Mettre en place une nouvelle stratégie de recherche sur le nucléaire avancé est primordial, estime un nouveau rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), rendu par le député Thomas Gassilloud (Rhône - Agir ensemble) et le sénateur Stéphane Piednoir (Maine-et-Loire - Les Républicains).
Les deux parlementaires se sont penchés sur les conséquences de l'abandon par le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) du projet de réacteur de quatrième génération Astrid (acronyme d'Advanced sodium technological reactor for industrial demonstration), il y a quasiment deux ans. 738 millions d'euros avaient déjà été engagés sur un coût total estimé à 1,2 milliard d'euros. Lancé en 2010 sous l'impulsion de Jacques Chirac, le projet Astrid consistait à construire le prototype d'un réacteur de quatrième génération basé sur la technologie à neutrons rapides refroidis au sodium.
Un réacteur qui réutilise les matières radioactives usées
Ce procédé technologique, sur lequel la France cumule plus de 70 années de recherche, présente un avantage majeur : la possibilité d'utiliser l'uranium appauvri et le plutonium comme combustible. Autrement dit : réutiliser les matières radioactives issue de la production électrique du parc nucléaire actuel et ainsi réduire de manière considérable la quantité de déchets nucléaires. Cette technologie de réacteur avancé devait aussi permettre à la France de tendre vers une logique de "fermeture du cycle du combustible nucléaire", voulue par la loi de 2006.
"Cette décision (d'abandon, ndlr) a été rendue publique par un article de presse, puis a été confirmée par un communiqué de presse du CEA, annonçant le report de la construction du prototype à la fin du siècle, rappellent les deux rapporteurs. Nous regrettons que cette décision n'ait pas été prise de manière transparente en associant le parlement".
Manque de transparence
A l'époque, deux raisons sont invoquées pour justifier cet abandon. D'abord, le prix de l'uranium, durablement bas, ne justifie pas dans l'immédiat d'investir dans de nouveaux réacteurs économes en ressources naturelles. Un argument peu valable, selon les rapporteurs qui le qualifient de "croyance".
"Ce retrait (des prix, ndlr) n'est que temporaire. Le monde se réintéresse au nucléaire. Aux Etats-Unis, l'administration Biden en a fait une priorité. Il y aura fatalement un effet sur le cours de l'uranium", expliquent-ils.
Second motif avancé par le CEA en août 2019 : la nécessité d'approfondir les connaissances sur le cycle du combustible.
"Or le prototype Astrid était justement là pour répondre à ces questions", rétorquent les parlementaires.
Selon eux, la raison principale de cette suspension est liée aux difficultés auxquelles la filière a dû faire face sur les réacteurs nucléaires de troisième génération (l'EPR de Flamanville, dont le chantier débuté en 2005 a cumulé les déboires, ne sera pas mis en service avant la fin 2022). Les rapporteurs pensent que la priorité a été donnée aux EPR avant de se lancer sur les réacteurs de quatrième génération.
"L'autre problème c'est que la quatrième génération ne propose pas de saut significatif en matière de sûreté. C'est un problème en soi, mais il n'est pas insurmontable. La combinaison des réacteurs de quatrième génération avec les technologies SMR (petits réacteurs modulaires, ndlr) peut traiter ce problème", avance le sénateur Stéphane Piednoir.
L'image de la France écornée, la filière en danger
Dans ses conclusions, le rapport estime que l'arrêt du projet Astrid a eu quatre impacts majeurs. D'abord, l'image de l'industrie nucléaire française dans le monde a été écornée.
"Cela sème le doute sur les intentions de la France à long terme. La France risque d'être perçue comme un partenaire de recherche peu fiable, notamment pour les Japonais (qui étaient associés au projet Astrid, ndlr) qui peuvent se retourner vers les Etats-Unis", estiment les deux parlementaires.
L'abandon du projet Astrid, projet phare de la R&D nucléaire en France, a aussi un "impact négatif sur l'attrait de la filière pour les étudiants", précise le rapport. Les deux parlementaires craignent également que l'acquis de 70 années de recherche sur les réacteurs à neutrons rapides soit perdu.
Enfin, à plus long terme, "la stratégie de fermeture du cycle du combustible pourrait être abandonnée, avec des conséquences potentiellement lourdes sur l'industrie nucléaire française et sur le stockage géologique des déchets", prévient le texte.
L'uranium appauvri et le plutonium sont obtenus par extraction du combustible usé. Actuellement, l'uranium appauvri est essentiellement entreposé dans l'usine Georges Besse II d'Orano sur le site du Tricastin (Drôme). "Cette matière-là ne présente pas un danger particulier. On peut la garder un certain nombre d'années. En revanche, le plutonium, qui est stocké sur le site de La Hague (Manche), nécessite un niveau de surveillance plus important en raison de sa dangerosité intrinsèque et de son intérêt pour des applications militaires", explique le député Thomas Gassilloud.
Une question de souveraineté
"Il faut réagir rapidement. Il faut une nouvelle dynamique pour la recherche et la formation au nucléaire", alertent les rapporteurs.
Ces derniers proposent ainsi de refonder "une stratégie de recherche sur le nucléaire avancé, au travers d'un projet ou d'une proposition de loi programmatique, qui serait l'occasion d'un large débat au sein du Parlement".
Le tandem attend des réponses de l'exécutif et espère engager des échanges afin de pouvoir intégrer cette stratégie au sein de la prochaine Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), prévue en 2023.
A l'heure où la crise sanitaire a mis sur le devant de la scène les questions de souveraineté, les deux parlementaires soulignent l'opportunité que présentent les réacteurs de quatrième génération : celle de profiter d'une immense réserve énergétique grâce aux 350.000 tonnes d'uranium appauvris actuellement stockées.
"Cette réserve de minerai permettrait de produire pendant plusieurs centaines d'années de l'électricité, affirment-ils. Alors qu'aujourd'hui, la filière nucléaire industrielle nécessite des combustibles extraits de mines qui ne sont pas sur le sol français", pointent-ils.
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