Acte II de la campagne de communication du Comité social et économique central (CSEC) d'EDF et d'Enedis. Fin janvier, les instances du personnel avaient donné le coup d'envoi d'une campagne de communication nationale orchestrée autour d'une pétition en ligne, d'un site internet, d'affiches, d'encarts publicitaires et de vidéos diffusées sur les réseaux sociaux. L'initiative visait à alerter et mobiliser les Français pour défendre le service public de l'énergie, mis en danger, selon elles, par le projet de réorganisation d'EDF qui vise à scinder le groupe en trois entités*. Projet que le gouvernement français (qui détient près de 84% du capital de l'entreprise) tente de mener à bien auprès de la Commission européenne depuis plusieurs mois.
Courrier aux 36.000 communes de France
Alors que la pétition en ligne comptabilise aujourd'hui près de 100.000 signatures, le CSEC a présenté ce mercredi 19 mai, lors d'une conférence de presse, une nouvelle campagne qui cible, cette fois-ci, spécifiquement les élus locaux. Un courrier de huit pages doit ainsi être envoyé aux 36.000 communes de France, tandis qu'une page internet les invite dès à présent à rejoindre un collectif national transpartisan. Objectif : les alerter sur le sort d'Enedis, le réseau de distribution d'électricité, et "ancrer la mobilisation localement" pour monter "un front plus large" contre le projet de réorganisation.
En France, la distribution de l'électricité est un service public sous monopole. Enedis est ainsi le gestionnaire de 95% du réseau de distribution d'électricité français. Mais il n'est pas le propriétaire de ce réseau. Celui-ci appartient aux collectivités locales, qui en concèdent la gestion à Enedis. L'entreprise régulée a ainsi la charge, via des contrats de concession, d'exploiter, de développer et d'entretenir plus d'un million de kilomètres de lignes électriques.
La crainte d'un service à deux vitesses
Or, dans le futur EDF imaginé par l'exécutif et la direction du groupe, Enedis serait logé dans un EDF Vert, nouvelle entité dont une partie minoritaire du capital (environ 35%) serait privatisée. Pour les instances représentatives du personnel, cette opération mènera inévitablement à "la privatisation d'Enedis et à la financiarisation de la distribution de l'électricité".
Elles craignent un traitement à deux vitesses et une remise en cause de la péréquation tarifaire. Modèle solidaire qui assure un traitement et un prix identiques pour un client qui habite une zone rurale (où les coûts de raccordement et d'acheminement sont plus élevés) et pour un client qui réside dans une grande métropole.
"Financiariser Enedis, c'est privilégier les concessions qui rapportent au détriment des autres. Cela va conduire à une hausse générale des prix", s'alarme Caroline Verlinde, responsable syndicale CFE CGC. "Nous allons vers un éclatement d'Enedis en de nombreuses régies régionales ou locales", ajoute-t-elle.
"La plupart du capital d'Enedis appartient aux concédants (les collectivités territoriales, ndlr). Ouvrir son capital serait une spoliation des communes de France", dénonce, pour sa part, Luc-André Pons, élu CGT du CSEC d'Enedis. "On ne peut pas boursicoter avec l'électricité qui est un bien vital", abonde Sébastien Ibanez, responsable syndical FO.
... et d'une dégradation du réseau au profit du rendement
Sylvain Badinier, salarié Enedis et délégué fédéral CFDT, s'inquiète, quant à lui, de la recherche de rendement à tout prix, au détriment de la qualité du réseau électrique.
"Enedis est une pépite avec 14 milliards d'euros de chiffre d'affaires et une capacité d'investissement de 4 milliards d'euros. On comprend que cela puisse attirer la convoitise des investisseurs. Mais s'il y a uniquement une recherche de rendement, cela va conduire à une baisse des investissements et à une dégradation du réseau dans les années à venir", anticipe-t-il.
De son côté, le gouvernement assure que la qualité de service public de la distribution d'électricité sera maintenue. "Bercy tente de rejouer le même sketch que pour GDF. A l'époque, le gouvernement affirmait qu'il ne serait jamais privatisé", prévient Philippe Page Le Merour, secrétaire CGT du CSEC.
Des élus inquiets
En janvier dernier, dans nos colonnes, Marianne Laigneau, présidente du directoire d'Enedis, affirmait qu'il n'était pas question d'ouvrir le capital d'Enedis, soulignant l'importance de la péréquation tarifaire. "L'autre enjeu clé, c'est notre capacité de continuer à renouveler nos concessions de service public avec les collectivités locales et de les accompagner dans la transition écologique", ajoutait-elle. Il y a quelques semaines, Jean-Bernard Levy, PDG de l'électricien public, martelait encore que "rien ne sera privatisé".
Malgré ces multiples affirmations, plusieurs collectivités ont déjà manifesté leurs inquiétudes et opposition à ce projet de réforme. C'est le cas notamment des élus du Grand Paris Sud et des élus du conseil régional d'Auvergne-Rhône-Alpes. En janvier dernier, l'association France Urbaine, représentant 2.000 communes, exigeait d'être associée aux discussions en cours sur l'avenir d'EDF. Et, il y a plus d'un an, treize syndicats d'énergie de la région Occitanie avaient également transmis au gouvernement une motion "contre le projet de démantèlement d'EDF".
"Que deviendront les cahiers des charges des concessions que nous venons de signer avec Enedis ? Comment seront assurés la gestion de nos réseaux de distribution, leur sécurisation, leur déploiement, leur réparation si des objectifs de rentabilité sont donnés par les nouveaux actionnaires ?" s'inquiétaient-ils.
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