Europe : pourquoi découpler les prix du gaz et de l'électricité ne sera pas si simple

Alors que l’explosion des cours du gaz entraîne à la hausse ceux de l’électricité sur le marché de gros européen, de nombreux gouvernements appellent à opérer d’urgence un découplage. Mais aucune déconnexion magique entre le gaz et l’électricité n’est possible à l'échelle du Vieux continent, puisque ladite corrélation tient d’abord dans une réalité physique.
Marine Godelier
« La flambée des prix de l'électricité montre clairement les limites du fonctionnement actuel du marché de l'électricité », a fait valoir lundi la présidente de la Commission européenne, Ursula Von Der Leyen, appelant d'urgence à une « réforme structurelle ».
« La flambée des prix de l'électricité montre clairement les limites du fonctionnement actuel du marché de l'électricité », a fait valoir lundi la présidente de la Commission européenne, Ursula Von Der Leyen, appelant d'urgence à une « réforme structurelle ». (Crédits : JOHANNA GERON)

C'est un nouveau refrain qui tourne en boucle depuis quelques jours. Alors que la crise de l'énergie s'aggrave sur le Vieux continent avec des cours dépassant les 700 euros le mégawattheure (MWh) contre environ 50 euros en temps « normal », le coupable semble tout trouvé : la construction du marché européen de l'électricité. Celui-ci « ne peut pas être décrit comme fonctionnel s'il conduit à des prix aussi élevés », a ainsi déclaré lundi le chancelier allemand, Olaf Scholz. Il faut même le réformer « d'urgence », a-t-on embrayé à la Commission européenne, pourtant à l'origine de sa libéralisation. Et ce, afin de « découpler le prix de l'électricité du prix du gaz », et par là-même rapprocher les prix du courant de ses coûts « réels », ont quant à eux clamé les gouvernements français et autrichien.

De quoi faire naître un espoir fort : une fois l'architecture de ce marché modifiée, le chaos devrait laisser place à une accalmie. Pourtant, en réalité, aucun système ne pourrait permettre de dissocier les cours du gaz et de l'électricité à l'échelle européenne, afin d'éviter que la flambée du premier n'entraîne le second dans sa course. Et pour cause, la corrélation est d'abord liée à une réalité physique : la production d'électrons en Europe provient encore largement de la combustion de gaz, autour de 20%.

Pire : selon plusieurs experts, l'envolée incontrôlable des cours de l'électricité en Europe ne s'explique plus par la hausse de ceux du gaz, mais plutôt par la crainte d'une pénurie. « Il y a désormais un risque de rareté physique cet hiver, qui pousse certains acheteurs à payer bien plus cher leurs MWh afin de s'assurer d'être livré », précise un connaisseur du secteur. De fait, si la perspective de coupures électriques était écartée, l'augmentation serait bien moins forte sur les marchés, indépendamment des prix du gaz.

L'indexation de l'électricité sur le gaz s'explique par le mix réel

Avant tout, il faut comprendre la manière dont ce fameux système européen fonctionne. Dans les grandes lignes, son rôle est de faire correspondre à toute heure la demande et la production disponible. Pour ce faire, il laisse le marché définir le prix du MWh : celui-ci s'ajuste au coût de la mise en route de la toute dernière centrale électrique connectée au réseau, qui est généralement la plus chère. Or, il s'agit souvent d'une installation fonctionnant au gaz fossile ou au charbon, appelée en dernier recours en Allemagne par exemple, et dont l'activation dépend largement du coût du combustible utilisé.

« Tout le marché s'ajuste à son prix, parce qu'il faut rémunérer le producteur qui la met en route à l'instant T, étant donné que l'électricité ne se stocke pas. Si ce n'était pas le cas, le producteur ne serait pas incité à la mettre en fonctionnement, malgré un besoin imminent sur le réseau », développe Jacques Percebois, économiste et directeur du CREDEN (Centre de Recherche en Economie et Droit de l'Energie).

C'est pour cette raison que le prix du gaz se reflète actuellement dans celui de l'électricité. « Mais il n'y a aucune clause qui déterminerait a priori une indexation entre gaz et électricité. Si la dernière centrale appelée est nucléaire ou au charbon, le marché s'y indexera », poursuit l'économiste.

Le manque de marges entraîne les prix à la hausse

L'augmentation des cours provient donc d'abord de deux phénomènes, qui se sont alimentés l'un l'autre dans une spirale infernale : les coûts de mise en route des centrales à gaz (qui font l'équilibre de ce marché) se sont envolés, en même temps que les capacités physiques de génération d'électricité se sont rétractées. La France, par exemple, a fermé nombre de ses capacités, de la centrale nucléaire de Fessenheim aux centrales à charbon polluantes...sans pour autant les remplacer par des moyens de production équivalents. Surtout, le pays fait actuellement face, au pire moment possible, à une disponibilité historiquement basse de son parc nucléaire, liée entre autres à un défaut de corrosion affectant le parc d'EDF.

« Si la France disposait d'assez de nucléaire et n'avait pas besoin d'importer, comme elle le fait actuellement, le prix de son MWh serait fixé à l'intérieur de ses frontières. En fait, un pays qui a une production excédentaire n'est pas obligé de faire appel au fameux marché de gros européen », souligne Jacques Percebois.

« On ne peut pas dire que le prix de l'électricité dans l'ensemble de l'UE est indexé sur le prix du gaz, c'est faux. Par contre, à certaines périodes, si l'on n'a pas assez de moyens de production sur le territoire français pour satisfaire la demande, on importe de l'électricité venant souvent d'Allemagne, et on subit donc le prix de l'électricité produite à partir de charbon ou gaz », abonde un ancien haut dirigeant d'EDF.

Le Portugal et l'Espagne n'ont pas opéré de découplage

Pour que les prix du gaz et de l'électricité soient dissociés, il faudrait donc, tout simplement, ne pas recourir au gaz pour produire son courant, aussi bien via son mix national que ses importations. L'Espagne et le Portugal, qui ont obtenu il y a quelques mois une dérogation leur permettant d'afficher des prix de l'électricité bien moins élevés que leurs voisins, n'ont d'ailleurs pas opéré un tel découplage. Les deux pays de la péninsule ibérique ont en fait agi directement sur le prix dudit combustible, en subventionnant les centrales à gaz via une augmentation de la facture des consommateurs.

L'Etat paie la différence entre le prix de marché et celui qu'elle a fixé, c'est-à-dire 40 euros le MWh. C'est une mesure cosmétique, qui a permis d'éviter un emballement mais sera de toute façon temporaire », estime Jacques Percebois.

Il existe néanmoins une alternative, qui permettrait d'atténuer la sensibilité au jour le jour du prix du MWh à celui du gaz. « Plutôt que de faire des enchères sur la base du coût marginal horaire, très sensible au cours du gaz, donc très volatile, on pourrait imposer une sorte de coût marginal à long terme. Les producteurs devraient donc accepter de perdre un peu d'argent quand les prix du gaz s'envolent, et d'en récupérer lorsqu'ils chutent », explique l'économiste. Mais cette option n'entraînerait aucune « déconnexion magique » entre gaz et électricité, puisqu'il s'agirait simplement d'un lissage des cours du premier dans le temps.

C'est néanmoins vers une autre option que semble s'orienter la Commission européenne. Selon des premières fuites, l'exécutif bruxellois souhaiterait en effet inclure un plafonnement des prix du MWh pour certains producteurs d'électricité dont les coûts de production seraient inférieurs à ceux des centrales à gaz. Autrement dit, il s'agirait de taxer une partie de la rémunération des centrales nucléaires ou des parcs éoliens et solaires, afin de dégager des ressources pour financer des dispositifs visant à réduire les prix de l'énergie pour les consommateurs.

Reste que les effets pervers seraient nombreux. « Ce qu'on gagne d'un côté sur le court terme, on risque de le perdre de l'autre. Car les installations nucléaires ou renouvelables récupéreraient leurs coûts de fonctionnement, mais pas les coûts fixes, nécessaires pour mener des investissements nécessaires à la transition énergétique », alerte Jacques Percebois.

D'autant que l'efficacité risque d'être limitée : en France notamment, l'injection d'énergies renouvelables ne passe pas par le marché de gros, mais par des prix garantis fixés par arrêtés ministériels. Autrement dit, il s'agirait de taxer une industrie par ailleurs subventionnée, qui participe à coût zéro aux enchères sur le marché de gros.

Subventionner la dernière centrale appelée

Une autre option existe : il serait a priori possible de s'appuyer sur une moyenne des coûts marginaux afin de fixer le prix de l'électricité, plutôt que sur le coût marginal horaire de la dernière infrastructure mise en route. « Imaginons que l'on dispose de trois centrales à l'échelle européenne, dont les coûts de fonctionnement sont respectivement de 10, 20 et 50 euros le MWh. Dans le système actuel, si j'ai besoin d'appeler les trois à un instant T, le prix final sera donc aligné sur 50 euros afin de pouvoir rémunérer le dernier producteur. Autrement dit, les deux premières bénéficieront d'une rente-infra marginale ».

Or, dans le système alternatif, le prix d'équilibre du marché ne serait pas de 50 euros, mais s'établirait autour de la moyenne des coûts marginaux des trois centrales appelées, soit un peu moins de 27 euros. « Cependant, il faudrait que l'Union européenne compense financièrement le dernier producteur [autrement dit, subventionne son gaz, ndlr], sans quoi celui-ci ne mettra pas son installation électrique en route », précise le directeur du CREDEN.

Un tel mécanisme pourrait donc, a priori, permettre d'atténuer l'effet de l'envolée des cours du gaz sur le prix de l'électricité à l'échelle européenne, sans pour autant déconnecter les deux paramètres.

Reste, enfin, une possibilité radicale : suspendre le marché interconnecté à l'échelle des Vingt-Sept. « Cela n'empêcherait pas que les gestionnaire de réseau national s'accorde sur des échanges d'électricité au gré à gré, mais chaque pays organiserait ses propres enchères », explique un connaisseur du secteur. Dans ce cas de figure, le prix de l'électricité serait très différent entre les Vingt-Sept, puisqu'il dépendrait principalement du mix de chaque pays. Mais si l'un d'entre eux venait à manquer cruellement de marges, comme c'est le cas actuellement pour la France, la facture pourrait s'envoler, et les risques pénuries s'aggraver un peu plus.

Marine Godelier

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Commentaires 24
à écrit le 04/09/2022 à 12:11
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Comment éviter que le cout de l éléctricité explose selon la consommation (cout marginal, loi du marché) : mandater EDF service public pour qu'il assure à tout moment , a tous les francais la fourniture de kWh à des prix établis en avance et calculés...

à écrit le 03/09/2022 à 15:59
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Ce découplage est d'autant plus délicat à effectuer que beaucoup de gens n'ont aucun intérêt à le mettre en œuvre en Europe et feront tout pour expliquer que ce n'est pas possible. Une belle imposture!

à écrit le 03/09/2022 à 12:21
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Juste une petite remarque.On ne fabrique pas d'électrons. On se contente de les déplacer avec leur charge électrique dans des conducteurs avec une certaine tension jusqu'à alimenter des récepteurs.

le 05/09/2022 à 17:38
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Merci Cliquet pour votre commentaire Je suis également agacé par de très nombreux articles qui parlent de "production d'électrons "sans doutes parce que ça fait plus chic que de dire "production d'électricité" alors que c'est un non sens scientifiqu...

à écrit le 02/09/2022 à 18:04
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La Commission européenne est dans l’erreur et dans le déni. C’est elle qui a souhaité ce marché unique de l’électricité (une solidarité totale et un prix unique pour toute l’UE). C’est théoriquement tout aussi impossible qu’une union monétaire dans ...

à écrit le 02/09/2022 à 14:32
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"Tout le marché s'ajuste à son prix, parce qu'il faut rémunérer le producteur qui la met en route à l'instant T, étant donné que l'électricité ne se stocke pas." N'importe quoi !!! le problème vient de là. il ne peut y a voir de marché au niveau eur...

le 02/09/2022 à 17:59
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faux c'est une magouille de simplicite il est tres simple de definir le veritable cout de l'electricite mais si vous demander a un technocrate allemand il ne vera que le rapport qui lui convient petit rappel mme von derleyden n'est pas elu simple...

le 02/09/2022 à 18:00
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Bonjour, personnellement je crois que l'ons peux stocker de l'électricité... Ils suffit de remplir des tours d'eaux... ( Pompe de relevage) ( voir faire montée de la vapeur) . Puis lorsque l'ons souhaite récupérer cette électrique, ils suffit de la f...

le 02/09/2022 à 22:59
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@Rogger - Bien sûr, l'électricité peut se stocker, mais en volumes limités en regard des besoins, sauf dans quelques pays qui se sont dotés de nombreux barrages en raison de leur géographie, par exemple la Norvège ou la Suisse.

à écrit le 02/09/2022 à 13:17
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On paye en fait le retard monstrueux dans les ENR et le sous investissement à courte vue dans l'entretien du nucléaire.

le 02/09/2022 à 13:45
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tout à fait... nos zélites ont brassé du vent pendant 40 ans, par contre pour courir après les jupons... sont très très forts et sacrifier les français, encore plus : ils ne sont pas responsables de leurs actes.... c'est facile

le 04/09/2022 à 12:52
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m chirac avait lancé super phoenix et qui a supprimer le programme un certain m macron et qui nous empoisonne la vie avec ces restriction car incapables de vision a long terme le meme m macron qui prefere donner des devises a l'allemagne plutot q...

le 05/09/2022 à 8:47
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@ Ludwig : Vous n'aimez pas Macron. On l'a compris mais ce n'est pas la peine de raconter des mensonges. Superphénix a été arrêté par décision de Lionel Jospin en 1987. Macron avait alors 20 ans et quittait à peine le lycée. L'installation a été réel...

à écrit le 02/09/2022 à 10:26
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C'est étonnant car étant de famille Franco-Asiatique, en Asie du sud est il n'y a aucun problème de cout d'électricité et encore moins de pénuries, on a l'impression ici d'être légèrement manipulés ...

le 02/09/2022 à 23:01
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Ou d'être confrontés à des responsables politiques totalement irresponsables qui refusent d'admettre leurs erreurs.

à écrit le 02/09/2022 à 9:59
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Ce découplement permettra au moins à ceux qui bénéficient d'une source d'énergie nationale (nucléaire, charbon, gaz, renouvelables) de proposer des prix adaptés, même si ces prix sont impactés par le passage aux renouvelables. Il devrait en être de m...

le 02/09/2022 à 12:32
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En fait les investissements dans les enr intermittentes se sont fait au détriment des investissements qui auraient été nécessaires dans le pilotable en continu (nucléaire ou gaz selon votre sensibilité). La vérité est que les enr sont indirectement ...

le 02/09/2022 à 23:07
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@Karim - Pire encore, la production subventionnée des renouvelables a mis à mal la rentabilité des centrales pilotables, en faisant s'effondrer les prix de l'électricité de façon plus ou moins aléatoire. Ces baisses ont pu sembler positives à court t...

le 03/09/2022 à 15:56
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Les ENR intermittentes et aléatoires et plus particulièrement l'éolien terrestre ne sont pas indirectement responsable de la crise actuelle: elles le sont directement.

à écrit le 02/09/2022 à 9:47
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Il est bien reconnue que toute erreur administrative est dure a réparer et... a reconnaitre; alors pour l'administration de l'UE n'en parlant pas!;-)

à écrit le 02/09/2022 à 9:27
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Plutôt que de le découpler, il faudrait les décupler, si on veut sauver la planète

à écrit le 02/09/2022 à 9:14
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Cette idée de maitrise des prix est contraire aux intérêts français, en capacité d’être producteurs et exportateurs d’électricité.. mais on comprend la demande de nos partenaires.

à écrit le 02/09/2022 à 8:13
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le decouple est une chose nous voulons savoir qui sont les responsables de ce couplage la il est bien question de magouille a tres haut niveau c'est ce foutre des electeurs et des populations qu' une minorite a tricher pour se remplir les poches...

le 05/09/2022 à 8:52
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Et le délire on le découple quand.?

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