Dans la presse française, les propos tenus par Emmanuel Macron, lors de la conférence organisée à l'issue du G7, sont passés inaperçus. Et pourtant, ils valent le détour : « Je vais être très clair, le G7 n'est pas un club hostile à la Chine », a affirmé le président français en critiquant en creux la montée des tensions entre Chine et États-Unis. « (...) Notre volonté est que ce cadre de relations soit assumé, mais ne soit pas dramatisé et qu'au contraire, le rôle des puissances du G7 est de proposer un agenda positif », a-t-il ajouté. Peu de temps avant, le président français avait rappelé que sa « ligne (...) n'est ni d'être vassalisés par la Chine ni d'être alignés sur ce sujet avec les Etats-Unis d'Amérique ». Cette prise de distance franche, toute gaullienne, à l'égard du président Biden et de sa stratégie de « containment » (d'endiguement) de la Chine n'a pas manqué d'irriter nos alliés américains.
C'est dans ce contexte que la chaîne américaine CNN a lancé un pavé dans la mare en pointant une « menace radiologique imminente » à la centrale de Taishan en Chine, où est en service depuis 2018 le premier réacteur EPR de conception française. Ce « scoop » dévoilé au lendemain du sommet du G7 met la grande famille du nucléaire français dans une position délicate à l'égard de leurs partenaires chinois. D'autant que les journalistes américains ont dévoilé une étrange lettre que Framatome, concepteur de l'EPR devenu filiale d'EDF, a adressé le 8 juin dernier au Department of Energy américain. Dans celle-ci, il est expliqué que les autorités de sûreté chinoises avaient augmenté les seuils limites de radioactivité, afin d'éviter d'arrêter le réacteur, ajoutant que la « situation posait une menace imminente de radioactivité pour le site et la population avoisinante ». Concrètement, une fuite de gaz rares a été constatée dans le circuit primaire du réacteur causée « par environ cinq barres de combustibles endommagées », selon l'autorité de sûreté nucléaire chinoise.
C'est donc Framatome (via sa filiale américaine) qui a donné l'alerte auprès des autorités américaines. « C'est du jamais vu ! Jamais on ne procède ainsi. En plus, Framatome a fait ça tout seul, sans demander ni à CGN ni à EDF », nous confie un vieux routier du nucléaire en France. L'entreprise aurait agi sous la menace de l'extra territorialité du droit américain, alors que CGN est inscrit sur la liste des entreprises chinoises bannies du territoire américain (Entity list). C'est dans le but de préserver son accès au marché américain et d'éviter des sanctions que Framatome aurait donné ces informations aux Américains. « C'est d'autant plus incompréhensible que Framatome est une société qui vit principalement de contrats de service. En écrivant cette lettre, ils ont détruit leur capital confiance auprès de leurs potentiels clients à travers le monde », ajoute notre source.
Malaise chez EDF
Chez EDF, qui a intégré Framatome en 2015 suite au démantèlement d'Areva, le malaise est palpable. L'électricien a publié des communiqués minimisant la situation à Taishan. Et c'est la numéro 2 de la Direction de la Production Nucléaire, Sylvie Richard, qui a été envoyée pour assurer la conférence de presse technique le jour même des révélations de CNN. Le lendemain, à 18 heures, au siège social d'EDF avenue de Wagram à Paris, les quatre fédérations syndicales représentatives du groupe ont été convoquées pour une réunion. L'un des participants nous explique qu'à cette occasion Sylvie Richard aurait déclaré : « Framatome fait son cinéma sur les assemblages de combustible nucléaire à Taishan ». Ambiance. Au sein d'EDF, le rôle du patron de Framatome, Bernard Fontana, suscite des interrogations. Ce polytechnicien fut par le passé le directeur général du cimentier Holcim (qui fusionnera avec le français Lafarge).
À l'origine, le réacteur de Taishan est le fruit d'une joint-venture entre l'électricien chinois CGN et EDF. Cette coentreprise, TNPJVC (Taishan Nuclear Power Company), est détenue par CGN (China Guangdong Nuclear) à 70 % et par EDF À 30 %. En dehors de cette participation financière française, et des matériels fournis par Framatome lors de la construction du réacteur, ce sont bien les Chinois qui assurent l'exploitation de la centrale. Ce n'est pas le seul projet qu'EDF partage avec CGN. Au Royaume Uni, les deux groupes se sont associés pour assurer la construction de réacteurs EPR à Hinkley Point et à Bradwell. Une coopération régulièrement critiquée par les Américains.
Coup de pression américain
L'attention portée à la centrale de Taishan soulève donc de nombreuses questions. Quel sera l'avenir de la filière nucléaire en France ? Quels partenaires internationaux EDF doit privilégier ? C'est bien de cela dont il s'agit derrière le coup de pression américain. Rappelons qu'initialement, Framatome, qui signifie Franco-Américaine de Constructions Atomiques, a été fondée en France pour construire des réacteurs à eau pressurisée à partir d'une licence concédée par le groupe américain Westinghouse.
Au dernier G7, Emmanuel Macron rappelait qu'il était nécessaire pour la France de « bâtir le cadre de nos indépendances avec des solutions technologiques », et en appelant, une nouvelle fois, à l'urgence d'établir une « vraie autonomie ». Au regard du passé ou de l'actualité récente, un vœu pieux pour le nucléaire civil ? « Ces dernières années, on a assisté à la mondialisation de cette filière. Les tensions entre Chinois et Américains viennent compliquer le processus », constate un bon connaisseur du dossier.
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