Le nucléaire, une énergie verte ? Cinq pays de l'Union européenne disent non. La semaine dernière, l'Allemagne, l'Autriche, le Danemark, le Luxembourg et l'Espagne ont envoyé une lettre à la Commission européenne appelant à ce que l'énergie nucléaire ne soit pas intégrée au sein de la taxonomie verte. Celle-ci a pour objectif de donner aux investisseurs la liste des activités pouvant être considérées comme bénéfiques pour le climat afin de favoriser l'orientation des capitaux privés vers des activités qui soutiennent les objectifs climatiques de l'Union européenne, qui s'est engagée à réduire de 55% ses émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030.
Mais, en raison des positions divergentes des membres de l'UE, notamment des deux poids lourds, la France et l'Allemagne, Bruxelles n'arrive pas à se positionner sur l'inclusion ou non du nucléaire sur cette liste.
En mars dernier, la commission avait reçu une autre lettre, cette fois signée par le Président français Emmanuel Macron et les Premiers ministres de Hongrie, Pologne, République Tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie. Ils appelaient à ne pas exclure le nucléaire des politiques et des avantages climatiques énergétiques.
La crédibilité et l'utilité de la taxonomie remises en cause
L'intégration, ou non, du nucléaire dans ce classement agite, en effet, les sphères politiques et industrielles depuis plusieurs semaines. La France, où le nucléaire représente plus de 70% du mix électrique, défend ardemment son intégration, tout comme plusieurs pays de l'Est de l'Europe. Ces derniers misent en effet sur le nucléaire (qui émet très peu de CO2) pour décarboner leur production électrique, qui repose encore beaucoup sur des centrales à charbon.
"La France se battra pour que le nucléaire soit considéré comme une énergie décarbonée. (...) Nous livrons ce combat avec la plus grande détermination. Nous avons besoin du nucléaire pour réussir la transition écologique", avait déclaré le ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire, en avril dernier.
Dans le camp adverse, l'Allemagne (qui a accéléré son calendrier de sortie de l'énergie nucléaire à la suite dela catastrophe de Fukushima en mars 2011 au Japon) s'y oppose fermement et elle est désormais soutenue officiellement par quatre autres pays membres.
"Nous craignons que l'inclusion de l'énergie nucléaire dans la taxonomie ne porte définitivement atteinte à son intégrité, à sa crédibilité et donc à son utilité", écrivent les ministres de l'environnement et de l'énergie des cinq pays membres dans la lettre que s'est procurée le média Euractiv. "De nombreux épargnants et investisseurs perdraient confiance dans les produits financiers commercialisés comme "durables" s'ils devaient craindre qu'en achetant ces produits, ils financent des activités dans le domaine de l'énergie nucléaire", poursuivent-ils.
Un rapport technique en faveur du nucléaire critiqué
Les ministres pointent notamment du doigt les "lacunes"d'un rapport du Joint Research Centre (JRC), le centre commun de recherche de la Commission européenne, publié en mars dernier, qui conclut que l'énergie nucléaire est sûre. Selon ces experts, le nucléaire est une source d'énergie bas carbone comparable à l'éolien ou à l'hydraulique. Et à ce titre, elle peut prétendre au label investissement vert de la taxonomie de l'UE. "Les analyses n'ont révélé aucune preuve scientifique montrant que l'énergie nucléaire est plus dangereuse pour la santé humaine et pour l'environnement qu'une autre technologie de production électrique", écrit le JRC.
"L'énergie nucléaire est incompatible avec le principe 'ne pas nuire de manière significative' du règlement de la taxonomie", estiment, au contraire, les cinq ministres, en affirmant que l'évaluation de la sécurité des installations nucléaires par le JRC est erronée.
Les signataires reprochent aussi au rapport de ne pas tenir compte de l'approche du cycle de vie pour l'évaluation des risques environnementaux lorsqu'il s'agit du stockage géologique des déchets nucléaires. "Après plus de 60 ans d'utilisation de l'énergie nucléaire, pas un seul élément de combustible n'a été éliminé de façon permanente dans le monde", pointent-ils.
Un deuxième avis, rendu il y a seulement quelques jours par le Comité scientifique des risques sanitaires, environnementaux et émergents, pourrait aller dans le sens du camp allemand. Sollicité par la Commission européenne, l'organe devait justement examiner le rapport technique du JCR. Dans sa conclusion, il estime que certaines informations sont manquantes et que l'approche comparative avec d'autres technologies de production n'est pas suffisante pour "garantir l'absence de dommage significatif".
Des informations manquantes
"Si une évaluation plus approfondie est nécessaire, elle doit s'appliquer à toutes les technologies de la taxonomie, et pas seulement au nucléaire", a réagi, ce lundi 3 juillet, Foratom, l'association qui regroupe les industriels européens du nucléaire, sur Twitter.
#FORATOMDG @YDesbazeille: The JRC has assessed #nuclearin line with the #EUTaxonomycriteria. If a more in-depth assessment is needed, then it should apply to all technologies under the taxonomy, and not just nuclear. https://t.co/wFMPsfv1zr
— FORATOM (@FORATOM_nuclear) July 5, 2021
En France, l'intégration du nucléaire dans la taxonomie verte est cruciale pour EDF à l'heure où l'énergéticien, très endetté, fait face à un mur d'investissements pour entretenir son parc nucléaire existant et pour lancer de nouveaux projets.
"C'est un sujet majeur pour la filière nucléaire et pour ses investissements futurs. Si le nucléaire n'est pas retenu dans la taxonomie, ce sera un élément de grande complexification", estimait Cécile Arbouille, déléguée générale du Gifen (le syndicat des professionnels de l'industrie nucléaire française) dans une précédente interview.
Le 21 avril dernier, l'exécutif européen a décidé de remettre l'arbitrage sur l'intégration du nucléaire dans la taxonomie verte "à plus tard dans l'année". Un acte délégué complémentaire sur le gaz, le nucléaire et l'agriculture doit ainsi être publié dans le courant du quatrième trimestre.
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