
A première vue, l'Europe peut enfin souffler : le plus haut de la crise de l'énergie semble derrière elle. Et pour cause, frappé par une flambée historique des prix du gaz et de l'électricité tout au long de 2022, le Vieux continent connaît une baisse des prix de marché depuis le début de l'année 2023, à la faveur de bons niveaux de stockage de gaz et d'un déclin de la demande d'énergie. Et cette tendance devrait durer, a affirmé ce mardi lors d'un point presse le fournisseur de gaz Engie...
...mais jusqu'à la fin de l'hiver 2023-2024 seulement. En effet, selon les projections de l'entreprise, réalisées grâce à son outil d'analyse de données « EnergyScan », les cours du gaz et de l'électricité ne poursuivront pas leur chute après l'hiver, et devraient rester « sur un plateau haut » jusqu'en 2027.
Concrètement, si l'on en croit les modélisations, le gaz s'échangera entre 50 et 60 euros le mégawattheure (MWh) jusqu'en 2026-2027, contre moins de 20 euros en moyenne avant 2020 sur le TTF (la place de marché de référence en Europe). Quant à l'électricité, le MWh acheté pour le lendemain ne devrait pas descendre sous la barre des 100 euros d'ici à 2027 sur les bourses d'échange. Soit moins que le record de 2022, lorsque le MWh avait culminé à plus de 250 euros en France, mais sensiblement plus que les niveaux d'avant-crise, lesquels flirtaient autour de 40 à 50 euros le MWh.
Un marché structurellement déséquilibré
Pour le gaz, les probables tensions à venir s'expliquent notamment par un bouleversement structurel du marché, durablement plus instable. De fait, pour remplacer les milliards de mètres cubes de gaz naturel qu'elle importait par tuyaux depuis la Russie avant la guerre en Ukraine, l'Europe s'est ruée en urgence sur le gaz naturel liquéfié (GNL), acheminé par bateaux des quatre coins du monde.
« On a jamais importé autant de GNL en Europe qu'en 2022. En France, on a quasiment doublé les importations ! Et on reste sur un très bon niveau en 2023 », souligne-t-on chez Engie.
Dans le détail, les Vingt-Sept sont passés de 100 térawattheures (TWh) environ de GNL importés au cours du mois de juin 2021, à près de 150 TWh en juin 2022 et en juin 2023.
Or, ce marché du GNL étant par essence « mondial », il reste forcément « exposé à plus de volatilités en termes de prix d'approvisionnement » que celui par pipeline, a poursuivi Engie mardi. En effet, alors qu'il semble impossible de flécher les molécules transportées par tuyaux vers un autre acheteur plus offrant, il apparaît bien plus aisé de modifier, en cours de route, la destination d'une cargaison de GNL amenée par navire. Si bien que l'Europe pourrait entrer en concurrence avec d'autres régions pour mettre la main sur les volumes disponibles, lesquels restent limités, entraînant par là même une hausse des prix. C'est d'ailleurs ce qu'il s'était passé en 2022, au détriment de pays jusqu'ici consommateurs de GNL mais incapables de surenchérir face aux Vieux continent, comme le Pakistan.
Accalmie passagère
Et pourtant, ces dernières semaines, le GNL est devenu presque abondant, si bien que ses prix ont chuté sur le Vieux continent : les tarifs flirtent aujourd'hui autour de 35 euros le MWh, soit bien loin du prix d'achat enregistré en août 2022, lorsque le MWh avait culminé à 340 euros. En cause, un recul significatif de la demande de GNL aussi bien en Europe qu'en Asie. Autrement dit, cette denrée précieuse, pour laquelle les Vingt-Sept se battaient il y a encore six mois jusqu'à accaparer les volumes commandés par d'autres pays, n'est plus autant disputée à l'échelle mondiale. Et ce, alors même que les livraisons russes de gaz n'ont pas repris, privant toujours le Vieux continent de son principal fournisseur historique.
De fait, l'hiver très doux lui a permis de ne pas épuiser ses stocks de GNL, constitués dans l'urgence à l'été 2022. Si bien que ces réserves souterraines sont aujourd'hui remplies à 68%, « soit 27 milliards de mètres cubes de plus qu'à la même période l'an dernier », relève Rystad Energy dans une récente note. De quoi éloigner, pour l'instant, la perspective d'une rupture d'approvisionnement, et par là même éviter un bis repetita de la course tous azimuts vers les cargaisons disponibles observée en 2022, qui avait tiré les prix vers des niveaux historiquement élevés.
À cela s'ajoute une baisse significative de la consommation de gaz par l'industrie européenne. Celle-ci reste en effet sous la moyenne de ces dernières années malgré la chute actuelle des cours, après s'être logiquement contractée l'an dernier en raison de la flambée des prix.
Pas de réelle détente avant la mise en service de nouvelles capacités
Mais selon Engie, la situation devrait rester tendue, en raison d'un possible rebond économique mondial et d'un manque de nouvelles capacités d'export de GNL. « S'il y a une reprise très forte des importations de GNL, on va de nouveau entrer dans une phase de compétition assez tendue entre l'Europe et l'Asie », a prévenu mardi Laurent Nery, directeur des analyses de marché chez Engie Gems. En effet, étant donné que le continent asiatique représente environ deux tiers du marché du GNL, une variation, même faible, de cette part marché « aurait forcément un impact important sur Europe, qui peut récupérer des volumes ».
Globalement, de grosses incertitudes demeurent sur la demande. « On ne sait pas si la baisse observée ces derniers mois va se poursuivre [...] Sur le sujet, on marche sur des œufs : on n'a pas de boule de cristal pour voir comment les consommateurs peuvent évoluer », explique-t-on chez Engie. Une chose est sûre : dans son scénario central, Engie opte pour un retour graduel aux comportements historiques, et ne mise donc pas sur une sobriété structurelle. Si bien que, « dans tous les cas », il y aura « besoin de capacités additionnelles de production de GNL pour remplacer le gaz russe ».
« En 2027, les nouvelles capacités qui vont arriver, notamment au Qatar et aux Etats-Unis, vont permettre au marché de se rééquilibrer, et d'entamer à nouveau une tendance baissière des prix », affirme le groupe.
Une analyse qui rejoint les conclusions de Rystad Energy : malgré l'actuelle détente, le célèbre cabinet norvégien estime lui aussi que l'excédent de l'offre par rapport à la demande pourrait rapidement s'inverser, surtout en cas d'hiver froid. Résultat : jusqu'à ce que des capacités de production supplémentaires arrivent, « une tension fondamentale sous-jacente » persistera. Et en cas de resserrement du marché, « l'Europe et l'Asie continue[ront] de se faire concurrence pour les approvisionnements disponibles », peut-on lire dans une récente note.
Les prix de l'électricité tirés à la hausse par le cours du CO2
Enfin, pour l'électricité, les prix en France « devraient se maintenir sur un plateau élevé » entre 2023 et 2025 au moins, a précisé Engie mardi. Et ce, à cause d'une faible production nucléaire, du fait d'un défaut de corrosion identifié sur une partie du parc, entre autres. Mais aussi, logiquement, en raison d'une hausse des prix des combustibles, et notamment le gaz, toujours utilisé pour générer du courant. Surtout, la chute des cours qui pourrait s'initier à partir de 2026, grâce à une meilleure disponibilité du parc atomique, une baisse des prix des combustibles, et l'installation massive de renouvelables, devrait rester largement « limitée », avertit le groupe.
Et pour cause, le prix du CO2 sur le marché européen d'échange de droits à polluer devrait flamber, et par là même contrer la tendance baissière. En effet, chaque tonne de dioxyde de carbone coûtera environ 150 euros à son émetteur d'ici à 2028, contre environ 50 euros seulement en 2021. De quoi renchérir l'électricité, qui promet d'être toujours carbonée en Europe d'ici à la fin de la décennie, malgré le maintien du nucléaire et l'essor des renouvelables.
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