Énergie : avec la fin du bouclier tarifaire, faut-il s'attendre à une hausse des factures ?

Le bouclier tarifaire sur le gaz, ce dispositif mis en place par le gouvernement pour protéger les ménages d’une envolée de leurs mensualités, a tiré sa révérence début juillet. Mais alors que des analystes et des entreprises craignent une nouvelle hausse des cours, les consommateurs risquent-ils d’en faire les frais ? Et quid de l’électricité, dont les tarifs restent pour l’heure toujours régulés par l’Etat ? Enfin, les particuliers doivent-ils anticiper un rattrapage à venir sur leurs factures, alors que la Commission de régulation de l’énergie prévoit déjà un remboursement des aides qui leur ont été accordées en 2022 ? La Tribune fait le point.
Marine Godelier
(Crédits : Reuters)

Clap de fin pour le bouclier tarifaire sur le gaz : sans grande surprise, ce dispositif mis en place fin 2021 pour préserver les ménages d'une envolée des factures a tiré sa révérence, le 1er juillet dernier. Et pour cause, celui-ci n'avait « plus de raison d'être », a justifié il y a quelques semaines le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire. Il faut dire que les marchés semblent enfin s'être calmés, après de longs mois de volatilité extrême liés entre autres à la guerre en Ukraine. Au point que le tarif réglementé de vente du gaz, lui aussi supprimé début juillet et remplacé par un simple indice de référence, est devenu moins cher que le prix gelé par l'exécutif.

De quoi, à première vue, soulager à la fois les contribuables et les consommateurs... Et pourtant, malgré l'accalmie, de nombreux acteurs de marché retiennent toujours leur souffle. A commencer par le PDG de TotalEnergies, Patrick Pouyanné, qui a alerté le 8 juillet sur le risque d'un « superchoc » pour l'Europe en cas d'arrêt des exportations américaines d'hydrocarbures. Mais aussi son concurrent Engie, qui se veut rassurant sur l'hiver prochain, mais a récemment affirmé que les cours de l'énergie devraient rester « sur un plateau haut » jusqu'en 2027 au moins. Alors, en l'absence de mécanismes de protection, les consommateurs doivent-ils s'attendre à une hausse de leurs mensualités ?

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Bouleversement du marché

Difficile à dire en l'état actuel des choses. « Le marché du gaz reste extrêmement dépendant des jeux géopolitiques, du climat et de la vigueur de la reprise économique », explique à La Tribune Xavier Pinon, courtier en énergie et co-fondateur de Selectra. De fait, la réduction des livraisons de gaz russe par pipeline a entraîné un bouleversement structurel des échanges. Car pour remplacer les milliards de mètres cubes de gaz naturel qu'elle importait par tuyaux depuis la Russie avant la guerre en Ukraine, l'Europe s'est ruée en urgence sur le gaz naturel liquéfié (GNL), acheminé par bateaux des quatre coins du monde.

Seulement voilà : ce marché du GNL étant par essence international, il reste forcément « exposé à plus de volatilités en termes de prix d'approvisionnement », ont récemment prévenu Engie et le cabinet norvégien Rystad Energy. En effet, alors qu'il semble impossible de flécher les molécules transportées par tuyaux vers un autre acheteur plus offrant, il apparaît bien plus aisé de modifier, en cours de route, la destination d'une cargaison de GNL transporté par bateau.

Or, la demande pourrait rapidement dépasser l'offre, notamment en cas de reprise économique mondiale. Le Vieux continent risque donc d'entrer en concurrence avec d'autres régions pour mettre la main sur les volumes disponibles, lesquels restent limités. Entraînant par là même une hausse des prix afin de remporter la mise, et donc un nouvel hiver incertain.

Risque d'incidents

A cet égard, il reste « deux ou trois hiver à passer avant que de nouvelles capacités de production de gaz naturel liquéfié (GNL) aux États-Unis et au Qatar soient complètement disponibles, et contractées au bénéfice de l'Europe », a affirmé le 8 juillet le président d'Engie, Jean-Pierre Clamadieu, interrogé par La Tribune aux Rencontres économiques d'Aix. En attendant cette échéance, difficile donc d'écarter l'éventualité d'une hausse des factures. Ainsi, si l'on en croit les modélisations d'Engie, le gaz s'échangera entre 50 et 60 euros le mégawattheure (MWh) jusqu'en 2026-2027, contre moins de 20 euros en moyenne avant 2020 sur le TTF (la place de marché de référence en Europe).

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Signe de cette tension sous-jacente, le marché reste d'ailleurs suspendu à un éventuel incident touchant un maillon de la chaîne. A l'instar de l'explosion dans l'usine de liquéfaction du gaz Freeport LNG au Texas, en juin 2022, qui avait aggravé la flambée des cours puisque l'Europe comptait déjà massivement sur les Etats-Unis pour s'approvisionner en GNL.

Et ce n'est pas tout : il y a quelques jours, Patrick Pouyanné a affirmé redouter l'hiver 2024-2025 avec l'élection présidentielle américaine. Au cas où les Républicains sont élus face au démocrate Joe Biden, ils pourraient ne plus exporter de gaz et de pétrole, a averti le patron de TotalEnergies. Auquel cas l'Europe pourrait manquer de gaz, et forcément le payer très cher.

Davantage d'incertitudes sur l'électricité

N'en déplaise aux ménages qui ne dépendent pas du gaz pour se chauffer ou se nourrir, ces risques concernent d'ailleurs également l'électricité. Et pour cause, celle-ci reste largement mise au point à partir de gaz en Europe. Si bien que les prix des hydrocarbures influencent également ceux des électrons, y compris en France, malgré le recours très faible à ces sources carbonées pour générer du courant. En vertu du principe du coût marginal, les prix du mégawattheure dépendent en effet du coût nécessaire à la mise en route de la toute dernière centrale appelée en renfort pour répondre aux pics de demande sur le réseau électrique, très souvent une centrale au gaz.

En réalité, sur le sujet, l'évolution des cours reste même plus incertaine encore que pour le gaz, alors qu'EDF doit toujours faire face à la découverte d'un défaut de corrosion dans plusieurs de ses réacteurs atomiques, l'obligeant à contrôler l'ensemble de son parc. Autrement dit, « l'avantage français du nucléaire se transforme en élément de faiblesse, et le restera tant que les réacteurs seront indisponibles, et le problème irrésolu », expliquait il y a quelques mois Jacques Percebois, économiste spécialiste de l'énergie.

« Dans les salles de marché, tout le monde est suspendu au moindre signe de problème dans les réacteurs nucléaires. Il suffirait d'une fissure pour que le prix de l'électricité prenne 30% sur les marchés "Futures" [où les acteurs s'échangent dès aujourd'hui des MWh à livrer plus tard, ndlr] Je n'ai jamais vu une phase où le moindre soubresaut dans la production peut avoir des répercussions aussi massives. Par effet ricochet, le gouvernement est lui aussi tenu à tout ça », assure Xavier Pinon.

Après 2025, une « augmentation progressive » des tarifs de l'électricité ?

Résultat : sur l'électricité, le bouclier tarifaire sera maintenu jusqu'à « fin 2024 » ou « début 2025 », a récemment promis le gouvernement. Après quoi le dispositif pourrait lui aussi disparaître, ce qui entraînerait « une augmentation progressive des tarifs de l'électricité », afin « de revenir aux tarifs de marché », confiait récemment un ministre.

D'ici là, malgré le prolongement bouclier, il faudra probablement s'attendre à une « hausse en février 2024 » du tarif encadré par l'Etat, revu chaque année et déjà revalorisé à +15% au 1er février 2023 (contre presque +99% sans bouclier), selon Xavier Pinon.

Il faut dire que sur les bourses d'échange d'électricité, le MWh s'échange à 241 euros pour le premier trimestre 2024, et 143,50 euros pour le dernier trimestre 2023. En janvier dernier, pourtant, les contrats pour le quatrième trimestre de 2023 se négociaient autour de 80 euros le MWh « seulement ». « A l'approche de l'hiver, beaucoup ont peur que les centrales d'EDF ne fassent pas face », interprète Xavier Pinon.

Une chose est sûre : comme pour le gaz, il reste pour le moins hasardeux d'élaborer des modélisations. « Peut-être que le gouvernement espère que les prix baisseront d'ici au 1er février 2025, ce qui permettrait d'arrêter le bouclier tarifaire, mais évidemment personne n'en sait rien. Si vous aviez demandé des projections à n'importe qui en 2020, aurait-il pu deviner la suite ? », fait mine d'interroger le co-fondateur de Selectra.

Quid du rattrapage ?

D'autant que le rattrapage de ce bouclier pourrait finir par gonfler les factures, même en cas d'accalmie prolongée. Dès le début, l'exécutif a en effet prévenu que ces dispositifs ne s'apparentaient pas à une subvention. Et pour cause, afin de permettre ce tour de passe-passe, les contribuables sont forcément appelés à la rescousse.

« Dans un premier temps, c'est lui qui paie plutôt que le consommateur. C'est le choix qui a été fait en France. Mais cela représente un montant stratosphérique pour les finances publiques, qu'il faudra bien rembourser, au moins en partie », expliquait il y a quelques mois Jacques Percebois.

Ainsi, pour l'électricité, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) a calculé en février le montant de ce rattrapage, intégré dans le tarif réglementé de vente (TRV) payé par les consommateurs, afin d'entamer le remboursement du bouclier tarifaire. C'est d'ailleurs en partie ce qui explique la hausse significative de 99% du TRV proposée par la CRE en février 2023. Seulement voilà : « Le gouvernement n'étant pas engagé par ses propositions, il ne les a tout simplement pas suivies », explique Jacques Percebois.

« Le TRV aurait dû être de 397 euros/MWh soit 39,7 centimes d'euro par kWh, avec 16 euros/MWh dédiés au seul rattrapage. Mais au final, le prix global a été bloqué un peu au-dessus de 20 centimes », détaille-t-il.

Reste à savoir combien de temps durera ce mécanisme - qui s'apparente donc, pour l'heure, davantage à des subventions qu'à un lissage -, et si un rattrapage aura finalement bien lieu. Sollicités par La Tribune, les ministères de l'Economie et de la Transition énergétique n'ont pas répondu à ces questions.

De son côté, Xavier Pinon assume une position bien tranchée. « Si les prix de marché restent très élevés, le gouvernement trouvera toujours le moyen d'intervenir pour les réguler. Ce serait trop explosif politiquement de les laisser totalement libres ! », estime-t-il. Il n'empêche, ces manœuvres promettent d'être douloureuses pour les finances publiques. Selon le ministère de l'Economie, le bouclier tarifaire a déjà coûté 24 milliards d'euros en 2022 et devrait peser 16 milliards d'euros en 2023. Si l'on en croit le rapporteur général du Budget au Sénat, son coût cumulé pourrait même atteindre 170 milliards d'euros à l'horizon 2027 ! Alors même que « la France est à l'euro près », répète à l'envi Bruno Le Maire, celui-ci devra vraisemblablement choisir entre la mise à contribution du consommateur, ou celle du contribuable.

Lire aussiÉnergie : « le système décarboné sera plus cher », prévient Patrick Pouyanné (TotalEnergies)

Marine Godelier

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Commentaires 17
à écrit le 18/07/2023 à 23:12
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Une accélération de la sortie de l'ARENH prévue pour le 31/12/2025 ne peut-elle être mise en oeuvre à l'instar de l'Espagne et du Portugal ?

à écrit le 18/07/2023 à 18:39
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Réponse au titre de l'article: Meuh non!

à écrit le 18/07/2023 à 13:11
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On aura beau faire de la com. , le mécontentement ne peut aller qu''en augmentant vis a vis de Bruxelles and Co !;-)

à écrit le 18/07/2023 à 13:07
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Est ce que c'est une question qui se pose alors que l'on sait très bien que oui?

à écrit le 18/07/2023 à 11:30
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J'aime les surprises du mois d'Août, qui se devraient de passer inaperçues comme cette augmentation de l'électricité de 10%. Et ce n'est que le début car avec l'UE et le marché énergétique voulut par l'Allemagne (à qui on va vendre notre énergiue nuc...

le 18/07/2023 à 13:12
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oui du coup nous prenons la dette, ils prennent l'énergie !!! trop fort ! le commerce selon macron !

le 18/07/2023 à 14:01
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tout à fait d'accord avec revenchard, nous subissons le marché énergétique Allemand.Pas normal tous çà. Merci les verts !

à écrit le 18/07/2023 à 11:03
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Cette hausse de 10% de l’électricité devrait engendrer un surcoût moyen de 160 euros par an et par ménage. Elle intervient après une hausse de 15 % appliquée au 1er février 2024.

à écrit le 18/07/2023 à 9:49
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"Et quid de l’électricité " Il suffit de lire l'article à coté : France : Les tarifs de l'électricité vont augmenter de 10% au premier août, selon Les Échos

le 18/07/2023 à 10:26
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Au lieu de 50% ou 90% ? On consomme une énergie dont on ne connait pas à l'avance le prix (en station service c'est marqué et on peut aller voir ailleurs, pour ça que je ne fais que des 1/2 pleins, ça laisse le temps :-) utile en Laponie, y a peu de ...

à écrit le 18/07/2023 à 9:42
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L'argument de politique d'épicier sera au lieu d'une augmentation de 50%, il n'y aura en Aout qu'une augmentation de 10%, cadeau de la maison ...

à écrit le 18/07/2023 à 7:41
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Les actionnaires milliardaires ne vivent que de cela de la bonne grosse marge bénéficiaire bien juteuse donc s'ils ont l'opportunité de nous prendre encore plus de fric ils ne se géreront pas. L'avantage c'est qu'ils sont si simples à comprendre ces ...

à écrit le 18/07/2023 à 1:38
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Que personne ne s'illusionne. Les prix vont etre a la hausse des septembre quand il va falloir commencer a se chauffer. Les sanctions ont un cout et l'europe va contribuer a cette erreur. Le gaz russe bon marche c'en est termine. Vive le shiste us.

le 18/07/2023 à 14:28
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"Le gaz russe bon marche c'en est termine." depuis assez longtemps, Mr Poutine ayant fait réduire fortement les quantités délivrées afin de faire levier (pression, "chantage") sur la validation de Nordstream2, mais en vain. Vendre deux fois moins (pé...

à écrit le 17/07/2023 à 21:00
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Le marché de l'électricité en France est comme figé par la peur. Un réacteur en panne, un temps couvert sans vent ni pluie, une annonce fracassante d'un dirigeant mal renseigné, le mot d'ordre absolu est "pas de vagues". Si les tarifs heures creuses ...

à écrit le 17/07/2023 à 19:36
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Le prix de réference en gros TTF (mer du Nord) est passé de 23 à 36 euros (+50%) sur juin juillet à cause d'une panne sur une plate forme en mer du nord. Le prix est revenu dans les 30 euros mais on est dans la période la plus creuse de l"année, a...

le 17/07/2023 à 20:51
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et avec l'hydrogène importé par pipeline ou hydrogéniers, ça sera pareil. Tout est sujet à spéculation, les produits de la santé aussi. Money money !

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