l'électricité, interconnectées entre elles, et via des contrats de long terme entre producteurs et consommateurs.
Sur ces bourses, la formation du prix repose sur le principe de la vente au coût marginal. C'est-à-dire que les prix au mégawattheure (MWh) dépendent du coût nécessaire à la mise en route de la toute dernière centrale appelée afin de répondre à la demande dans chaque Etat membre, notamment aux heures de pointe. Or c'est généralement une centrale au gaz ou au charbon, qui est appelée en dernier recours en Allemagne, par exemple. Résultat : quel que soit leur mix national, ou presque, tous les pays membres de l'UE subissent peu ou prou la même hausse de prix, liée à la flambée des prix des hydrocarbures.
Les organisateurs du Conseil national de l'énergie tiennent donc ce mécanisme de marché pour responsable de la flambée actuelle des prix de l'électricité. "Le prix galopant du gaz est un véritable handicap pour les consommateurs. Il faut réguler ça autrement que par des aides publiques", estime Frédéric Fransois, en faisant notamment référence au bouclier tarifaire mis en place par le gouvernement français pour limiter la facture des consommateurs.
Alors que l'Espagne et le Portugal viennent d'obtenir une dérogation de Bruxelles pour se déconnecter du marché européen de l'électricité pendant un an, les représentants des salariés considèrent que la France, dont le mix électrique repose en très grande majorité sur le nucléaire, a toutes les raisons d'obtenir, "a minima", une dérogation similaire.
"Abrogation totale et définitive de l'Arenh"
"Madame Borne a toutes les raisons de taper du poing sur la table et d'avoir le courage politique de ses prédécesseurs", insiste Philippe Page Le Mérour, en faisant référence à Marcel Paul (alors ministre de la production industrielle, il propose la nationalisation de l'énergie et organise la création d'EDF-GDF en 1946) et de Pierre Messmer (qui prend la décision, en tant que Premier ministre, de lancer la construction de 13 centrales nucléaires en 1973 pour faire face au choc pétrolier).
Les organisateurs du Conseil national de l'énergie exigent également "l'abrogation totale et définitive de l'Arenh", ce mécanisme qui oblige EDF à vendre un certain volume d'électricité nucléaire à prix cassés à ses concurrents. "L'Arenh a été mise en place il y a dix ans pour organiser la concurrence et permettre [aux fournisseurs alternatifs, ndlr] de pouvoir investir dans des moyens de production. La concurrence n'a pas investi dans l'appareil productif. L'Arenh ne repose plus sur aucun argumentaire législatif", estime Philippe Page Le Mérour.
"A quel moment, en France, serons-nous en capacité de faire le bilan de l'ouverture du marché ? Quels bénéfices cela a apporté aux citoyens ? A l'économie ? Ces sujets, Elisabeth Borne les connaît parfaitement. Elle devra avoir une vision d'ensemble", conclut Frédéric Fransois.
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