C'est un nouveau signe de durcissement de Boris Johnson à l'égard de la Chine. Un durcissement dont les conséquences sur l'avenir du nucléaire au Royaume-Uni pourraient être très lourdes, puisqu'il pourrait affecter ni plus ni moins plusieurs projets de centrales nucléaires sur l'île, dont celle de Sizewell C, à Suffolk, de 20 milliards de livres sterling (23,4 milliards d'euros), que le français EDF a prévu de concrétiser avec le soutien de la société d'énergie nucléaire d'État chinoise, China General Nuclear Power Group (CGN). Mais aussi celle de Bradwell, sur la côte est, projet certes moins avancé mais sur lequel CGN, qui est seul à la manœuvre, prévoit d'installer sa propre technologie de réacteur, le HPR-1000. Ceci alors que que les ambitions britanniques dans l'atome ont déjà subi un coup dur il y a un an quand le conglomérat industriel japonais Hitachi a abandonné son projet de centrale au Pays de Galles.
Dépendance stratégique, manque de transparence...
Le scénario est dans tous les esprits depuis que le Financial Times a révélé ce lundi que le gouvernement étudiait les moyens de retirer CGN de tous les futurs projets énergétiques du Royaume-Uni, après la fuite de l'EPR chinois de Taishan début juin - même si le lien avec cet incident n'est pas mentionné. Le Royaume-Uni emboîterait donc le pas aux États-Unis, qui ont placé CGN sur une liste noire d'exportation en 2019 - alléguant qu'elle avait volé la technologie américaine à des fins militaires -, tandis que leurs alliés en Europe et en Asie cherchent de plus en plus à empêcher la Chine d'obtenir des technologies sensibles, et protéger leurs propres chaînes d'approvisionnement ou infrastructures critiques contre une dépendance excessive à l'égard de la technologie chinoise.
« Ce n'est pas un hasard si les problèmes à Taishan ont été révélés le dernier jour du sommet de l'OTAN. On assiste à une volonté de discréditer la Chine en tant que partenaire des États occidentaux en la matière, en montrant la façon opaque dont elle opère. Cela témoigne du rôle géopolitique du nucléaire civil, au-delà d'une simple énergie », commente Nicolas Goldberg, consultant chez Colombus Consulting.
Car l'influence de la Chine dérange de nombreux pays, et les Anglais ne font pas exception : le ministre des Affaires étrangères, Dominic Raab, avait déclaré l'année dernière que le Royaume-Uni ne pouvait plus coopérer « comme d'habitude » avec Pékin. Et si la poussée anti-chinoise risque désormais de se propager au nucléaire, l'atome n'est pas le seul secteur visé : au début du mois, les inquiétudes avaient porté sur le rachat par la société chinoise Nexperia NV du gallois Newport Wafer Fab, le plus grand fabricant britannique de semi-conducteurs. A un point tel que le conseiller britannique à la sécurité nationale a même ouvert une enquête. Surtout, mi-juillet, le premier ministre Boris Johnson avait mis Huawei hors jeu en raison d'un risque pour la sécurité du pays, en annonçant son intention de le retirer de son réseau sans fil 5G d'ici à la fin 2027. Un revers majeur pour le géant chinois des télécoms, signal de plus qu'il n'est plus le bienvenu en Occident.
« Sizewell sera le prochain Huawei », avait ainsi averti l'an dernier l'ex-dirigeant du parti conservateur, Iain Duncan Smith, dans le "Daily Telegraph".
La centrale de Bradwell menacée
Ainsi, le Royaume-Uni pourrait mettre fin à un accord de collaboration sur l'énergie nucléaire approuvé en 2016 par David Cameron, alors premier ministre britannique, et le président chinois, Xi Jinping. Celui-ci prévoyait de faire de CGN un partenaire à 20% dans le développement de l'usine prévue de Sizewell C, avec une option pour participer à sa construction. Mais cinq ans plus tard, des discussions sont en cours avec EDF - développeur principal de Sizewell C - pour savoir s'il pourrait trouver de nouveaux partenaires pour le projet, a précisé le Financial Times.
« Ce n'est pas impossible d'y arriver sans la Chine, mais la France a lié avec elle beaucoup de contrats de maintenance, et s'avère être un partenaire privilégié des acteurs industriels chinois », note Nicolas Goldberg.
Ce n'est pas tout : en vertu de l'accord, CGN est également devenu le développeur principal du projet de centrale Bradwell, dont la conception est en cours d'approbation réglementaire au Royaume-Uni. Mais, selon une personne proche du dossier, les plans chinois de construire la centrale électrique sur la côte à seulement 50 km de Londres sont désormais un échec, précise le Financial Times.
« Il n'y a aucune chance que CGN construise Bradwell [...] Compte tenu de l'approche que nous avons vue avec Huawei, [Downing Street] ne laissera pas une entreprise chinoise construire une nouvelle centrale nucléaire », affirme la même source.
La stratégie du Royaume-Uni dans le nucléaire en question
De quoi mettre en péril un autre chantier de grande ampleur en Angleterre , celui portant les réacteurs de nouvelle génération à Hinkley Point (Sommerset), portés par EDF et CGN? Pas impossible. Car si ce projet devrait bien voir le jour dans quelques années, puisque les travaux sont déjà bien engagés - la Chine pourrait se retirer du capital par représailles, estime Nicolas Golberg. « Si on lui enlève tout intérêt à investir dans la région, en stoppant le projet de Bradwell, pourquoi resterait-elle à Hinkley ? », soulève le spécialiste.
Un risque qui pose la question de la capacité du Royaume-Uni à atteindre son objectif de zéro émission nette en 2050. Energie peu émettrice de CO2, le nucléaire est au coeur de sa stratégie de décarbonation. Hinkley Point est en effet la seule centrale nucléaire en cours de construction dans le pays, tandis qu'EDF devrait en fermer définitivement cinq sur les huit existantes d'ici à 2024. Or, les ambitions britanniques dans l'atome sont fortes. Le nucléaire fournit environ 20% de l'électricité du pays et les pouvoirs publics veulent maintenir cette part.
Interrogé par l'AFP, le ministère britannique des Entreprises, de l'Énergie et de la Stratégie industrielle n'a ni confirmé ni démenti les informations de presse. Un porte-parole s'est contenté de rappeler que « tous les projets nucléaires au Royaume-Uni font l'objet d'une réglementation robuste et indépendante » afin, notamment, de respecter « les exigences de sécurité nationale, garantissant la protection de nos intérêts ».
« L'énergie nucléaire a un rôle important à jouer dans l'avenir énergétique à faible émission de carbone du Royaume-Uni, alors que nous nous efforçons d'atteindre notre objectif mondial d'éliminer notre contribution au changement climatique d'ici à 2050 », a déclaré un porte-parole de BEIS.
Dossiers épineux
Par ailleurs, une telle disposition envenimerait un peu plus les relations diplomatiques avec la Chine déjà mises à rude épreuve sur des dossiers épineux, comme la répression de la dissidence à Hong Kong, la répression des Ouïghours au Xinjiang ou la gestion de l'épidémie initiale de Covid-19 à Wuhan.
La Chine n'a pas tardé à réagir. Un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Zhao Lijian, a déclaré lundi que « les Britanniques devraient sérieusement offrir un environnement commercial ouvert, juste et non discriminatoire aux entreprises chinoises », Pékin et Londres étant « d'importants partenaires commerciaux et d'investissement l'une pour l'autre ».
« Il est dans l'intérêt des deux parties de mener une coopération pratique dans un esprit de bénéfice mutuel et de résultat gagnant-gagnant », a-t-il ajouté.
De son côté, EDF Energy, la filiale britannique du géant français, n'a pas souhaité réagir, tandis que CGN n'a pas répondu à une demande de commentaire.
Sujets les + commentés