
Pendant des mois, ils ont été scrutés à la loupe. Pour préparer l'hiver 2022-2023 et écarter le risque de pénurie (la France ne recevant plus une goutte de gaz russe par pipeline depuis le mois d'août, alors qu'il représentait 17% de ses importations), les gaziers avaient pour consigne de remplir au maximum leurs stockages. Mission accomplie. Dans l'Hexagone, le remplissage des stockages a atteint, au milieu de l'hiver, un niveau historique. Au 15 janvier, ils étaient remplis à 80% (soit 106 térawattheures), contre une moyenne de 55% sur les six dernières années à la même date. « Un niveau de ce type-là, en janvier, c'est inédit », commente Thierry Trouvé, directeur général de GRTgaz, en charge du réseau de transport.
Ironie de la situation, ces stockages devront être en partie vidés dans les semaines à venir en raison de contraintes techniques car certains systèmes de stockage ont besoin de respirer pour conserver leur performance pour les hivers à venir. En effet, en France, le gaz est stocké dans des cavités salines, mais aussi dans des nappes aquifères. Storengy, la filiale d'Engie chargée du stockage, en opère neuf sur le territoire. Ce sont des couches perméables de roches imprégnées d'eau situées entre 450 et 2.000 mètres de profondeur et s'étendant sur plusieurs kilomètres. Le gaz remplace l'eau dans les pores de la roche. Et, l'eau reprend sa place initiale lorsque les capacités sont vidées.
Garder au maximum 40% de stocks en fin d'hiver
« Les spécificités géologiques de ces stockages font que, pour avoir un fonctionnement optimal, ces stockages doivent être cyclés. Pour cela, il est demandé aux clients de Storengy de vider ces stockages en gardant au maximum entre 35% et 40% de stocks en fin d'hiver », explique Storengy.
C'est donc aux fournisseurs de gaz, comme Engie, EDF ou encore TotalEnergies, que revient l'obligation de vider suffisamment ces stockages, comme ils le font chaque année.
Mais comment soutirer suffisamment de gaz alors que sa consommation a sensiblement diminué ces six derniers mois (-12,8% entre août 2022 et le 15 janvier 2023, par rapport à la même période en 2018-2019) et que tous appellent à poursuivre ces efforts de sobriété ?
Bien évidemment, aucune molécule de ce précieux gaz ne sera gâchée. « Comme ils ont cette contrainte technique, les fournisseurs vont probablement diminuer les quantités de gaz qu'ils importent et soutirer davantage dans les stockages pour répondre aux besoins de consommation », avance Thierry Trouvé. « On le voit déjà, les terminaux méthaniers sont moins sollicités », ajoute-t-il. Selon le patron de GRTgaz, il n'y a donc « pas de préoccupation particulière ».
« Les soutirages qui ont lieu tout au long de l'hiver, afin de répondre aux besoins des Français, permettent chaque année d'atteindre le volume souhaité. À date, Storengy ne prévoit pas de difficultés pour atteindre ces niveaux maximum en fin d'hiver », a précisé la filiale d'Engie à La Tribune.
« Un beau défi de gestion »
« On va équilibrer la consommation, le transport, le stockage, les importations. C'est un beau défi de gestion. Mais ce sont [les équipes de Storengy, Ndlr] des professionnels expérimentés qui font ça très bien », avait pour sa part commenté Catherine MacGregor, la directrice générale d'Engie lors des vœux à la presse, le 11 janvier dernier.
La patronne de l'énergéticien n'avait alors pas manqué de souligner l'importance du réseau gazier européen, permettant d'exporter du gaz vers les pays voisins, notamment vers l'Allemagne grâce à une inversion des flux depuis le mois d'octobre.
« La France affirme son rôle de pays de transit », abonde Thierry Trouvé.
Entre le 1er novembre et le 31 décembre dernier, l'Hexagone a plus que doublé ses importations de gaz naturel liquéfié (GNL) par rapport à l'année précédente. En parallèle, au cours de la même période, elle a exporté plus de 19 térawattheures vers l'Allemagne, la Suisse et l'Italie.
Même si les stockages dans les nappes aquifères vont devoir être, en partie, vidés, « à la fin de l'hiver gazier [c'est-à-dire le 31 mars prochain, Ndlr], nous finirons au-dessus des niveaux historiques habituels, ce qui nous met en bonne position pour l'hiver 2023-2024 », souligne Thierry Trouvé. Le directeur général de GRTgaz se garde pour le moment de communiquer un quelconque pourcentage, mais plusieurs experts tablent sur des niveaux situés entre 40% et 50% à la sortie de l'hiver, contre 5% habituellement.
De quoi appréhender la fin de l'hiver gazier beaucoup plus sereinement. « Les risques de déficit sont devenus très improbables en volumes ou sur quelques jours de froid », affirme Thierry Trouvé. Seul persiste un risque résiduel en cas de cumul de grand froid et de difficultés d'approvisionnement.
« La sobriété reste nécessaire pour la fin de l'hiver », rappelle-t-il.
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